29-12-2013 15:46 - Figure historique : A Mamoudou Samba Boly Ba, pour l’histoire
Lors de la préparation de la liste des « bleus » pour la première élection municipale pluraliste de Nouakchott, en 1986, et au sein de l’assemblée de mentors, de postulants et de soutiens financiers composée de notabilités, de hauts fonctionnaires et hommes d’affaires, un groupe restreint se concertait souvent et proposait les modus vivendi.
Le président Mamoudou Samba Boly en faisait partie avec trois autres Emirs : Ethmane Ould Abderahmane du Tagant, Hbib Ould Ahmed Salem, du Trarza (allah yarhamhoum) et Sid’Ahmed Ould Aïda de l’Adrar.
Intrigué et ne connaissant pas le Président Ba, un curieux me chuchota à l’oreille : « hadhe el kory el wessim menhou ? » (Qui est ce beau noir ? » J’ai répondu tout aussi discrètement : « Ella houwa emelli woul Dienguir Ekbir ! » (C’est, lui aussi, le fils d’un géant)
Je crois que c’est l’un de mes voisins : Mohamed el Mokhtar Ould Zamel, (ancien ministre et ancien ambassadeur) ou Ali Ould Haïba (notre actuel ambassadeur à Dakar, originaire du Gorgol) qui expliqua, à notre voisin de plus en plus intrigué, la stature de Koly Tinguella, un des ancêtres du Président Mamoudou,.
Mais Mamoudou Samba Boly Ba ne peut pas, bien sûr, être réduit à la seule dimension de son orgueil tombal.
Son curriculum vitae ?
Il est né à dans l’actuelle Moughataa de Maghama, plus précisément au village de Padalal Réo (réo en poular veut dire Nord, c.a.d. la rive mauritanienne du Fleuve) le 8 janvier 1920.
Il effectuera sa scolarité à l’école élémentaire de Kaédi puis, pour les études secondaires, il rejoint l’école supérieure Blanchot à Saint-Louis-du-Sénégal, avant d’être admis à l’École Normale des Instituteurs de Sébikotane au Sénégal ou « sébi » cette fameuse pépinière des enseignants et dirigeants de l’Afrique Occidentale française d’alors. La guerre l’empêchera d’exercer cette profession d’instituteur, la plus enviée à l’époque avec celle d’interprète.
Tout simplement Il est enrôlé comme « tirailleur » de la classe 1920 et ne sera démobilisé qu’en 1946, l’année de la naissance de l’’Union française », regroupant les anciennes colonies devenues territoires d’outre -mer, et changeant le statut des sujets français en « citoyens »...
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Mamoudou inaugura sa vie civile à Dakar comme fonctionnaire au cabinet du Gouverneur Général de l’Afrique Occidentale française, puis à la Mairie de Dakar, avant d’être affecté à la direction des Finances à Saint-Louis, se rapprochant un peu plus du Fouta et du reste de la Mauritanie, son territoire d’origine.
Il ne perdra pas beaucoup de temps. Déjà membre important et influent de l’Union Générale des Originaires de la Vallée du Fleuve (UGOVAF), il sera co-fondateur, en 1950, de l’Entente Mauritanienne, le parti d’Ahmedou Ould Horma Ould Babana, N’diawar Sarr, Dey Ould Sidi Baba, Dy Ould Zeïn, entre autres et une jeunesse bouillante d’où émergeaient certains Bouyagui Ould Abidine et Birane Mamadou Wane…
Et l’ascension du fils de Padalal Réo se poursuit, accumulant les expériences, élargissant le cercle de ses soutiens et de ses partisans et raffermissant sa confiance en lui et en son étoile !
Plus tard, Mamoudou Samba Boly Ba sera, le principal leader du Bloc Démocratique du Gorgol, (BDG), fondé en 1956 à Kaédi.
En raison des nuages qui menaçaient l’existence de l’entité nationale mauritanienne, il se rapprochera,, du parti dominant de l’époque l’Union Progressiste de Mauritanie (UPM) dirigée, entre autres, par Sidi el Mokhtar Ndiaye, Mokhtar Ould Daddah, le « cousin » Amadou Diadié Samba Dioum, Mohamed Vall Ould Oumeïr, Souleymane Ould Cheïkh Sidiya, Ahmed Salem Ould Haïba, Youssouf Koïta etc. et qui bénéficiait du soutien de la majorité des notables du pays.
Pour lui, la consécration ne tardera pas avec son entrée, en février 1958 comme ministre des Domaines et de l’Habitat, dans la Gouvernement de la Mauritanie semi -autonome suite à la Loi-cadre ou Loi Deferre alors ministre français de la France d’Outre-Mer.
Membre-fondateur à Aleg, en mai 1958, du Parti du Regroupement Mauritanien (PRM) qui englobait l’UPM, le BDG et d’autres formations de moindre importance, Mamoudou Samba Boly Ba sera élu comme député , en mai 1959, du nouveau parti sur sa liste unique de la circonscription de la Mauritanie orientale, le pays étant divisée en deux circonscriptions…
Devenu un des grands barons du nouveau parti unique : le Parti du Peuple Mauritanien (PPM), né en décembre 1961, par la fusion du PRM, de la Nahda, de l’Union Nationale de Mauritanie (UNM) et d’un parti régional, localisé surtout en Adrar l’Union des Socialistes Musulmans mauritaniens (l’USMM), Mamoudou poursuivra, parallèlement, sa carrière de ministre, en particulier des Finances. Et, en sa qualité de député il accédera à la Présidence de l’Assemblée Nationale pour une courte période de mai 1965 à février 1966.
Sa démission en blanc ayant été activée, en raison d’un différend avec le président de la république à l’occasion des « Evénements de février 1966″, il perdit sa qualité de député et fut démissionné du « perchoir » !
Il sera, néanmoins, affecté, comme résident (l’équivalent de préfet actuel) dans deux villes prestigieuses (Chinguetti et Boutilimit) dans lesquelles il sera apprécié et honoré. Et la Présidence de la Chambre de Commerce de Mauritanie, qui suivra sa courte période d’administrateur sera le prélude à son expérience des affaires comme gérant des anciens Etablissements Lacombe.
Le portrait dans mon imagination
J’ai vu, pour la première fois, Mamadou Samba Boly Ba en 1957. Elève au lycée Faidherbe de Saint-Louis, j’avais accompagné mon père qui avait affaire à la Direction des finances du gouvernement de Mauritanie dans laquelle le futur ministre était le mauritanien le plus gradé.
Je ne compris rien à leur conversation car ils ne s’entretenaient ni en français, ni en Hassaniya. Toutefois mais père me confia quand nous sortîmes sur l’Avenue Dodds qui traversait, en sa longueur, N’dar-Tout ou Saint-Louis-Mauritanie : « …Hathe rajel mahou chwey !» (Cet homme n’est pas rien !). Pour quelqu’un d’aussi laconique que mon père c’était tout un discours…
Plus tard j’ai eu l’honneur et la chance de rencontrer souvent, en public et en privé, l’homme, le ministre, le parlementaire, l’administrateur, le retraité, le chef de clan etc. et j’ai toujours été impressionné par sa dignité, sa prestance, sa patience, la sobriété de son discours, le manque d’outrances et la sagesse de ses positions et de ses points de vue.
En plus, on été toujours étonné, en le pratiquant souvent ou en le côtoyant seulement par moments, par la mixité qu’il a su réaliser entre tous les « Mamoudou « : le notable, l’intellectuel, le tirailleur, le fonctionnaire, le politique, l’homme d’Etat etc.
Avant de conclure, je ne doute pas que le Président Mamoudou pardonnera mon indiscrétion en révélant deux « remarques » qu’il a énoncées et qui, assurément, « n’ont pas été mâchées par les veaux » comme nous disons en hassaniya, « ma madghinhoum leajoul » ; étant pratiquement sûr que mes parents, les Poulo surtout, remplaceront, en réplique, les « veaux » par les « chamelons »…
Venant de France je lui ai narré (perfidement pour dire vrai) avoir été « …étonné par une deniyankobé(e) Poulo (sa fille Meïmouna, la benjamine) parce qu’elle jeûnait à Antony ».
Imperturbable le Président me répondit avec un large geste de la main: « mon fils nous lisons maintenant le coran dans le texte et savons ce qu’Allah nous ordonne de faire ou d’éviter ! Avant, ajouta-t-il, les marabouts (je suppose qu’il traduisait ainsi « torobé« ) nous disaient ce qu‘ils voulaient bien. Mais aujourd’hui nous avons nos propres « tafsirou «. Reçu le message…
Une autre fois, au cours d’une de mes visites, je l’ai trouvé en conversation animée avec des gens de son village je suppose. De ses dernières paroles j’en retins « Koweït », « Gambie » & « Tchiapato »
Quand nous restâmes seuls, il me traduisit, sur ma demande, la fin de sa déclaration : « Sans nous, la Mauritanie aurait été un Koweït sans pétrole ! Et si nous étions en un pays réduit et sans les maures, nous aurions été une petite Gambie. » Toute une leçon !
Cette citation est, à mon avis, tout Mamoudou ; car sa vie se confond avec les heurs et malheurs du pays qu’il a aimé et servi loyalement et il constitue, en même temps, un produit authentique de l’histoire millénaire du Fouta Toro Sénégalo-mauritanien. S’il y’à un homme qui a eu un destin exceptionnel et une stature enviable, c’est bien Mamoudou !
S’il y’à un citoyen mauritanien au comportement exemplaire de patriote, portant haut dans son coeur son pays ; imbu, fier et attaché en même temps, aux valeurs de sa culture poular, c’est bien Mamoudou !. Mal compris, calomnié même aussi, il en souffrit peut être.
Mais Mamoudou est de la trempe d’une génération d’hommes qui méritent admiration de notre part, pour leur courage devant l’adversité et qui, face à l’injustice et à l’ingratitude, savaient faire, après la « Chehada » et les 4 autres prescriptions de l’Islam, de ce vers leur devise : « Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse… »
Quel humour et quelle prestance qu’il ait la tête enfoncée dans son bonnet, ou entouré par son magnifique « haouli« de « polman« . Mamoudou, vivant ou en l’autre vie, restera une immense, légende, physique et morale, et le prototype du mauritanien qui ne peut être enfermé dans les appartenances étroites de la caste, de l’ethnie ou de la région fût-elle le Fouta…
Il a été et il restera, pour nous qui l’avons connu, la Mauritanie dans son intégralité, mais qui honore, respecte et préserve ses enrichissants particularismes !
allah yarhamhou
Nouakchott le 18 Moharem 1434 correspondant au 25 novembre 2012
Ambassadeur Mohamed Saïd Ould Hamody.