26-06-2014 07:39 - Nouveau mandat pour Ould Abdel Aziz : faut-il espérer ou s’inquiéter ?

Nouveau mandat pour Ould Abdel Aziz : faut-il espérer ou s’inquiéter ?

O. Salem - Un nouveau mandat de 5 ans commence pour Mohamed Ould Abdel Aziz. Entre les récriminations d’un certain Nicolas Beau (alias « bakchich.info ») et les minauderies effarouchées d’un certain Beyrouk (alias « le griot de l’émir »), je crois que tout bon mauritanien est en droit de se poser un certain nombre d’interrogations.

La grande question est évidemment : que fera Ould Abdel Aziz durant ce mandat ? Que sera notre pays dans 5 ans ?

Son premier mandat a été sans conteste l’un des plus violents que le pays ait connu : violence économique par une implacable chasse aux sorcières dirigée contre les hommes d’affaires, violence militaire par une campagne armée aux frontières, et même au-delà, en territoire étranger, violence politique et verbale contre ses opposants, violence sociale avec la recrudescence des communautarismes et du fait religieux.

L’image symbolique et paroxystique de cette violence généralisée fut la « balle amie » dont Ould Abdel Aziz a été lui-même victime et qui a failli l’emporter. La multiplication des foyers de tension, voulue ou non, a été une caractéristique permanente de ce mandat et jamais le pays n’a été aussi proche de la rupture.

Il est inutile, je pense, de revenir sur le bilan économique de ce premier mandat. Une grande majorité de mauritaniens (y compris dans les cercles les plus proches de Ould Abdel Aziz) s’accordent pour considérer que la gestion économique du pays s’apparente plus à la gestion d’une « entreprise familiale ». Durant les cinq dernières années, le pays a fonctionné comme une immense société en commandite, où Ould Abdel Aziz et ses proches étaient les commanditaires. A eux les dividendes, aux autres les sacrifices.

Mais la question économique, pour fondamentale qu’elle soit, devient parfois secondaire quand des questions plus essentielles sont en jeu. Les crises économiques surviennent et font des malheurs, mais elles finissent par passer. La plupart des pays ont connu, peu ou prou, des crises économiques ces dernières années. Certains se sont relevés, d’autres tentent encore de le faire et y parviendront.

Aujourd’hui, la question n’est pas économique, pas seulement : c’est la survie du pays qui est en jeu. Une grande partie de la classe politique (l’opposition dite « non dialoguiste ») est tenue en marge des élections. Ses électeurs n’ont aucune marge d’expression électorale et donc aucune chance de voir leurs opinions se refléter dans la gestion politique du pays.

Quand on sait que les prochains suffrages directs, toutes échéances confondues, n’auront pas lieu avant cinq ans, cela nous donne le vertige de contempler ce grand vide sidéral qui s’étend devant nous ; que se passera-t-il ? L’opposition attendra-t-elle sagement dans son coin l’arrivée d’une hypothétique chance de dialogue dans cinq ans ? La gestion unilatérale, voire unipersonnelle, du pays connaîtra-t-elle une amélioration ?

Ould Abdel Aziz présente ce second mandat comme étant la poursuite et l’accomplissement de l’œuvre commencée lors de son premier mandat.

Mais cette œuvre est elle-même contestée et laisse une grande impression de gâchis : crise politique et dialogue de sourds entre la majorité et l’opposition, cohésion nationale menacée, économie prise en otage par une poignée de nouveaux riches, mésentente et froid avec tous les pays voisins, et, par-dessus tout, absence totale de lignes claires et visibles dans la conduite du pays ; les raisons de désespérer ne manquent pas.

On peut, certes, se remonter le moral en se disant que dans tous les cas, Ould Abdel Aziz devra partir dans cinq ans et laisser la place à quelqu’un d’autre. Mais, même ce maigre réconfort semble remis en cause.

Car, on ne devrait pas se le cacher, le principal risque du mandat qui commence est de voir Ould Abdel Aziz modifier la constitution pour supprimer la limitation des mandats présidentiels. Des amis avec qui je discute parfois de cette éventualité, dont certains sont proches du pouvoir et se targuent même de bien connaître la personne, me répondent que cela est très peu vraisemblable.

Que lui-même n’y songerait pas et que ni l’opinion publique interne, ni les chancelleries occidentales n’accepteraient cette éventualité. Que cela pourrait même susciter, en réaction, un coup d’Etat militaire contre lui. Plusieurs raisons m’incitent cependant à penser que ce risque est très présent.

D’abord, d’autres présidents africains l’ont fait avant lui, moins jeunes et à la santé plus fragile. Cela n’a ému personne et certains de ces présidents sont encore au pouvoir.

Ensuite, la floraison d’ « initiatives » de soutien, grande spécialité mauritanienne, pourra être l’occasion de lancer cette idée, de l’accompagner et de la légitimer. Ces « initiatives », rappelons-le tout de même, se présentent comme populaires et spontanées alors qu’en fait elles opèrent toujours en service commandé.

Enfin, et surtout, Il l'a déjà fait!

N’oublions pas, en effet, que Ould Abdel Aziz a fait un coup d’Etat en 2008, non seulement contre la personne de Sidi Ould Cheikh Abdellahi, alors président démocratiquement élu, mais aussi et surtout contre la constitution. Une grande partie de la constitution avait été ainsi suspendue et remplacée par une charte militaire, non pas par voie de référendum, mais simplement par le fait d’une poignée de militaire réunis en Haut Conseil d’Etat qui se sont arrogé, par leur seule volonté, les pouvoirs d’une assemblée constituante.

Qu’est-ce qui empêcherait Ould Abdel Aziz de réunir les mêmes constitutionnalistes ayant rédigé la charte militaire en 2008 (il serait plus exact de parler simplement de juristes, puisque leur travail était proprement anticonstitutionnel), et de leur intimer l’ordre de rédiger un nouveau texte ? Qu’est-ce qui empêcherait les « initiatives de soutien » d’exiger que ce texte soit adopté ?

Qu’est-ce qui empêcherait les mêmes électeurs ayant reconduit aujourd’hui Ould Abdel Aziz de voter massivement pour l’adoption de cette révision constitutionnelle ?

Voilà les craintes que l’on peut avoir à l’esprit au commencement de ce second mandat présidentiel de Ould Abdel Aziz.

N’oublions pas non plus que notre régime n’est pas tout-à-fait démocratique, n’en déplaise au « griot de l’émir » ; que derrière la façade destinée à la consommation (principalement extérieure), nous demeurons encore et toujours dans un régime militaire. Ce sont bien les généraux qui tiennent le pouvoir, sous la houlette du général en chef. Il n’est un secret pour personne que les hauts gradés de l’Etat-major et du BASEP ont chacun son représentant au sein du gouvernement.

Le cachet militaire est tellement évident, qu’il en devient visible sur les édifices. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir l’immeuble de la présidence. Avant, on pouvait à partir du boulevard contempler la bâtisse et voir s’agiter au vent les cimes des palmiers les plus élevés du jardin. Depuis que Ould Abdel Aziz s’y est établi, il a surélevé les murs et installé des miradors : bunkerisée, la présidence est devenu subrepticement une annexe du BASEP, une espèce de miroir lui renvoyant son image, de l’autre côté de l’avenue.

Au surplus, si nous étions dans un pays véritablement démocratique, j’aurais naturellement signé ce papier de mon vrai nom. Au lieu de quoi, je suis contraint de recourir, comme du reste la plupart de mes concitoyens, à un nom d’emprunt, pour éviter les représailles et retours de bâton que le régime réserve à tous ceux qui ouvrent la bouche (et dont la manifestation minimale serait de perdre le modeste poste avec quoi je nourris mes enfants).

On peut ainsi supposer légitimement que ce mandat présidentiel ne sera qu’une continuation du précédent. Que le détournement des richesses du pays, l’amplification des crises politiques et sociales, la multiplication des incidents aux frontières (toutes entreprises qui légitiment aux yeux du citoyen épris de tranquillité la présence d’un régime fort et rassurant) continueront d’envelopper notre pays comme une chape de plomb. Indéfiniment…, si le verrou constitutionnel saute.

On peut de la sorte égrener sans fin les raisons de ne pas espérer, de ne rien espérer de ce second mandat. Mais gageons un instant que Ould Abdel Aziz est un homme intelligent, qu’il se préoccupe de son avenir et de celui de sa famille, et même, il est permis d’être optimiste, de l’avenir du pays. Que ferait-il alors ?

Il est permis d’espérer que Ould Abdel Aziz, qui aurait déjà amassé une fortune colossale et assuré l’avenir de ses enfants et petits-enfants, se reprenne et décide de remettre le pays sur les bons rails.

Dialogue et réformes politiques consensuels, gestion économique assainie, situation sociale apaisée, préparation du passage du flambeau à une autre personne (ou même à une autre majorité), avec au passage la réparation des torts et préjudices occasionnés à des innocents (Ould Bouamatou, spolié à l’intérieur, exilé forcé à l’extérieur, dont le seul tort connu est de s’être affranchi des lubies de son cousin présidentiel ; Ehel Abeidna, spoliés d’un permis d’exploitation minière pour cause d’appartenance à l’opposition ; Ehel Abdellahi, spoliés du permis du phosphate, jetés en prison pour cause de parenté avec Ould Taya, et j’en passe…).

Est-ce trop demander à Ould Abdel Aziz ? Je ne le pense pas. De toute façon, on lui a tellement donné qu’on est bien en droit, n’est-ce pas, de demander quelque chose en retour.

Le fera-t-il ? Nul ne le sait. Seule son intelligence en décidera. Voilà pourquoi, comme beaucoup de mes concitoyens, je balance entre l’inquiétude et l’espoir…

Al Mouritani



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Source : O.Salem
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Commentaires (7)

  • donadieu (H) 26/06/2014 15:14 X

    Cette photo à quelque chose de nouveau, pourtant le Président a d’autres photos plus jolies ,et la photo que vous avez choisie pour cet article ne lui rend pas justice.

  • sammbasy (H) 26/06/2014 12:14 X

    Il n'y a rien à espérer que des gens qui font du mensonge une philosophie de vie, et la roublardise une ligne de conduite.

  • elgader (H) 26/06/2014 11:18 X

    article génial et contenant des vérités indéniables. je suis de ceux qui pensent que le coup de mesquine constitution sera une fois encore tordue ou même complètement cassé.

    Nous attendons depuis plus 30 ans que "nos"militaires reviennent à leur casernes, si vraiment dans 5 ans il y reviendrons, nous serons encore plus heureux mais......

  • abarry45 (H) 26/06/2014 11:05 X

    Rien à ajouter à monsieur ABOUTH
    Une analyse juste, avec des bases factuelles irréfutables. C'est ça un mauritanien désintéressé des clans. Votre analyse commence à nous éclairer sur les diosaures. Ces dinosaures pensaient qu'en étant de la famille de AZIZ, ils auraient la Mauritanie à se partager, Mais AZIZ l'a bien dit " Au travail, pas d'amis pas de parents".

  • Moutalli (H) 26/06/2014 09:43 X

    Le citoyen que je suis aussi est en droit de se poser un certain nombre de questions.

    - Quelle est l'identité véritable de l'auteur de cet article et quelles sont ses motivations? Il est clair que les deux signatures sont anonymes!
    - ourquoi évoque-t-il d'emblée Mohamed Ould Bouamatou? Serait-il de son camp et auquel cas, il ne serait pas impartial?
    - Qui lui a commandé cet article?
    - Entre nous, à part Ould Abdel Aziz, parmi nos hommes poliques, qui aurait pu faire mieux en 2008, quand on sait l'état dans lequel se trouvait notre pays cet été-là? Sidi? Ahmed? Messaoud? Jemil? Sarr? Et les autres...

  • abouth (H) 26/06/2014 09:26 X

    "Une grande partie de la classe politique (l’opposition dite « non dialoguiste ») est tenue en marge des élections."
    Le président Aziz n'a jamais empêché une «grande» opposition ou une petite de participer aux élections; elle a participé aux élections de 1992, 2003, 2006, 2007 et 2009; pourquoi refuser de prendre part aux élections de 2014, alors que les conditions de transparence électorale se sont miraculeusement améliorées (CENI, Observatoire, libéralisation du paysage médiatique...) ?

    Vous suggérez qu’Aziz s’accrochera au pouvoir, pourquoi n’évoqueriez-vous pas cet aspect en ce qui concerne les vieux dirigeants de l’Opposition boycottiste? Pensez-vous qu’après s’être accroché à la présidence de leurs partis, pendant si longtemps, ils lâcherons le pouvoir, après y avoir accédé par quelque biais que ce soit ?

    « …..la réparation des torts et préjudices occasionnés à des innocents (Ould Bouamatou, spolié à l’intérieur, exilé forcé à l’extérieur, dont le seul tort connu est de s’être affranchi des lubies de son cousin présidentiel ; Ehel Abeidna, spoliés d’un permis d’exploitation minière pour cause d’appartenance à l’opposition ; Ehel Abdellahi, spoliés du permis du phosphate, jetés en prison pour cause de parenté avec Ould Taya, et j’en passe…). »

    Ce sont là les plus grosses fortunes de la Mauritanie et qui se sont accaparés, des décennies durant, des ressources économiques du pays (marchés publics, mines, monopoles commerciaux ..etc). Pensez-vous, Monsieur, qu’il est de l’intérêt de la Mauritanie, de revenir au temps sinistre où ces fortunés géraient l’économie du pays, au détriment d’une écrasante majorité d’affamés, soumise à la brutalité du régime que vous défendez tacitement, le pouvoir de Taya ? Peut-on comparer le climat de libertés actuel avec la brutalité du régime de Ould Taya, qui a brisé l’unité de ce peuple, à travers des affres que le président Aziz a réparé en grande partie ?

    Votre émotion sélective au sujet des hommes les plus fortunés de ce pays, n’est pas partagée par l’armée des pauvres et déshérités mauritaniens, la mentalité que vous incarnez constitue la plus grande source d’instabilité et de malheur pour ce pays. Vous auriez dû évoquer le sort des campements nomades, des adouabas, des villages peulhs, de ces bidonvilles misérables qu’aucun pouvoir, autre que celui de Aziz, n’a osé soulager. .

    Vous vous lamentez sur un passé honni par une écrasante majorité de vos concitoyens qui vote pour Aziz, vous êtes un privilégié (haut fonctionnaire, ami des fortunés de ce pays) et vous incarnez l’égoïsme et vous devriez comprendre que la Mauritanie, la sous-région et le monde entier, ont évolué… irréversiblement.

  • abarry45 (H) 26/06/2014 07:49 X

    Pas de prisonnier politique, pas de journaliste emprisonné.
    Mes personnes ayant recours à la violence ne resteront pas impunies, le désordre ne sera jamais toléré.
    La Police et la justice passent