26-09-2014 10:12 - Pêche : d’une stratégie sectorielle à une politique nationale maritime intégrée

Pêche : d’une stratégie sectorielle à une politique nationale maritime intégrée

Sidi El Moctar Ahmed Taleb - Depuis des décennies déjà, on parle du Ministère des pêches et de l’économie maritime. Cette appellation ou approche consistant à mettre la pêche en parallèle avec l’économie et en avant de celle-ci, avait alors, peut être, sa justification.

Mais aujourd’hui, après 38 ans environ d’expérimentation d’un ministère chargé et de la pêche et de l’économie maritime, il est, à mon avis, temps de concevoir une politique nationale maritime intégrée.

A cet effet, il s’imposerait que la réflexion reparte du fait que l’économie maritime englobe toutes les activités économiques liées aux océans, aux mers, aux côtes et autres, et d’agir dans le cadre d’une vision portant sur le développement harmonieux d’un ensemble de thématiques dont notamment : la pêche et produits de la mer; la recherche scientifique marine; la formation maritime; le transport maritime; le courtage maritime; les ports; la sécurité et la sûreté maritimes; l’environnement maritime; la construction navale; les gisements (offshore pétrolier); les banques et assurances maritimes; la classification; l’industrie nautique; les énergies maritimes renouvelables; l’action de l’Etat en mer, etc.

Comme la Mauritanie est un pays en voie de développement, toute tentative de concevoir une politique globale fondée sur ce nouveau concept de « économie maritime », devra d’abord, tenir compte du niveau actuel de développement de notre pays et des acquis réalisés, et ensuite, procéder à la sélection des thématiques correspondant aux moyens du pays et aux exigences raisonnables de son développement dans le cours et le moyen terme.

Dans une deuxième étape, arrivera la détermination des objectifs au sein de chacune des thématiques retenues et puis la proposition d’une ossature pour la nouvelle politique, c'est-à-dire le choix des axes autour desquels elle s’articulera et au sein desquels s’insèreront harmonieusement, et par axe, des objectifs globaux, des objectifs spécifiques et des actions prioritaires ; ces éléments étant importants dans la définition des moyens humains, matériels et financiers nécessaires pour la mise en œuvre de ladite politique nationale maritime intégrée et, en l’occurrence, les stratégies sectorielles devant en découler ultérieurement.

Ainsi, cette stratégie nationale constituera la référence pour les différents départements de l’Etat concernés par l’une ou l’autre des thématiques liées à l’économie maritime.

Il est par ailleurs évident que ce premier niveau d’organisation doit s’inscrire ou s’insérer dans un cadre juridique et institutionnel plus global, adéquat et satisfaisant ou répondant aux conditions d’une bonne gouvernance marquée par la souplesse et l’éthique.

En ce qui concerne le secteur génériquement appelé « le secteur de la pêche et de l’économie maritime », cette nouvelle vision et l’approche qui permettra sa concrétisation le mettront dans une situation difficile et ce pour les quelques raisons suivantes :

•La difficulté pour la génération actuelle aux commandes dans la pêche de sortir du cadre habituel de réflexion et de travail (l’exemple du dernier protocole 2012-2014 RIM-UE est édifiant à ce sujet quand tout le mondé s’est érigé contre les nouvelles conditions techniques et financières de ce protocole);

•Les stratégies disponibles pour développer séparément les différentes thématiques au sein de leurs départements respectifs actuels, sont incomplètes et non cohérentes dans l’ensemble; la tentative avec le CSLP est, certes, une véritable percé, mais reste encore insuffisante ;

•L’absence, au plus haut niveau, d’une vision déjà prête à ce sujet et répondant à cette nouvelle approche fort systémique ; c'est-à-dire l’absence d’une vision pouvant constituer une source d’inspiration pour les experts de ce secteur ou les contraindre à élargir leurs horizons ;

•La persistance d’une sorte de confusion dans les attributions et missions de certains organes de l’Etat concernés, notamment ceux chargés de la pêche, de l’équipement et des Transport, de l’environnement et de la Zone Franche de Nouadhibou.

Dans les lignes qui suivent, sera procédé à une analyse brève des principales thématiques devant être comprises par la réflexion à laquelle les pouvoirs publics sont ici invités. Ceci aidera à mieux comprendre l’idée de commencer par une politique nationale maritime intégrée à partir de laquelle les départements, concernés par une thématique ou plus, pourront repenser leurs stratégies sectorielles respectives.

La pêche :

Cette idée d’aborder la pêche en tant qu’une thématique de l’économie maritime, conduirait certainement à une révision de cette appellation de « Ministère des Pêches et de l’Economie Maritime » de manière à, d’un côté, bien refléter son champ de compétences en termes de thématiques mises sous sa tutelle et de l’autre, à mettre en exergue celles prioritaires pour sa promotion et le développement du pays en général.

La pêche proprement dite et l’aquaculture dans l’océan, dans le fleuve et dans les eaux continentales, resteront longtemps pour nous les principales activités de tout ministère à envisager dans ce domaine. Seulement, il serait opportun de bien recentrer les attributions du futur Ministère et de les repréciser nettement afin qu’il puisse, en conséquence, s’occuper de choses claires et s’attaquer aux priorités selon les politiques nationales de développement.

D’autres éclaircissements seront apportés au niveau des thématiques commentées ici et un deuxième article traitera d’autres aspects liés aussi bien à la thématique "pêche et produits de mer" qu’à la stratégie en cours d’élaboration pour le secteur des pêches et de l’économie maritime.

Recherche scientifique marine:

N’eût été l’amalgame observé au niveau des attributions de certaines structures de l’Etat en ce qui concerne particulièrement les aspects relatifs à l’économie maritime, les missions statutaires actuelles de l’IMROP seraient acceptables. La recommandation à lui faire à ce sujet, serait d’aller progressivement dans la mise en œuvre de ses missions tout en regardant chaque fois les moyens disponibles ou sûrement mobilisables et en ayant constamment à l’esprit le caractère appliqué de ses recherches dans leur ensemble.

En fonction des attributions souhaitée pour son ministère de tutelle, cet institut aura besoin de certaines reprécisions en ce qui concerne son rôle en matière d’environnement marin en général et de l’étude des milieux, de validation des études d’impact et du classement des zones protégées, en particulier. Aussi, il aura besoin de pouvoir accompagner les opérations d’exploration et d’exploitation du pétrole offshore ainsi que les projets du développement de l’énergie renouvelable maritime.

En somme, il s’agit d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité d’actualiser ou repréciser davantage certaines missions de l’IMROP et de tirer l’alarme contre tout risque de dérapage vers les prestations de services au détriment des missions essentielles dont dépend étroitement le développement continu du secteur des pêches et justifiant sa raison première d’être.

Formation maritime :

Le fait que la formation maritime relève désormais d’une Académie sous la tutelle du Ministère de la Défense, facilite la tâche aussi bien à la marine marchande qu’à la pêche. Celle-ci continuera alors à former, à la demande de ses clients, dans ces deux domaines sachant que leurs métiers se rassemblent mais utilisent généralement une nomenclature plus ou moins différente.

A propos, les qualités incontestables du nouveau Premier Responsable de notre Académie, l’emmèneront à relever le défi quant à concevoir des programmes conformes aux besoins du pays et satisfaisant les normes (pédagogiques) requises pour ce genre de formation et à ériger ce nouveau né en un organisme crédible auprès des partenaires techniques et financiers et de ses pairs au niveau sous-régional et international.

Seule la formation de la main d’œuvre artisanale retiendra l’attention des gestionnaires de notre nouvelle Académie et les fera s’appesantir sur des détails (pêche artisanale) dont ils auraient pu s’en dispenser (cadeau fourré).

Transport maritime :

Aujourd’hui, le transport maritime se limite chez nous au bac de Rosso pour les personnes et à des navires affrétés pour les marchandises. En conséquence, les deux options suivantes seraient envisageables:

1) Continuer le statu quo malgré la confusion que suscite la situation actuelle;

2) Etudier la possibilité de :

-adopter, dans le respect des conventions internationales, un texte (loi) confiant au département chargé de la pêche la gestion des navires, de la main d’œuvres, du classement, des assurances et des hypothèques maritimes pêche ainsi que le domaine public maritime;

-rattacher tous les autres aspects relevant traditionnellement de la marine marchande au Ministère chargé de l’équipement et des transports.

Dans le premier cas, le Ministère chargé des pêches continuera, en dehors des limites de la zone franche, à exercer sa tutelle sur les ports qu’ils utilisent. Au contraire, dans le deuxième, ces ports devront être rattachés au Ministère chargé de l’équipement et des transports.

Cependant ceux à vocation pêche devront être construits par ce département sur l’initiative de la pêche et puis cédés à cette dernière dans le cadre d’une convention d’exploitation précisant, entre autre, le monopole des interventions de réparation des ouvrages aux seuls agents de l’équipement et des transports.

Environnement :

C’est la thématique qui crée actuellement le plus de problèmes en matière de conflits de compétences, non seulement en mer mais surtout dans la zone littorale difficilement délimitable et fortement affectée par les activités déroulées sur le continent voisin.

Alors l’Etat doit, d’urgence, trouver une solution à la situation qui prévaut actuellement. Faute d’un arbitrage conséquent, le Ministère chargé de l’environnement pourra rétrocéder, par conventions, une partie de ses prérogatives à l’Autorité de la Zone Franche de Nouadhibou et à d’autres départements tels que la pêche, l’équipement et le transport, les mines et énergie, l’industrie, aménagement du territoire, etc.

Construction navale :

C’est une activité qui régresse à l’échelle mondiale, notamment pour les navires de pêche industrielle qui nous intéresse ici. A cet égard, notre pays devra limiter son ambition à des chantiers de réparation dimensionnés d’une part, sur une flotte nationale industrielle qu’on rêve maintenir en vie et d’autre part, sur celle côtière dont le développement est plus plausible et réaliste. En tout cas, un contrôle rigoureux des chantiers de construction pour la pêche artisanale et côtière devient impératif.

Une bonne politique de maîtrise de l’effort de pêche artisanale et côtière, montrera cependant que l’appétit de nos constructeurs locaux pour leurs outils de production n’est vraiment pas justifié. Seule l’élimination des embarcations en bois (artisanales et côtières) pourra soulager ces constructeurs, y compris nos projets avec des partenaires étrangers visant à construire des navires adaptés surtout à la mentalité des mauritaniens et à de nouvelles orientations du secteur.

S’agissant des autres thématiques de cette fameuse économie maritime, on les passe sous silence dans cet écrit. Car celles-ci sont soit hors de notre porté –et le resteront pour longtemps- comme l’industrie nautique, soit ne posent pas de problèmes majeurs par rapport à l’idée d’une politique nationale maritime intégrée.

Par ailleurs, réfléchir pour "une croissance bleue" comme l’ont fait déjà les pays UE, emmènera les mauritaniens à dépasser les éternelles querelles sur la rente des accords de pêche et leur réduction de l’objectif d’intégration du secteur à des opportunités d’emploi et à une valeur ajoutée diffuse, souvent difficile à mesurer et dont l’impact est peu ressenti. Autrement dit, on se rendra aisément compte que toutes les politiques jusqu’ici adoptées ne pouvaient pas conduire aux objectifs économiques ambitieux chaque fois affichés dans les multiples stratégies antérieures.

Enfin, j’espère n’avoir pas créé plus de confusion ou brouiller davantage, avec cette approche si systémique, les esprits de ceux concernés par l’élaboration d’une nouvelle stratégie pour le secteur des pêche ou préoccupés, pour des intérêts égoïstes et des raisons souvent contre toute logique, par garder telle ou telle thématique sous la tutelle de leurs départements respectifs.

Malgré le contexte, le vrai but de cette contribution, reste uniquement celui de rappeler, à ceux qui l’oublient souvent, que l’Etat est unique et de les inviter, en conséquence, à s’habituer à réfléchir dans le cadre d’un même pays, pour un même pays et pour un même peuple.

Dr Sidi El Moctar Ahmed Taleb




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