12-02-2015 13:12 - Irabiha mint Abdel Weddoud, présidente de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, dans une interview exclusive
Le Calame - "La mauvaise image dont pâtit la Mauritanie s’explique par l’utilisation contre-productive de la liberté de presse et d’expression, par des organisations et mouvements politiques égarés"
Le Calame : En décembre dernier, vous avez remis au président de la République votre rapport annuel d’activités. Quels évènements majeurs ont marqué l’année écoulée ?
Irabiha mint Abdel Weddoud: Je voudrais commencer par vous rappeler que la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) est une institution constitutionnelle consultative de conseil, observation, alerte et médiation, en matière de respect des droits humains et de droit humanitaire.
Notre mandat consiste à donner des avis, au gouvernement, sur la législation afférente aux droits humains ; contribuer à la diffusion de la culture de ces droits et, enfin, promouvoir la recherche, l’éducation et l’enseignement des droits de l’Homme.
Conformément aux dispositions de la loi régissant la CNDH, le rapport annuel au titre de l’année 2014-2015, actuellement en phase de collecte et d’analyse, devra d’abord être remis au président de la République, en avril prochain, avant d’être publié. Je vous invite donc à patienter, pour en découvrir le contenu, mais nous pouvons déjà vous affirmer que des avancées et des défis ont été relevés, notamment dans les domaines des droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que l’accès des jeunes et des femmes à la démocratie participative et aux instances de responsabilité.
- Au cours de l’année 2014, combien de personnes, physiques ou morales, ont saisi votre organisation pour violation de leurs droits ? Qu’avez-vous fait pour eux ?
- Conformément à son mandat d’institution constitutionnelle indépendante, la CNDH apporte une assistance, en matière de promotion et de protection des droits de l’Homme. Nous traitons, à cet égard, les saisines des citoyens et des étrangers, pour diverses questions, et nous leur apportons une assistance juridique et un accompagnement devant les autorités administratives, ainsi que les sociétés. La moyenne générale est de plusieurs dizaines de cas par mois.
Ces saisines concernent, essentiellement, les conflits du travail, les litiges familiaux, les violences contre les femmes et les enfants dans la sphère familiale, les problèmes fonciers, les problèmes des migrants, l’assistance juridique aux détenus et les enfants en conflit avec la loi.
- Toujours en Décembre, la Mauritanie a célébré, à l’instar de tous les autres pays du Monde, la Journée internationale des droits de l’homme. Que répondez-vous à ceux qui se demandent à quoi sert cette journée en Mauritanie ?
- La Journée internationale des droits de l’Homme, que la Mauritanie, à l’instar des autres nations, célèbre le 12 décembre de chaque année, consacre la force de la Déclaration universelle pour changer le monde. Cette journée nous rappelle que les droits de l’Homme sont essentiels et indivisibles « 365 jours par an », thème de l’année 2014. Chaque jour est donc une journée des droits de l’homme : une journée pendant laquelle nous œuvrons pour assurer que toutes les personnes puissent être traitées avec égalité, dignité et liberté.
- L’année 2014 s’est refermée sur le procès et la condamnation des militants de défense des droits de l’homme, Biram Dah ould Abeïd et deux de ses compagnons. Que répondez-vous à ceux qui disent qu’ils ont été embastillés uniquement pour leurs opinions politiques ?
- La Mauritanie est un Etat démocratique et l’Etat de Droit présuppose que nul n’est au-dessus de la loi. Je voudrais signaler que monsieur Biram a exprimé librement ses opinions politiques, à travers la campagne électorale, et ce, dans les media publics et privés et n’a, en aucun cas, été inquiété.
Il n’a donc absolument pas été embastillé, comme vous le prétendez, mais condamné, à l’issue de son procès, pour des faits avérés de trouble à l’ordre public, agression sur les forces de sécurité et refus d’obtempérer aux ordres de la loi.
Pour les personnes privées de liberté, la CNDH se préoccupe des conditions de détention et de l’absence de tortures, ainsi que de la légalité de la procédure, en cas de procès, qui doit être juste et équitable. Dans le cas de monsieur Biram et de ses codétenus, les droits de la défense ont été respectés et un recours a été déposé devant la Cour d’appel.
- Le droit de manifester est reconnue par la Constitution mais on constate, hélas, que les forces de l’ordre mauritaniennes répriment violemment les manifestants, comme ce fut le cas, récemment, avec les leaders du Manifeste des Harratines qui entendaient organiser un sit-in devant le ministère de la Justice ; les militants de la CLTM, cherchant à vulgariser l’arsenal juridique sur les pratiques esclavagistes ou les anciens FLAM qui voulaient tenir congrès dans un hôtel de la place…Qu’en pense la CNDH ?
- Le droit de manifester est, certes, un droit reconnu dans la loi fondamentale mais il est soumis à une autorisation préalable. Faute de celle-ci, tout attroupement sur la voie publique devient une infraction à l’ordre public. La Mauritanie, comme tous les Etats démocratiques du Monde, soumet donc les manifestations à l’autorisation préalable qui concerne, conformément à la loi, « tous les cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d'une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique ». Il est donc logique que la protection de la liberté de réunion qui englobe la liberté de manifestation se fasse dans la limite de la sûreté publique.
- Des prisonniers salafistes ayant purgé totalement leur peine de prison ont organisé une mutinerie à la prison civile de Nouakchott. Selon diverses sources, il existerait d’autres situations de détention abusivement prolongée. Comment de pareils cas peuvent survenir dans un Etat de Droit ? Que fait la CNDH, pour que pareils cas ne se répètent pas ?
- Comme il est d’usage en ce cas de figure, la CNDH a diligenté une enquête indépendante dont les recommandations ont été adressées à l’Administration. Dans ce cas précis, la détention au-delà du délai prévu par le jugement s’explique par de nouveaux chefs d’accusation formulés par le Parquet et les recours multiples intentés par leurs avocats.
- Pourquoi, en dépit de l’arsenal juridique criminalisant l’esclavage ou ses séquelles, les organisations de défense des humains continuent à en révéler des cas, et notre pays à en pâtir, au plan international ?
- Les rapports sur lesquels se basent l’opinion publique internationale, qui méconnaît, totalement, les réalités de notre pays, comme ceux de Walk Free, une ONG australienne, d’Anti Slavery, basée aux USA, et Amnesty International, à Londres, sont élaborés, unilatéralement et à dessein, par des organisations mauritaniennes dont certaines ont intégré, en leur sein, des étrangers et qui déforment la réalité, pour donner plus d’impact et d’ampleur à leur combat, aux antipodes de la défense des droits humains.
Par contre, les Nations Unies, par l’intermédiaire de la rapporteure spéciale sur les formes contemporaines de l’esclavage et la Communauté internationale, via des ONG crédibles, comme le Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) de France ont salué les efforts entrepris, par la Mauritanie, pour éradiquer les séquelles de l’esclavage et ses pratiques modernes qui ont existé, de façon transversale, dans toutes les ethnies.
Au final, cette mauvaise image dont pâtit la Mauritanie s’explique par l’utilisation contre-productive de la liberté de presse et d’expression, par des organisations et mouvements politiques égarés, dont la finalité est de faire voler en éclats l’unité nationale que les pouvoirs publiques n’ont cessé de renforcer, depuis 2009, par des actions d’apaisement, de réconciliation et de concorde sociale.
- Pourquoi, à votre avis, la Mauritanie gagne-t-elle des points, en matière de liberté de presse, et peine, en matière de respect des droits de l’Homme ?
- Ne voyez-vous pas le paradoxe de cette problématique, contre nature, de respect de la liberté de la presse par un Etat qui violerait les droits de l’Homme ? Il a toujours été admis que la liberté de la presse est, par essence, le référentiel du respect des droits de l’Homme, ce qui existe, indéniablement, en Mauritanie.
L’essor de la liberté de la presse concrétise la promotion et la protection des droits de l’Homme, illustrée par la mise en place d’un cadre juridique exhaustif, des institutions fonctionnelles et un vivier humain (société civile, partis politiques, système judiciaire) dynamique.
La vision, biaisée, d’un Etat de droit respectueux de la liberté de la presse, qui lutte, efficacement, contre la pauvreté, promeut les droits des couches les plus vulnérables, concrétise, efficacement, sa volonté politique, à travers des programmes salués par tous mais qui « peine », en matière de respect des droits de l’Homme, relèvent plus d’un drame à la Tartuffe de Molière : « Cachez cette réalité que je ne saurai voir »…
- La question des droits de l’Homme mobilise, en Mauritanie. Peut-on connaître le nombre d’organisations qui y travaillent et quels rapports entretenez-vous avec elles ?
- La liberté d’association repose sur le principe qu’elle constitue un droit essentiel, au même titre que la liberté d’expression, pour que puisse s’exercer l’ensemble des autres droits civils et politiques, progresser davantage les droits économiques et sociaux. La vivacité de notre démocratie se mesure à l’aune de cette liberté d’association, concrétisée par une floraison d’organisations dont le nombre avoisine les six mille.
La CNDH est constituée, en grande majorité, d’organisations de la société civile, élues pour un mandat de trois ans, et nous poursuivons un programme de renforcement des capacités de ces ONG, dans le domaine de la protection et de la promotion des droits humains, à travers de multiples espaces de dialogue. Nous les appuyons, également, par des formations dans le cadre de la mise en place du futur mécanisme national de prévention de la torture, logé au sein de la CNDH.
- Quelle place occupe notre pays, dans le classement mondial d’Amnesty international ?
- Au-delà des classements concoctés par les ONG qui se basent sur des analyses partisanes, à travers des variables composites non fiables, il n’échappe à personne que la Mauritanie est un Etat de Droit dont le système se fonde sur la démocratie pluraliste.
Sa vitalité est attestée par la multiplicité des élections, à tous les niveaux auxquelles participent activement, d’ailleurs, les acteurs qui dénigrent, aujourd’hui, le pays et s’activent à lui coller un mauvais classement, dans toutes les arènes des droits de l’Homme. La pudeur, face à la manipulation et aux mensonges, ne doit pas nous contraindre à rester inerte. Il est temps d’affirmer, haut et fort, que la Mauritanie n’est pas un pays esclavagiste ni raciste ni discriminatoire.
Propos recueillis par AOC