12-02-2016 07:00 - Libre Expression. Services Publics Analogues en Mauritanie (SPAM) / Par Mohamed Sidi Abderrahmane Brahim, Avocat

Libre Expression. Services Publics Analogues en Mauritanie (SPAM) / Par Mohamed Sidi Abderrahmane Brahim, Avocat

Mohamed Sidi Abderrahmane Brahim - SPAM est, à l’origine, un acronyme anglais qui désigne charcuterie indigeste « SPiced hAM ». Contrairement au terme Québécois POURRIEL, la locution SPAM n’est pas formellement péjorative. Le dictionnaire larousse.fr définit SPAM par « Courrier électronique non sollicité envoyé en grand nombre à des boites aux lettres électroniques ou à des forums».

Nous savons qu’un message utile peut ne pas être sollicité, des fois, il est même censuré. A l’instar de multiples Décrets, cet article, porte création d’un acronyme national: SPAM ou Services Publics Analogues en Mauritanie.

Les établissements publics, sont traditionnellement, classés en EPA et en EPIC. D’une vision différente, cet article révèle l’existence d’une variété appelée SPAM. Il ne serait pas surprenant que certains, essayent de déjouer la conception en qualifiant l’analyse, elle même, de SPAM: l’auteur qui traite les affaires publiques, comme le gouvernant, doit envisager des commentaires déplaisants.

Selon l’éminent juriste Léon Duguit, l'État n'existe pas. Il n'est qu'un faisceau de services publics. De son point de vue l'existence du pouvoir d'État ne se justifie qu’en vue de garantir la possibilité de rendre des services à la collectivité. Il y a lieu de citer que la théorie des Services Publics est contestée par Maurice Hauriou, leader de l’école de la Puissance Publique. Le citoyen (usager) - en contrepartie du bénéfice qu’il tire du service public - est redevable d’apporter toute assistance susceptible de rehausser les piliers de l’Etat. Et c’est dans ce contexte que j’inscris cette contribution.

Nous constatons que durant la dernière décennie, les autorités Mauritaniennes ont créés des services publics multiples. Les nouvelles créations ont souvent vu le jour par des décrets pas très adaptés à l’environnement juridique national. Le non respect de la fameuse hiérarchie des normes n’est pas l’unique reproche. L’anomalie c’est la surcharge inadéquate car les services nouveaux cohabitent avec les services authentiques qui demeurent opérationnels. J’ai traité, depuis quelques semaines, la problématique des institutions parallèles en arabe et je trouve adéquat, à travers cette analyse, de mettre les citoyens francophones dans le bain.

D’abord la mise en évidence du phénomène (I), puis une rétrospective sommaire des inconvénients des SPAM (II) Et enfin, la conclusion sera consacrée aux recommandations (III).

I.

L’éclatement de la Wilaya de Nouakchott divisée en trois, a été précédé par la création de plusieurs services qui exercent parallèlement et dans les mêmes étendues des services authentiques, toujours en place: les attributions des nouveaux nés croisent souvent les compétences des ainés, ce qui, juridiquement parlant, entraine des conflits.

Sept (7) cas de SPAM seront cités, dans cette analyse qui ne va pas jusqu’au bout. Car la statistique ne semble pas exhaustive :

1. L’Inspection Générale de l’Etat (créée par décret 122-2005), analogue à la Cour des Comptes (créée en vertu de l’article 68 de la Constitution et régie par la loi n° 19-93). Au lieu de créer un organe dépendant de l’exécutif, les autorités pouvaient réhabiliter la Cour des Comptes, à la quête d’un contrôle plus efficace des biens publics. Instituer, par décret, une structure pour opérer, parallèlement à une institution constitutionnelle et s’accaparer partiellement de ses attributions, constitue un dépassement et une pratique mal fondée du point de vue droit. La norme réglementaire doit obligatoirement se conformer à la norme, hiérarchiquement, supérieure.

2. Le Haut Conseil de la Fatwa et des Recours Gracieux (créé par décret 134/2012), opère parallèlement au Haut Conseil Islamique (créé en vertu de l’article 94 de la Constitution). Le HCI et le Médiateur de la République, qui étaient en place, pouvaient bien partager les taches du nouveau rival et épargner la trésorerie de l’Etat des frais du HCFRG.

3. Le Groupement Général de la Sécurité des Routes « G.G.S.R » (créé par la loi 2010-032 en date du 20 juillet 2010), est désormais chargé, de la police routière, de l’émigration clandestine, de la lutte contre les stupéfiants, de faire face au terrorisme et du maintien de l’ordre en général (art. 3). Donc le G.G.S.R a tacitement pris la relève de la Police Nationale : corps créé depuis l’indépendance. Pourtant il était plus avantageux d’améliorer la Police, connue à travers le monde, au lieu de « dissiper la poudre » de l’Etat par la création d’un corps anonyme: que la majorité des Mauritaniens ne reconnaît, toujours, que par le nom du Premier Commandant Général, appelé ailleurs. Les usagers ont, actuellement, du mal à reconnaitre les agents du G.G.S.R. qui ont changé, soudainement, d’uniforme. Equitablement parlant, nos visiteurs étrangers sont censés ignorer ce corps.

4. La Garde Côte Mauritanienne (créée par la loi 041-2013, en date du 12 novembre 2013) opère parallèlement à la Marine Nationale (corps authentique des forces armées). La loi portant création de la garde côte la définit comme étant « une force de sécurité responsable de l’action civile de l’Etat ». Contrairement à la Garde Nationale, la Garde côte Mauritanienne est civile !

Deux raisons pour rejeter le statut hybride et s’en tenir au statut militaire réel : en plus de la connotation du mot GARDE, La GCM est dirigée par deux officiers de la marine nommés commandants. Des officiers en uniforme aux commandes d’un personnel mixte dont des gradés et des cadres civils. Le paysage semble paradoxal surtout quand on songe à l’ordre: qui prime ? Le grade militaire ou l’indice civil ?

Les opérateurs du secteur des Pêches ont souvent réclamé que l’appréciation des infractions maritimes soit du ressort d’une entité impartiale et une telle condition doit être un préalable de la transparence du secteur des pêches en Mauritanie.

5. Le Mécanisme National de Lutte contre la Torture (créé par la Loi 034-2015, en date du 10 septembre 2015), une fois en place, rivalisera avec la Commission Nationale des Droits de l’Homme. Pourtant la CNDH pouvait être corrigée et réhabilitée pour s’occuper de l'engagement pris par l’adhésion de la Mauritanie au Protocole Facultatif à la Convention des Nations Unies contre la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. (Résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies A/RES/57/199, le 18 décembre 2002). J’avais anticipé la surcharge par la publication sur CRIDEM, en mars 2015 (bien avant la loi 034-2015), d’une mise au point intitulée : Pourquoi l’Etat crée une deuxième commission des droits de l’homme ?

La curiosité m’a emmené, au moment de rédiger cette analyse, à voir la formation de chacune des entités : l’article 5 de la loi 034-2015 stipule que le Mécanisme National de Prévention de la torture se composera de 13 membres et l’article 11 de la loi 031-2010 abrogeant et remplaçant l’Ordonnance 2006-015 portant institution de la Commission Nationale des Droits de l’Homme stipule qu’elle se compose de 19 membres délibérants. Je devine, par le « rapprochement des membres » qu’il y a une volonté de radier la CNDH.

La déclaration de M. JUAN ERNEST MENDEZ, rapporteur spécial des nations unies sur la torture, à l’issue d’une visite officielle de dix jours en Mauritanie, doit attirer l’attention des pouvoirs publics : « il y a un décalage entre la législation et les pratiques sur le terrain … les garanties juridiques contre la torture et les mauvais traitements sont en place, mais ne sont pas appliquées .. ».

Sur le terrain nous sommes bien placés pour juger qu’il n’y aura pas de progrès en matière du respect des droits de l’homme tant que les responsables du dossier dépendent du pouvoir. Les forfaits continueront car les protecteurs doivent faire face aux agents de l’autorité publique qui sont, souvent, les auteurs principaux des atteintes. Même en cas de commission d’abus par autrui, les pouvoirs en place ont le devoir d’enquêter et de poursuivre s’il y a lieu.

6. La Commission pour la Transparence Financière de la Vie Publique (créée par la loi 2007-054), cohabite avec Le Comité National de l’initiative sur la Transparence des Industries Extractives (créé par Décret 2006-001, modifié par Décret 2006-029, abrogé par Décret 2009-231). Pourquoi ne pas gommer les deux entités fantômes, et fonder une structure réelle avec des acteurs capables:

- d’édifier les mauritaniens sur les déclarations de patrimoine et de sommer les réticents d’accomplir les obligations légales.

- de chercher des informations complètes et certaines pour publier un rapport ITIE, fiable et pertinent.

- de dénoncer les commissions et la corruption en vue de préparer les côtes Mauritaniennes pour le confort de la transparence dans le domaine des pêches. La mise en place d’une structure en glass peut limiter la gabegie et donner aux mauritaniens l’espoir d’une note meilleure sur l’IPC de Transparency International qui continue à infliger, à notre pays, des blâmes successifs.

7. Le Commissariat aux Droits de l’Homme, à la Lutte contre la Pauvreté et l’Insertion (créé par Décret 89-98 du 2 juillet 1998), a été, lui aussi, répété par la création de l’Agence Nationale TADAMOUN, pour la Lutte contre les Séquelles de l’Esclavage, l’Insertion et la Lutte contre la Pauvreté (créée par Décret 048-2013 en date du 28 mars 2013). Pourtant un compromis peut régler le différend mineur qui peut naître de l’ordre des mots du Commissariat, d’une part et de l’agence, d’autre part : « lutte contre la pauvreté et insertion » et « insertion et lutte contre la pauvreté » c’est kif-kif. La différence de genre, elle aussi, ne saurait empêcher l’un de substituer l’autre, surtout dans un régime d’égalité des sexes.

II.

Les inconvénients, des Services Publics Analogues en Mauritanie, se résument en trois points essentiels:

1. Contrairement aux règles de bonne gouvernance, les créations analogues ont pour effet la dislocation inutile des deniers publics.

2. Le partage des compétences humaines et la dispersion des efforts entre les rivaux : prive le service public (unique) d’une conjugaison avantageuse des expertises et des forces.

3. Le « régime des SPAM », donne aux commis du service public, un prétexte pour renvoyer l’usager: Nous avons suivi, les derniers jours sur une télévision nationale, la déclaration d’un citoyen. Qui a affirmé - qu’après être avertis du cambriolage en cours de sa boutique au marché de la capitale - s’est précipité pour demander les secours. Et que les agents de la force publique de plusieurs corps lui ont répondu que l’intervention demandée n’est pas de leur ressort.

III.

En conclusion, L’existence de services publics parallèles en Mauritanie s’explique, souvent, par des obligations externes. Les conventions internationales, ratifiées sans hésitation, contraignent les autorités à procéder à des créations précipitées et sans études préalables. Il est à vérifier, s’il arrive, que des créations aient eu lieu, dans le but de fournir un siège convenable à une notabilité civile ou militaire. Sur le terrain le constat fait état d’un pays parmi les moins avancés, qui, pourtant, regorge de ressources naturelles. Dispose d’une masse ascendante d’entités civiles et militaires, de corps, de conseils et de commissions...

Le mal c’est que le panorama, de multiples structures, demeure sans incidence sérieuse sur le progrès économique et social. L’improvisation et la maladresse ont souvent corrompu le processus du développement. Pourquoi procéder à une nouvelle création, s’il y a possibilité d’ajuster une structure existante pour s’occuper d’un portefeuille ? Et si l’intérêt public exige de concevoir une nouvelle institution : pourquoi rater l’occasion de débarrasser le trésor public du fardeau de la structure dépassée, de facto, devenue inutile ?

Je ne saurai terminer, avant de coller un probant extrait, du livre (Evoluer vers le simple) de Thierry Feller : « Beaucoup de gens, aujourd'hui, ne se fixent jamais des objectifs précis. Leur existence, à l'image d'un bateau balloté par les vagues et poussé de-ci de-là par des vents capricieux, est caractérisée par le laisser-aller et le laisser-vivre. Ils prennent les choses comme elles viennent avec philosophie. C'est la dispersion, l'action sans but, le contraire de l'efficience.».

In fine, j’estime qu’il est temps que les mauritaniens se consacrent à la bataille du développement de leur pays. Le concours de tous est indispensable, pour assurer une gestion saine des institutions. Le recours aux compétences nationales et l’inspiration des expériences humaines à travers le monde, constituent la voie de toute action rassurante.

Mohamed Sidi Abderrahmane Brahim
Avocat.



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