25-10-2016 16:33 - Cri de cœur des paysans de Dar El Barka (Brakna)
Journal Le Terroir - Au nom des communautés villageoises de Dar El Barka, nous avons l’honneur de porter à l’attention des pouvoirs publics, des partis politiques, des organisations de la société civile et de tous les citoyens mauritaniens épris de paix et de justice, ce qui suit :
Notre pays a connu à la fin des années 80 et au début des années 90 du siècle précédent de douloureux évènements qui ont valu à des centaines de milliers de mauritaniens, des déportations massives vers le Sénégal suivies d’expropriation de toutes formes. Les 20 années que nous avons passées dans ce pays voisin avaient suscité chez nous des tas d’inquiétudes et de frustration à telle enseigne que nous avions perdu tout espoir de retrouver un jour notre patrie.
En 2007, à la faveur de la transition qui avait suivi le putsch du 3 août 2005 qui a renversé le dictateur O/ Taya et l’élection de Sidi O/ Cheikh Abdallahi à la Présidence de la République, le gouvernement mauritanien, par le biais de son ministre de l’intérieur de l’époque, M. Yall Zakaria, s’est engagé à résoudre l’épineuse question du passif humanitaire.
Ainsi, il s’est engagé au cours d’une grande rencontre tenue au Camp de Ndioum, d’organiser un retour digne des déportés et le rétablissement de leurs droits spoliés (terres, bétail, pièces d’état-civil etc.). Cette décision historique avait fait renaître un réel espoir chez nous de revenir au bercail après tant d’années d’exil forcé.
Cependant, force est de constater que depuis notre retour au terroir, il y a près d’une décennie, aucune clause de l’Accord tripartite (Mauritanie/Sénégal/HCR) n’a été respecté par notre gouvernement. Nous n’avons pu jusque-là recouvrer nos biens (terres et bétail) confisqués par les autorités et pire, nous n’avons même pas pu accéder aux pièces d’état-civil (un droit pourtant élémentaire).
Mieux que tout cela, l’Etat qui récuse de nous rétablir dans nos droits, s’engage dans une politique d’accaparement des terres qu’il attribue à des investisseurs étrangers. Ainsi, en 2015, à notre surprise générale, nous avons observé des topographes dans la cuvette de Karawlatt-Woullou Ndiaye. Limitée à l’est par Bour Walo et la bretelle goudronnée desservant Dar El Barka, à l’ouest par le village de Boubou Diané, au nord par le marigot de Kundi et au sud par l’ancienne piste Dar El Barka-Boghé, cette cuvette a toujours été la propriété des communautés tribales et familiales de Dar El Barka et environs, toutes couches confondues. Elle a toujours été exploitée par ces communautés après le retrait des eaux du fleuve Sénégal comme l’atteste des traces de cultures qui s’y trouvent malgré des années de sécheresse. En plus, nous disposons de documents coloniaux justifiant notre droit de propriété sur ces terres.
Ayant constaté cette usurpation, nous avons mis sur pied un comité de pilotage chargé de discuter avec les autorités compétentes tant au niveau départemental, régional que national. C’est dans cette foulée que le 24 octobre 2015, la gendarmerie a procédé à notre arrestation et à la destruction de nos cultures dans la cuvette alors que nous avions entamé les semis de décrue. Depuis lors, aucun accord n’a pu être trouvé pour résoudre ce différend.
Face à cette situation chaotique, nous ne pouvons que nous interroger et interroger les pouvoirs publics et prendre à témoin l’opinion publique. En nous privant de ces 3200 ha, ne cherche-t-on pas à nous appauvrir, à nous affamer et à nous pousser vers l’exil forcé ? Que nous restera-t-il comme moyen de subsistance ? Cette politique d’expropriation des terres ne rame-t-elle pas à contre-courant avec le fameux slogan « lutte contre la pauvreté » entonné avec pompe par le Président et son gouvernement ? Peut-on prétendre lutter contre notre misère en nous privant de 10500 ha dans le Walo et 31000 ha dans le Djéry ? La CPI n’a-t-elle pas raison de considérer désormais l’accaparement des terres comme un crime contre l’humanité ?
Comme si cela ne suffisait pas, la ministre de l’agriculture, Mme Lemina M/ El Qotob a enfoncé le clou au cours d’une réunion tenue ce vendredi 21 octobre à la SONADER de Boghé en nous martelant la vieille chanson : « les terres, comme le poisson et les mines, appartiennent à l’Etat », « les ayant-droits n’ont pu apporter la moindre preuve de leur propriété sur cette cuvette ». Elle répondait à l’interpellation que nous lui avons faite à ce sujet quelques minutes auparavant. En effet, nous lui avons fait signifier que « la volonté affichée par le gouvernement pour développer l’agriculture » est en contradiction flagrante avec la politique d’accaparement des terres dans la vallée et leur rétrocession à des sociétés étrangères. Ces propos ont fait rougir Mme la ministre qui n’a pas trouvé autre solution de nous couper la parole.
Cette attitude montre encore une fois, le mépris et la légèreté avec lesquels l’Etat aborde des questions aussi importantes que les affaires foncières.
Face à cette situation préjudiciable à la paix civile et à la cohésion sociale, nous lançons un vibrant appel aux pouvoirs publics pour qu’ils se ressaisissent et prennent en compte les aspirations et les gémissements des citoyens qu’ils sont censés protéger et défendre.
Amadou Mamadou Guèye
Cheikh Tahar Dia