23-02-2018 10:35 - G5 Sahel : Le défi sécuritaire

G5 Sahel : Le défi sécuritaire

France Culture - Pour que la force militaire conjointe soit efficace, les 5 pays du G5 Sahel réclament un soutien financier de la part de la communauté internationale. Une nouvelle conférence de financement a lieu ce vendredi à Bruxelles. Retour sur l’origine du G5 Sahel et sur les défis à relever.

L’argent, le nerf de la guerre… Ce vendredi, une nouvelle conférence a lieu à Bruxelles concernant le financement de la force conjointe du G5 Sahel. Le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad attendent beaucoup de cette conférence de donateurs pour récolter de nouveaux fonds.

Car pour le moment, les pays du G5 peinent à boucler le financement de cette force censée combattre les différents groupes djihadistes, nombreux dans la région.

Aux origines du G5 Sahel
Le Sahel géographique recouvre un territoire de 3 millions de km2. La zone est l’une des plus pauvres au monde, avec un climat aride, dont "les variations saisonnières et inter-annuelles engendrent des conséquences dramatiques pour la population", selon Patrice Gourdin, docteur en histoire.

Mais il rappelle que le seul facteur climatique n’explique pas toutes les difficultés de la région. "Quatre pays sur cinq (excepté la Mauritanie donc) sont enclavés, l’absence d’accès à la mer rend vulnérable la zone sahélienne au bon vouloir et/ou à la situation intérieure des pays voisins possédant des ports.

Cet enclavement n’est pas sans poser problème, notamment en matière d’infrastructures, de communications."
De plus, ces pays ont peu des ressources naturelles, "l’agriculture est en ruine, l’industrie inexistante et des services peur développée en dehors de l’économie informelle". La zone est également gangrenée par la corruption, les gouvernements peinent à assurer la sécurité et la justice.

Le Sahel géopolitique, le G5 Sahel a été créé en février 2014, à Nouakchott, en Mauritanie. Le Niger, le Mali, le Burkina Faso, le Tchad et la Mauritanie ont décidé de coordonner leurs actions pour combattre les attaques djihadistes dans la bande Sahelo-saharienne.

Une alliance sécuritaire, qui vise aussi à "garantir des conditions de développement, et promouvoir un développement régional inclusif et durable", selon les termes du site officiel du G5.

Serge Michailof, chercheur associé à l’Iris, ancien directeur de la Banque mondiale, et ancien dirigeant de l’Agence française de développement assure que "ces pays ont tous des ressources limitées" :

Ces pays ont tous des ressources limitées. Leurs économies sont faibles, et leur appareil sécuritaire est nécessairement de très petite taille. Les djihadistes ne connaissent pas de frontières et passent d’un pays à l’autre, d’où la création d’un G5 Sahel, qui facilite en particulier les actions de poursuite au-delà des frontières nationales.

Une menace multiple

Le manque de sécurité dans le Sahel, mais aussi une "dégradation des conditions de vie et la partialité des gouvernements ont entraîné une montée en puissance des groupes salafistes", selon l’historien Patrice Gourdin. Parmi la mosaïque de groupes armés, il existe deux principaux groupes, Daech et Al Qaïda. D'un côté, le groupe Etat islamique dans le grand Sahara, soutenu par Boko Hara.

De l'autre, le "groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans", qui est le résultat d’une fusion avec le groupe malien Ansar Dine, le Front de libération du Macina et de l’émirat du Sahara (branche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique), et du groupe algérien Al Mourabitoune.

Mais le risque djihadiste n’est pas la seule menace. Il faut prendre en compte également l’insécurité alimentaire et le risque sanitaire, martèle Patrice Gourdin (lors du conférence donnée en juin 2017). "Les clivages ethniques accentués par la pauvreté peuvent, en période de pénurie, évoluer en rivalités voire en affrontements, notamment pour l’accès aux ressources.

Le banditisme est également un problème car les États sont défaillants en matière de sécurité."
Il ajoute : "Face à la pauvreté, une partie de la population se radicalise. Des rébellions (par exemple au Tchad contre le président Deby, ou les Touaregs au Mali) ont éclaté, mais les dissensions tribales et la diversité ethnique ne facilitent pas les ralliements, au demeurant fluctuants".

Force militaire conjointe

Le G5 Sahel a fondé, en juillet 2017, une force militaire conjointe pour sécuriser les frontières, notamment, la zone dite des trois frontières aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso. La première opération appelée Hawbi, vache noire, a eu lieu entre octobre et novembre 2017.

Quelques 500 soldats ont été mobilisés, nigériens, burkinabais et maliens, chargés de sécuriser cette zone où pullulent les groupes djihadistes et les groupes criminels organisés.

Le bilan de l’opération Hawbi est en demi-teinte. De l’aveu même du colonel nigérien Mahamadou Mounkaila, il y a eu des "problèmes logistiques", "c’est une première mission, nous avons beaucoup de leçons à tirer mais je ne pense pas que ce soit insurmontable", a-t-il ajouté. Une deuxième opération a été lancée le 15 janvier, toujours dans la même zone, sans précision sur le détail de la mission, "pour des raisons de sécurité", selon les ministres de la défense des cinq pays.

Défi financier

La force conjointe du G5 Sahel prévoit d’atteindre d’ici mars 2018 une capacité de 5 000 hommes, répartis en sept bataillons : deux pour le Mali et le Niger, un pour le Tchad, le Burkina Faso et la Mauritanie. Cet objectif est-il tenable ? "La force se heurte à des problèmes de financement, détaille le chercheur Serge Michailof.

Son coût annuel est de l’ordre de 220 millions d’euros. La France, qui finance déjà l’opération Barkhane (environ 650 millions d’euros) ne peut assurer seule ce financement.

L’Union européenne a promis 50 millions, ce qui est parfaitement ridicule quand on connait ses ressources. Alors on est allé chercher l’Arabie Saoudite, qui promet 100 millions d’euros mais quand on connait le rôle néfaste de ce pays dans la diffusion de l'idéologie Wahhabite au Sahel c'est un peu faire appel à un pompier pyromane...

Je pense que le financement sera bouclé pour 2018 mais le problème risque de se reposer chaque année."
D’où l’importance de cette nouvelle réunion de donateurs à Bruxelles ce vendredi.

Le Sahel, un enjeu international

L’instabilité de la zone sahélienne est prise au sérieux par la communauté internationale. La force sahélienne est appuyée par l’opération française Barkhane, présente depuis 2014, avec 4000 hommes, qui contiennent et tentent de réduire l’expansion des djihadistes. Deux militaires français ont été tués ce mercredi dans une attaque.

Outre cet appui militaire, il y a les détachements américains au Niger, avec des drones, et un bataillon allemand qui forme l’armée malienne, mais aussi des programmes d’appui technique et de formations importants, financés par l’Union européenne pour les armées locales et les services de sécurité. Et puis il y a la force des Nations Unies, la Minusma, avec 13 000 hommes. Serge Michailof

Les moyens militaires, LA solution ?

Des voix s’élèvent pour critiquer la force conjointe du G5 Sahel, notamment le groupe de réflexion "International Crisis Group". Dans un rapport publié en décembre, le groupe écrit : "Cette force, reste à construire. Elle soulève de nombreuses questions sans réponses quant à son financement, sa capacité opérationnelle, la coopération politique entre ses cinq membres et sa place dans un espace sahélien où se bousculent des initiatives militaires et diplomatiques parfois concurrentes."

La force est encore largement expérimentale, ajoute le rapport. Pour qu’à l’avenir elle soit opérationnelle, selon le groupe de réflexion, il faudra que les cinq pays l’intègrent dans un cadre plus large, dotés d’objectifs politiques : "Dans les zones où agit la force du G5 et si elle arrive à les pacifier, des espaces de négociation locaux doivent être rapidement ouverts et des canaux de communication avec certains chefs de groupes djihadistes, issus des terroirs sahéliens doivent être maintenus ou réactivés."

Pour d’autres, le problème sécuritaire au Sahel ne peut pas se résoudre uniquement par des moyens militaires. Selon Serge Michailof :

L'enjeu est de créer au plus vite des emplois pour les jeunes sahéliens qui se retrouvent aujourd'hui avec des économies atones et sans espoir d'insertions économique et sociale. C'est possible en particulier dans le domaine rural où de gros investissements sont nécessaires pour relancer une économie rurale largement en panne.

Il y a un potentiel non exploité mais les financements budgétaires de ces pays comme l'aide internationale boudent ce secteur, pourtant majeur. Un autre problème est la nécessité de reconstruire ou de consolider les appareils d'Etat qui pour certains pays, et en particulier le Mali, sont en ruine.

L'Algérie, absente du G5

L'Algérie reste étonnamment absente du G5 Sahel. Le pays a pourtant plus de 3000 km de frontière avec les principaux pays du Sahel : Mauritanie, Mali, et Niger. L'Algérie est elle aussi touchée par les attaques djihadistes : lors de la dernière attaque importante, il y a 5 ans, 40 employés ont été tué dans la prise d'otage sur le site gazier d'In Amenas, dans le Sahara algérien.

"Mais depuis, l'Algérie n'a pas évolué, explique Kader Abderrahim, maître de conférence à Sciences Po, spécialiste du Maghreb et de l’islamisme, _le pays n'a pas changé de paradigme et souhaite rester ce pays qui résiste à toute forme d'évolution, et je dirais, à presque toute forme de réalité_.

Aujourd'hui, c'est tout de même difficile d'imaginer pouvoir combattre seul le terrorisme pour un pays qui traverse une grave crise institutionnelle et économique".


Les raisons pour lesquelles l'Algérie refuse de participer à la lutte anti-terroriste du G5 restent floues. "Personne ne sait quelle est sa politique, selon Serge Michailof, chercheur associé à l’Iris, et surtout si elle en a une, ou s'il n'y pas 3 ou 4 politiques différentes conduites par des entités différentes.

Elle est en tout cas largement responsable de la dégradation sécuritaire ayant poussé des groupes djihadistes au Sahel pour s'en débarrasser. Elle a également géré médiocrement sa médiation lors des accords d'Alger, en 2015 avec le Mali.

De plus, ses services de sécurité manipulent certains groupes djihadistes au Mali, en particulier Ansar Dine".
Une hypothèse qu'évoque également Kader Abderrahim, "et cela provoque une complexification de la situation pour l’Algérie et ses voisins. Ça agrandit le spectre dans lequel il faut combattre le terrorisme".



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Source : France Culture
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