18-10-2018 08:29 - Mauritanie/Sénégal. Gaz – Momar Nguer, Total : «Il y a de fortes attentes de la population»

Mauritanie/Sénégal. Gaz – Momar Nguer, Total : «Il y a de fortes attentes de la population»

Jeune Afrique - Le patron sénégalais de l’aval de Total entend continuer la diversification des produits et services vendus dans ses stations. Et déplore l’interventionnisme des politiques sur les prix à la pompe. C’est sans doute le cadre africain le plus haut placé au sein d’une major pétrolière.

Né au Sénégal et diplômé de l’Essec, en France, Momar Nguer, 59 ans, est entré en 1984 chez Total et n’en est plus jamais parti, gravissant une à une les marches de l’échelle managériale avant d’être nommé, à la fin de 2016, patron de l’ensemble de la division marketing et services – les réseaux de distribution de carburant et boutiques –, mais aussi membre du comité exécutif du groupe.

Une double responsabilité qui a fait de ce passionné du continent – notamment de son art contemporain –, doté d’un redoutable sens commercial, l’un des principaux collaborateurs du PDG, Patrick Pouyanné.

Jeune Afrique : Bientôt trente-cinq ans chez Total, c’est une longévité rare chez les dirigeants de haut niveau, même dans l’industrie. Pourquoi êtes-vous resté ?

Momar Nguer : Parce qu’à chaque étape de ma carrière j’ai eu à me renouveler. Quand on m’a nommé la première fois au Cameroun, à mes débuts, je ne connaissais même pas l’Afrique centrale. Au Kenya, où j’ai été directeur de la filiale, j’ai eu, en plus de la responsabilité du réseau de stations-service, à gérer une activité de raffinage que je n’avais jamais eue auparavant.

Et de retour à Paris, nommé patron régional, à la tête de vingt-trois pays et territoires, de l’Éthiopie jusqu’à Tahiti, c’était là encore un sacré challenge ; tout comme quand, par la suite, je suis devenu patron de l’activité aviation du groupe au niveau mondial, expérience au cours de laquelle j’ai dû par exemple gérer les relations avec des syndicats parfois en grève dans les aéroports…

Finalement, je ne suis jamais resté plus de cinq ans à un même poste, et à chaque nouvelle nomination j’ai eu à sortir de ma zone de confort.

Votre parcours est essentiellement africain, mais dans des régions et à des responsabilités très variées. Le fait d’être africain y a-t-il changé quelque chose ?

Le fait d’être africain a été et est toujours un avantage important dans mes relations sur le continent, du pompiste jusqu’aux ministres et aux présidents. Les gens sur le terrain sont fiers des cadres africains qui ont des responsabilités.

Du fait de mes origines sénégalaises, j’ai clairement bénéficié d’une plus grande proximité avec mes interlocuteurs. Et d’une meilleure compréhension de l’environnement économique et social de mes clients, des pompistes et autres salariés.

Comment interprétez-vous votre nomination par Patrick Pouyanné, le PDG de Total, à la tête de toute la division marketing et services, ainsi qu’en tant que membre du comité exécutif du groupe, il y a deux ans maintenant ?

Quand Patrick Pouyanné m’a proposé ces responsabilités, je lui ai posé la question suivante : “Me nommes-tu parce que je suis africain ou bien pour mes compétences en marketing ?” Et il m’a répondu qu’il me choisissait d’abord pour mes compétences. D’ailleurs, au comité exécutif, nous ne sommes que deux à ne pas être ingénieurs. J’y donne certes mon regard d’Africain, d’origine sénégalaise, mais aussi et surtout de professionnel du marketing. Je m’exprime sur tous les sujets et toutes les géographies.

Dans votre mission au comité exécutif, avez-vous un mandat spécifique en Afrique pour discuter avec les autorités politiques, y compris dans l’exploration-production ?

Oui, c’est effectivement l’une de mes missions au sein du comité exécutif. D’ailleurs, quand je voyage sur le continent aujourd’hui, ce n’est pas uniquement pour mes responsabilités de dirigeant de la partie distribution de Total, mais aussi pour certains projets du groupe dans l’exploration-production.

J’ai notamment été à plusieurs reprises au Sénégal, où j’ai rencontré le président Macky Sall, en Ouganda, où j’ai dialogué avec le président Yoweri Museveni, et en Côte d’Ivoire, où j’ai discuté avec le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Et j’ai revu le président Uhuru Kenyatta, que je connais depuis longtemps.

Des découvertes majeures de gaz ont été faites au large des côtes du Sénégal et de la Mauritanie par la junior pétrolière Kosmos Energy, associée à BP pour leur exploitation. Total a également pris des licences d’exploration dans ces deux pays. N’y a-t-il pas des attentes démesurées vis-à-vis de ces gisements ?

Bien sûr, il y a de fortes attentes de la population vis-à-vis du gaz. Mais le président Macky Sall connaît parfaitement les enjeux du secteur extractif. Il est géologue de profession, formé à l’Institut français du pétrole, et il a travaillé au sein de la compagnie nationale Petrosen. Il n’est pas dans la surenchère optimiste sur les revenus futurs du pétrole.

D’ailleurs, dans les prévisions budgétaires du Sénégal, le gouvernement sénégalais n’a inscrit aucun revenu prévisionnel tiré du gaz. Et c’est peu ou prou la même chose en Mauritanie avec le président Mohammed Ould Abdelaziz, qui est dans la même logique. Avec les découvertes gazières majeures qui ont été faites, j’en connais beaucoup qui auraient annoncé des mesures imprudentes, telles qu’un revenu minimum de 1 000 dollars dans cinq ans !

Êtes-vous optimiste sur la bonne coopération entre deux pays, la Mauritanie et le Sénégal, qui ont par le passé eu des différends politiques ?

Les discussions entre Dakar et Nouakchott à propos des champs gaziers se sont bien passées si l’on compare avec d’autres litiges pétroliers frontaliers, notamment entre le Cameroun et le Nigeria, au sujet de la presqu’île de Bakassi, ou même entre le Ghana et la Côte d’Ivoire.

Le Sénégal et la Mauritanie ont pris l’habitude de travailler ensemble, notamment au sein de l’Organisation de mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), qui fonctionne très bien ! Je ne suis pas inquiet, ils ont établi entre eux leurs règles du jeu, et ils s’y tiendront.

Après une période difficile de chute du cours du baril, celui-ci a remonté à quelque 85 dollars ces derniers jours. Qu’est-ce que cela change pour votre réseau de distribution ?

Total est un groupe intégré. Nos résultats dans la distribution de carburant sont moins sensibles aux variations de prix du baril, avec un taux de marge assez stable, ce qui n’est pas le cas de la division exploration et production. Globalement, le groupe se porte mieux à ce niveau des cours plutôt élevé du fait de l’importance de la production.

Dans la distribution de carburant, la question qui se pose avec cette remontée est la manière d’ajuster les prix à la pompe, dans des marchés qui sont le plus souvent régulés en Afrique. La tentation est grande pour les dirigeants politiques de ne pas faire bouger les prix, notamment en cas d’échéances électorales.

Mais c’est un choix dangereux, d’une part parce que certains États doivent parfois, malgré tout, augmenter les prix en catastrophe à cause de l’endettement généré par le statu quo, devenu insupportable ; et d’autre part, cela laisse croire que le prix du carburant dépend du bon vouloir des politiques, ce qui est faux. Personnellement, je suis partisan de faire évoluer les prix à la pompe une fois par mois.

Total détient le premier réseau de stations-service du continent. Comptez-vous surtout étoffer les services que vous y offrez, notamment en dehors du carburant, où êtes-vous encore dans une recherche d’acquisition ?

Nous avons le premier réseau de distribution de carburant avec 4 500 stations-service, sur lesquelles sont installées 3 000 boutiques. Ces points de vente constituent le premier réseau de distribution commerciale du continent, devant le sud-africain Shoprite ! Pour toucher un public africain le plus large possible, les grands groupes de biens de consommation devraient penser à Total en premier lieu !

C’est pourquoi nous sommes en pleine discussion avec différents groupes pour nouer des accords de distribution : dans l’entretien des véhicules, la restauration, les produits agroalimentaires, mais aussi les services de banque et d’assurance, ou la réservation d’hôtels. Nous développons de nouveaux services, et notamment le paiement par mobile au travers d’une application disponible dans nos stations, toutes reliées à internet.

Élaborée par la start-up sénégalaise In Touch, dans laquelle Total a pris des parts, elle est déjà accessible dans les stations-service de huit pays ouest-africains et a vocation à multiplier les interfaces. À terme, nous souhaitons que l’application d’In Touch soit prochainement disponible sur l’ensemble de notre réseau.

Nous souhaitons aussi que la part « non carburant » du chiffre d’affaires de nos stations-service passe de quelque 15 % actuellement à 30 %. Mais cette stratégie n’est pas exclusive. Nous sommes aussi à la recherche de bonnes acquisitions sur le continent, notamment de petits réseaux nationaux.

Aujourd’hui, vous travaillez à l’échelle mondiale, et non plus seulement en Afrique. Pouvez-vous nous donner un exemple d’une démarche issue du continent mise en place ailleurs ?

Nous cherchons à étendre ailleurs le programme « jeune gérant », expérimenté avec succès d’abord en Afrique subsaharienne. Pour gérer nos stations-service, plutôt que de nous associer avec des hommes d’affaires locaux disposant d’un fonds de roulement, Total a préféré former et prêter de l’argent à des jeunes pompistes motivés et instruits.

En leur mettant le pied à l’étrier – avec une avance de fonds de quelque 200 000 dollars pour les stations-service des grandes villes africaines –, nous nous sommes dotés d’un réseau mené par des entrepreneurs déterminés et concentrés sur cette seule activité, ce qui fait la différence par rapport à nos concurrents qui sont dans une démarche plus financière que commerciale.

Ce succès du programme « jeunes gérants », nous le mettons en œuvre actuellement dans les Caraïbes, à la Jamaïque notamment, où nous comptons une soixantaine de stations-service.

Par Christophe Le Bec





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Source : Jeune Afrique
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