27-01-2019 23:15 - Égypte : derrière le business, le « partenariat stratégique » de Sissi avec Macron

Égypte : derrière le business, le « partenariat stratégique » de Sissi avec Macron

Le Point Afrique - Le président français se rend en Égypte du 27 au 29 janvier pour sa première visite dans ce pays depuis son élection en mai 2017. L'objectif affiché est de renforcer les relations économiques avec cet allié « stratégique » dans la lutte contre le terrorisme.

Le président Abdel-Fattah al-Sissi mise sur les contrats civils, ceux qui correspondent au « grand bond en avant » que l'ex-maréchal souhaite pour son peuple, qui a montré, à deux reprises depuis les manifestations contre Moubarak en 2011 et deux ans après son successeur Mohamed Morsi, que le peuple de la vallée du Nil est capable de se révolter contre son dirigeant.

Du coup, le militaire aujourd'hui au pouvoir prend ses précautions. Il a éliminé les islamistes qui voulaient peu à peu instaurer la charia, continue de les combattre dans les villes et le désert en sachant que, pour gagner « les cœurs et les esprits », il faut que le peuple mange à sa faim. Aujourd'hui, on parle de développement. La population souhaite un toit, le téléphone portable et des moyens de transport pour sortir des embouteillages monstres qui paralysent Le Caire.

« Un immense marché »

C'est dans ce contexte que se déroule la première visite officielle, de trois jours, d'Emmanuel Macron en Égypte avec un objectif : signer des contrats industriels pour un milliard d'euros dans ce pays de 100 millions d'habitants.

Veolia, Vinci, SNCF, RATP, en tout, une cinquantaine d'entreprises françaises accompagnent le chef de l'État pour participer à l'extension du métro du Caire, à la rénovation de son musée et du canal de Suez, qui fête ses 150 ans, à la création d'un parc éolien ou à la construction de l'immense ville nouvelle que le président Sissi fait construire dans le désert à côté du Caire, vieux, pollué et surpeuplé.

La nouvelle capitale administrative du pays voit le jour grâce aux dizaines de milliers d'ouvriers et à une noria de camions qui travaillent sur le plus grand chantier d'Afrique. Autoroutes à douze voies, aéroport, mosquée gigantesque, mais aussi immense église coopte pour montrer que les chrétiens qui peuplaient la vallée du Nil plusieurs siècles avant la venus de l'islam sont des Égyptiens à part entière.

Ce n'est pas la première fois qu'un président essaie de bâtir des villes nouvelles pour désengorger Le Caire, où on suffoque l'été. Cette fois-ci, le raïs a mis le paquet : 40 milliards d'euros, des espaces verts, et un palais digne des pharaons, censé remettre la nation égyptienne au premier plan sur la scène internationale, grâce au soutien des Émirats et de l'Arabie saoudite qui prêtent, et investissent, dans le pays.

Un marché considéré comme un eldorado par Emmanuel Macron, qui ne se contente pas cependant de contrats civils. Dans la ligne de son prédécesseur à l'Élysée, il vise lui aussi à développer la vente de matériel militaire.

Une percée de la France dans l'armement

Si ce voyage présidentiel est placé sous le signe, somme toute assez classique, de l'économie, il est aussi destiné à décrocher de nouveaux contrats d'armement. Depuis 2014, l'Égypte est devenue le premier client de la France concernant ses exportations d'armes.

Sept milliards de chiffres d'affaires pour sept bateaux de guerre, dont trois corvettes en construction à Alexandrie, et vingt-quatre avions Rafale qui représentent le montant le plus élevé des commandes.

Douze autres sont en attente de signature. Sans compter les missiles, radars, systèmes d'armes et, mis en cause par les ONG, les blindés fabriqués par Renault Trucks, vendus pour combattre les terroristes islamistes dans le Sinaï et que le régime a, selon Amnesty International, déployés dans les rues du Caire pendant des manifestations qui ont tourné au bain de sang.

Mais l'Élysée assure qu'il n'y aura pas de contrat militaire lors de la visite de Macron

Plusieurs organisations des droits de l'homme ont appelé la France à cesser ses ventes d'armes à l'Égypte et accusé Emmanuel Macron de cautionner la politique répressive de l'ex-maréchal Abdel Fattah al-Sissi qui met ses opposants politiques, souvent islamistes, en prison. En fait, ce chef militaire est devenu un partenaire stratégique de la France depuis qu'il a « acheté » les deux porte-hélicoptères de type Mistral que François Hollande avait refusé de livrer à la Russie après sa guerre en Ukraine et son annexion de la Crimée.

Un contrat secret en ce qui concerne les montants exacts et les modalités de paiement qui devaient être réglés par l'Arabie saoudite, alliée de l'Égypte et de la France, en particulier dans le dossier libyen, où Le Caire et Paris soutiennent le maréchal rebelle Haftar qui contrôle l'est du pays et ses puits de pétrole. Pour le président Sissi, « un partenariat stratégique » avec la France, désormais avocat de son client en fournitures militaires, est désormais acquis.

L'Allemagne, qui refuse de vendre des armes à Riyad depuis l'assassinat, en octobre dernier, du journaliste Khashoggi à Istanbul par des sbires du régime saoudien, a perdu son contrat pour la construction de deux navires de guerre destinés à l'Égypte. Une rétorsion de Riyad qui a refusé de régler le montant de la facture.

Ces bâtiments seraient remplacés par deux frégates françaises de type Gowind construites par Naval Group. Une coopération avec Le Caire qui s'étend à la Libye, sanctuaire de groupes djihadistes qui opèrent en Égypte et au Mali, où les soldats français luttent contre les terroristes, ennemis communs aux deux pays.

Après Jean-Yves Le Drian, proche à une époque du maréchal Haftar, les « affaires libyennes » sont désormais conduites, selon une lettre confidentielle sur le renseignement, par un militaire du 13e régiment de dragons parachutistes, où il est, semble-t-il, apprécié. Ancien de cette unité placée sous l'autorité du commandement des forces spéciales, il a été nommé conseiller à l'Élysée avec le grade de commandant. Il rencontre au Caire un adjoint du maréchal Haftar, soutenu par les forces armées et les services de renseignements égyptiens.

Question sensible dans un contexte d'atteintes aux droits de l'homme

Cette proximité française avec les maîtres de la Cyrénaïque suscite la méfiance du chef du gouvernement de Tripoli, Sayez el-Sarraj, une région où le pétrole est exploité par l'Italie, dont le vice-président du Conseil, Luigi Di Maio, vient d'attaquer la France « colonialiste » qui contribue, selon lui, au départ des réfugiés « en appauvrissant l'Afrique ».
Le « partenariat stratégique » choisi en fait par le président Sissi offre des perspectives commerciales de plus en plus grandes pour le gouvernement français à la recherche de marges de manœuvre budgétaires, mettant en jeu des montages financiers de plus en plus importants.

Aussi, c'est le ministre de l'Économie Bruno Le Maire qui est allé en précurseur au Caire pour préparer la visite d'Emmanuel Macron, et s'assurer du bon déroulement des contrats à venir et passés, qui comprennent encore des encours malgré les prêts du FMI, les réformes économiques drastiques du président Sissi et l'aide financière des Émirats et de l'Arabie saoudite.

Pour Emmanuel Macron, comme jadis Nicolas Sarkozy avec Moubarak balayé par son peuple, l'Égypte du président Sissi n'est pas seulement une alliée contre le terrorisme, mais une nouvelle terre à conquérir pour les entreprises françaises, malgré les risques de séismes populaires qui peuvent encore secouer le pays, toujours en guerre contre le terrorisme islamiste.

Par Patrick Forestier



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