29-04-2019 00:00 - [Libre Expression] Notre-Dame de Paris : des souvenirs mémorables qui interpellent un jeune lettré

[Libre Expression] Notre-Dame de Paris : des souvenirs mémorables qui interpellent un jeune lettré

Béchir Fall - Je n’aurais sûrement jamais écrit ces lignes si le récent incendie du célèbre monument n’avait pas été retransmis en direct durant plusieurs heures par toutes les grandes chaines de télévision du monde entier donnant ainsi à l’évènement une ampleur planétaire.

Mais ce n’est pas tout, il se trouve surtout que j’avais lu précocement, il y a 45 ans, le roman culte de Victor Hugo qui a tant contribué à la notoriété de l’édifice si bien que l’incendie vécu en direct a réveillé en moi des souvenirs impérissables rejaillissant au fur et à mesure que défilaient les scènes spectaculaires de flammes crépitant sans arrêt.

Quelques heures après le chaos qui a failli détruire ce joyau de l’architecture médiévale, l’ouvrage d’Hugo avait complètement disparu des rayons de toutes les librairies de France et de Navarre.

Les maisons d’édition promirent alors des tirages de plusieurs dizaines de milliers d’ouvrages pour les jours suivants, en vue de satisfaire l’intérêt inattendu des nombreux lecteurs pour ce chef d’œuvre dont la seule évocation aura suffi pour libérer le jeune lettré qui sommeille en moi depuis des lustre Des décennies auparavant, lycéen studieux saisi d’une insatiable boulimie de lecture, je trépignais d’envie et d’impatience de dévorer toutes mes proies – entendez quelques grands classiques de la littérature française – parmi lesquelles figurait le roman dédié à la cathédrale Notre-Dame de Paris devenue une sempiternelle curiosité pour des millions de visiteurs de la capitale française.

Dès l’entame de l’ouvrage, une difficulté s’était vite dressée sur mon chemin à travers une fastidieuse lecture d’une centaine de pages environ au cours desquelles Victor Hugo se consacra à une longue et méticuleuse description des lieux. Ainsi tous les détails de cette architecture gothique, que le romancier s’évertua à rendre géniale, étaient passés au crible ; bien sûr, il ne se priva pas d’égratigner au passage les erreurs dans certains choix des architectes de l’église. Les éditions récentes du roman semblent avoir supprimé ou rétréci cette longue tirade sur l’art gothique qui pouvait paraître inaccessible et parfois épuisante à certains lecteurs pressés d’en découdre avec des personnages pleins de sarcasmes qu’Hugo avait le don de rendre si attachants.

Pourtant le novice que j’étais s’était résolu à ne sauter aucune ligne face au somptueux patrimoine du moyen âge que l’auteur déroulait avec passion. Cette étape ne fut pas inutile. Au contraire, elle me permit de retenir une précieuse leçon : avoir sur tous les sujets une nette préférence pour la recherche approfondie, au contraire d’une analyse superficielle.

Passée cette épreuve, les personnages centraux du roman apparurent avec une extrême densité. Quasimodo, le sonneur de cloches, à la fois bossu, borgne et boiteux, mais infiniment humain, était tout le contraire, sur un strict plan physique, de la belle, naïve et innocente Esméralda, une bohémienne espiègle cristallisant tous les regards de la meute des loups aux longs crocs qui peuplait le roman et au rang desquels le ténébreux et odieux prêtre, maitre incontesté des lieux, fulminait sans cesse ; la cour des Miracles avec ses gueux, ses éclopés et ses brigands ne fut pas en reste.

Comme toutes les grandes œuvres littéraires, Notre-Dame de Paris ne pouvait échapper à la critique. On reprocha à Victor Hugo de n’avoir point traité de spiritualité sur plusieurs centaines de pages mais d’avoir privilégié des intrigues fatales de ses personnages, un peu trop humains sans doute. Même le vicaire général de la cathédrale fut saisi d’une passion amoureuse qui le dévorait et l’éloigna irrémédiablement de son sacerdoce.

Certains auteurs, dont Lamartine et même Balzac, perçurent dans ce déchainement d’ivresses sentimentales l’anticléricalisme hugolien et reprochèrent ainsi au roman de manquer d’âme. A quelque chose, pouvait-on dire, malheur est bon ; en effet, la restauration de l’édifice partiellement ravagé par les flammes a été promptement décidée. Des centaines de millions d’euros ont été collectées en quelques jours, grâce surtout aux grands mécènes du CAC 40.

Or la vraie restauration fut celle que Victor Hugo a entrepris de réaliser en publiant, dès 1831, son chef d’œuvre pour réhabiliter un édifice vieilli et malmené par d’incessantes dégradations. À l’époque, l’édifice en quasi déshérence souffrait de tous les maux, vols et saccages répétitifs, qui ont atteint le comble après la révolution française.

Et c’est à ce moment que le plaidoyer du célèbre écrivain a permis de sauver la cathédrale en la tirant de l’anonymat de telle sorte que, plus de dix ans après la sortie du roman, une véritable restauration se mettait enfin en place. La bonne Dame pouvait ainsi bénéficier d’une véritable cure de jouvence.

Quelques années plus tard, lors de mon premier séjour à Paris, je décide de rendre visite au majestueux monument devenu une attraction touristique incontournable. Délaissant l’ascenseur, je choisis une interminable montée des centaines de marches d’escalier dont l’état semblait dater de l’époque du roman, pour tenter d’atteindre le sommet. Ce fut dur ! Mais le but était atteint. Très épuisé, j’étais en face de la fameuse cloche de Quasimodo. Une victoire à la Pyrrhus assez chèrement payée du reste ! Mon retour au rez-de-chaussée s’effectuera naturellement via les ascenseurs.

Pour les autres séjours à Paris je me contentais de flâner sur le parvis de Notre-Dame en observant joyeusement les nombreux oiseaux picoter des grains jetés à terre par les habitués de cette place mythique, un regard furtivement jeté à l’édifice de temps à autre pour me remémorer les personnages qu’Hugo avait façonnés dans la démesure et qui marquèrent profondément le jeune homme amoureux de la littérature française.

Avant de conclure, un dernier retour au roman. La fin m’avait réservé une surprise de taille. Je suis resté longuement captivé pour ne pas dire pétrifié par une image d’une rare intensité dont seul le génie de Victor Hugo sait mettre en relief avec brio. Cette image symbolique scella pour l’éternité le sort de deux malheureuses vies dont les nombreux déboires respectifs contribuèrent à désunir dans le tourbillon d’un monde si cruel.

P S : Au sujet de la restauration des monuments historiques, il m’est, bien entendu, interdit de passer sous silence les destructions volontaires, par des hommes en délire, des sites archéologiques de Palmyre en Syrie ainsi que de la bibliothèque de Tombouctou au Mali.

Ses sites classés patrimoine mondial de l’UNESCO devront être restaurés et définitivement mis à l’abri de la folie des hommes qui les ont défigurés ou détruits en grande partie. L’élan de solidarité qui a bénéficié à Notre-Dame de Paris devrait être le même pour ces sites, sous l’égide de l’UNESCO cette fois ci, lorsque la paix sera revenue sur les terres qui abritent ces lieux archéologiques d’une beauté et d’un intérêt hors du commun.

BECHIR FALL

Juriste, Expert International en Stratégies Sociales (et non moins Amoureux des belles lettres)



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Source : Béchir Fall
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Commentaires (1)

  • cccom (H) 29/04/2019 08:00 X

    Ce jeune lettré plutot fils de nos 'ancêtres les Gaulois" va facher certains , comme l'offre plusieurs milliards de Dollards de l'Arabie séoudite à la réhabilitation de la cathédrale . Au lieu de penser à notre Dame de Paris,n'avons nous pas d'autres thémes plus urgents et plus porteurs qui doivaient nous normalement svp consultez mes plaidoyers) accaparer pour pour servir d'ugence la Mauritanie? Nous subissons la famine et l'ignorance, tandisque nous cherchons àconvaincre lepouvoir d'exploiter 60.000ha avec quelques niveleuses gratuitement (soit 10 fois la surface rizicole sur le Fleuve) et multipler par 100 nos ingénieur par nos Conseils régionaux qu'on cherche à transformer en OUIs OUIs par son MInistére central non satisfait de la Décentralisatio. cheikhany_ouldsidina@yahoo.fr.