11-06-2019 09:55 - Mali: vive émotion et de nombreuses questions après le massacre de Sobane

Mali: vive émotion et de nombreuses questions après le massacre de Sobane

RFI Afrique - L'émotion est toujours vive dans le village de Sobane, situé dans la commune rurale de Sangha, dans le centre du Mali, où un massacre a duré plusieurs heures entre dimanche et lundi matin. Des corps ont été inhumés lundi après-midi, alors que de nombreuses autres personnes sont portées disparues. Le point sur la situation.

Dans l’après-midi de ce lundi 10 juin, dans le village de Sobane, les victimes de l’attaque meurtrière ont été inhumées. Du monde sur les lieux, notamment des élus, des parents de personnes décédées, ainsi que le gouverneur de la région de Mopti. Sidy Alassane Touré estime qu’il y a beaucoup moins que 95 morts, alors que de leur côté des élus maintiennent les premiers chiffres avancés.

Après l’enterrement, un détachement de l’armée malienne est resté sur les lieux pour renforcer la sécurité. Outre les victimes, il y a des blessés. L’un d’eux a apporté des précisions. L’attaque aurait commencé dimanche vers 17 heures, pour prendre fin lundi vers 3 heures du matin.

« Personne n'a été épargné »

Les assaillants étaient nombreux, plusieurs dizaines. Certains à pied, d’autres à moto. À leur arrivée sur place, les autochtones ont pris peur et se sont réfugiés dans des cases. Alors, les assaillants ont fait usage d’armes (certaines étaient automatiques), avant de mettre le feu à de nombreuses cases avec à l’intérieur des civils. De nombreux autres habitants du village, qui abrite environ 300 personnes, sont toujours portés disparus.

D'après un rescapé, Amadou Togo, cité par l'AFP, il y avait là « une cinquantaine d'hommes lourdement armés. Ils ont d'abord encerclé le hameau avant de lancer l'assaut », raconte cet habitant qui décrit des scènes d'horreur. Plusieurs personnes ont été « égorgées et éventrées », raconte-t-il, « des greniers et du bétail brûlés », poursuit ce rescapé. « Personne n'a été épargné : femmes, enfants et vieilles personnes », conclut cette source.

"Je condamne avec la plus grande fermeté cet acte lâche et barbare que rien ne saurait justifier. " #IBK pic.twitter.com/Tcz9la9Gg4
Presidence Mali (@PresidenceMali) June 10, 2019

Qui sont les tueurs?

Le massacre n’a pas encore été revendiqué. Plusieurs pistes, peu claires, se dégagent.

En condamnant cette attaque, le gouvernement pointe du doigt des « terroristes », sans indiquer à quel groupe il fait allusion. C'est en tout cas le terme employé dans un communiqué diffusé hier. D'après ce document, les auteurs de ce massacre seraient « des hommes armés, soupçonnés d'être des terroristes, qui ont lancé un assaut meurtrier contre ce paisible village ».

Cette option terroriste, certains observateurs l'envisagent également, vu le contexte socio-culturel et la situation géographique. Sobane est un village majoritairement catholique. « L'attaquer peut inaugurer un cycle », indique l'éditorialiste Adam Thiam. Pour lui, l'hypothèse selon laquelle ce village pourrait être la cible d'islamistes venant notamment du Burkina est tout à fait possible.

Autre piste envisagée par certains observateurs : celle d'une vengeance post-Ogossagou. Du nom de cette localité du centre du pays, où fin mars dernier, une attaque d'une grande ampleur contre des habitants à majorité peule, avait fait près de 160 morts... Tous les regards s'étaient alors portés sur une milice d'autodéfense, celle de l'association de chasseurs dogons Dan Nan Ambassagou. Sur le coup, l'État avait même promis de démanteler cette milice.

Or, Sobane « fournit l'essentiel des troupes de la milice dogon Dan Nan Ambassagou », relève le journaliste Adam Thiam.

Pour ce dernier, les deux pistes « ne s’excluent pas. La piste de la vengeance Ogossagou est soutenue par le fait que Sobane relève de l’une des communes qui fournissent le plus de troupes à la milice dogon Dan Nan Ambassagou. Il est très exposé parce qu’il est situé dans la plaine, contrairement à l’habitat dogon qui est dans le contrefort des rochers.

Et la piste de l’État islamique s’appuie sur le fait que Sobane est majoritairement catholique. L’attaquer peut inaugurer un cycle. Nous sommes dans le bassin non musulman du plateau Dogon, avec une majorité de chrétiens et d’animistes.

Il serait naïf de croire que cela n’est pas possible au Mali où Daesh a déjà pris pied avec les ex-Mujao Abou Walid Sahraoui et Abdel Hakim, implantés seulement à quelques centaines de kilomètres du plateau Dogon. »

Dans tous les cas, une question se pose : celle de l'efficacité de la réponse sécuritaire. « C'est un échec : qu'est-ce qui a été mis en place pour prévenir de ce genre d'attaque fréquente ? », interroge l'analyste Ibrahim Maïga.

Des corps calcinés, des maisons incendiées, des animaux abattus... Hama Kassogué, l'enseignant du village, n'en revient pas. Il était chez lui, à une quinzaine de kilomètres de Sobane quand l'attaque a eu lieu dimanche soir...

Le déroulé de l'attaque à Sobane.

■ Des élus interpellent l’État


Face à la situation, plusieurs élus du Centre sont inquiets. Ils demandent qu’on évite les amalgames, et à l’État de prendre ses responsabilités.

La situation sécuritaire se dégrade dans le centre du Mali, et quand il s’agit de nommer les auteurs des atrocités commises dans le hameau de Sobane, plusieurs élus sont prudents, comme le député de la localité de Bandiagara, situé dans le centre. « Je ne peux pas exactement affirmer qui a fait cela », dit Bokari Sangara.

Pour lui comme pour d’autres, les problèmes de terres, d’accès à l’eau, aux pâturages entre populations dogons et peules sont connus, mais ces deux communautés ne sont pas des ennemis. « Il n’y a réellement pas de problèmes peuls-dogons. Il faut faire attention à l’amalgame qui est en train de se poser sur le terrain », poursuit Bokari Sangara.

Mais entre les Dogons et les Peuls, il y a les jihadistes, et on retrouve des jihadistes peuls et des jihadistes dogons, des bandes armées qui écument la région, et cela pose problème. C’est pourquoi le député élu de Bandiagara demande à l’État malien de renforcer sur place sa présence. Et pour bien faire savoir qu’ils ne sont pas contents, des députés vont convoquer, avant la fin de cette semaine, des membres du gouvernement malien.

■ Réactions

« Le seuil de l’intolérable est atteint. » Mahamat Saleh Annadif, le chef de la mission ONU au Mali (Minusma), parle d'« un acte de barbarie inqualifiable ». Joint au siège des Nations unies à New York, il dénonce par ailleurs le communiqué de la milice dogon Dan Nan Ambassagou qui déclare considérer « cette attaque comme une déclaration de guerre », « déclare la lutte ouverte » et se dit résolue « à verser son sang ».

« Je viens de faire un communiqué et dans ce communiqué, j’ai mis en garde cette milice. Je lui ai dit que nous ne tolérerons jamais cet appel à la violence. Et nous les mettons en garde. Nous sommes présents sur le terrain, nous avons déjà pris des mesures pour qu’il n’y ait pas de représailles. Mais le risque existe. Il y a des risques réels.

Il y a des risques de représailles, c’est clair. La guerre civile, c’est quoi ? La guerre civile, c’est quand des communautés s’entretuent. Il faut tout faire pour l’éviter. C’est pour cela que j’ai dit que le seuil de l’intolérable est atteint. Il faut l’arrêter. »

« Faire confiance à la résilience des communautés. » Pour l'éditorialiste Adam Thiam, auteur du rapport de 2017 « Centre du Mali : enjeux et dangers d’une crise négligée », le ton est inquiétant. Il appelle les autorités maliennes, la Minusma, la force Barkhane, la société civile et les politiciens à renforcer leur mobilisation militaire et en faveur du dialogue intercommunautaire d'urgence.

« Ce communiqué de Dan Nan Ambassagou utilise des termes très forts, très musclés. Normalement, c'est une milice dissoute par l’État. Sur le terrain, ça n’est pas le cas. Si Dan Nan Ambassagou effectivement applique le contenu de son communiqué qui est une menace, nous pouvons craindre une déflagration, un conflit généralisé et c’est ce qui pourrait amener à une guerre civile. Je pense qu’il faut faire confiance un peu à la résilience des communautés.

Les Dogons et les Peuls vivent ensemble depuis des siècles. Ils ont tissé entre eux beaucoup de compromis. Ils ont des économies qui ne sont pas concurrentielles mais complémentaires. Il y a eu beaucoup de brassages entre les deux ethnies.

Cela peut encore sauver la situation. Mais il faut que l’État également, et les partenaires qui sont sur le terrain, bougent et bougent très vite », alerte le spécialiste.



Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


Source : RFI Afrique
Commentaires : 4
Lus : 1573

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (4)

  • lass77 (H) 11/06/2019 14:39 X

    @mystere1@ Il est impératif que le Mali recouvre son intégrité territoriale et sa souveraineté. IBK ne propose rien. Il doit démissionner et il faut introduire le service militaire pour tous les Jeunes Maliens garçons et filles ensuite fermer toutes les frontieres terrestres du pays. Je crois que c'est une solution pour le long terme pour que le Mali ne soit pas disloqué. On va vers l’implosion de ce voisin.

  • mystere1 (F) 11/06/2019 13:43 X

    @Lass77, tu as bien mis en bilan comme solution, mais Ça craint pour l’ancien royaume de Soundjata Keîta, le problème en est que ce conflit est interne, et le g5 du sahel augmentera en déployant inutilement ses grands renforts de sécurité, cela ne les mènerait à rien à rien, et comme l’avait dit, ce général français dans l’article passée, que ce combat risquera d’aller droit vers le mur, en tout cas c’est très chaotique, désolant, triste de voir ce pays voisin confrère s’effriter petit à petit de ses morceaux de par sa population, son économie, etc…qu’en est –il de son impuissant dirigeant IBK ? rien, il n’est juste qu’un pauvre pion placé dans ce pauvre pays, bref un président dont comme on a ligoté les mains et pieds, qui est chez lui en otage ! avec ces conflits, préparons-nous à reçevoir ces hôtes réfugiés au suivant de la masse qui était venue ici, ainsi tous les pays confrères africains voisins doivent avoir la patience et solidarité à fournir leur aide et soutien à ces réfugiés de guerre, ce qui les touche, n’épargnera personne si l’on ne fait pas attention, car le danger est présent à tout moment venant de ces « djihadistes » d’un côté, mais d’autre côté nous devons tirer de ces leçons de guerres intercommunautaires ou ethniques, car c’est à cause de ces différents hostiles qui ont conduit ce Mali , le Rwanda, l’afrique du sud, le tchad etc, (la côte d’ivoire autrefois aussi), à se retrouver tristement dans ces cas regrettable, et comme dise les puular (« yo booné woddou »).

  • lass77 (H) 11/06/2019 10:32 X

    La seule solution est 1 - d'introduire le service militaire obligatoire pour les Maliens de 18 ans à 30 ans pour filles et garçons 2 - Fermer toutes les Frontieres terrestres du Mali avec le Burkina, la Mauritanie, L'Algerie, la Cote d'ivoire et le Senegal. 3-Décreter que toute personne armée est une cible militaire sur tout le territoire Malien. 4- Décréter la loi martiale . Les Maliens ne sont pas conscients du danger, il suffit de voire l'ambiance à Bamako et sur les chaines de televion Malienne : Que des chants , des danses, des griots à tout va etc... comme si de rien était.

  • lass77 (H) 11/06/2019 10:14 X

    Il ny'a pas d'Etat au Mali , une fois cela dit , il est temps qu'IBK se considere comme un president digne sinon qu'il s'en aille. Il est temps pour le Mali de prendre son destin en mains en faisant une mobilisation populaire mais aussi instituer le service militaire obligatoire pour tous les maliens, fermer toutes les frontières terrestres du Mali. Toute personne portant une arme est une cible militaire sur tout le territoire Malien.