22-08-2019 15:11 - Moi aussi j’étais à Oualata (8) : Les réclamations du lieutenant Yongane Djibril Demba/ par Oumar Ould Beibacar

Moi aussi j’étais à Oualata (8) : Les réclamations du lieutenant Yongane Djibril Demba/ par Oumar Ould Beibacar

Le Calame - En Octobre 1988, au cours de ma première liaison, le lieutenant Yongane me demanda de voir le commandant du Bataillon de Commandement et de Service (BCS), à l’état-major national, pour réclamer des effets lui appartenant, saisis, selon lui, le 24 Octobre 1987, à l’état-major/B2, par le commandant du BCS, en présence du commandant de la CQG et remis à l’adjudant Mohamed ould Sidi du B2.

Et de réclamer un sac de voyage de type Para contenant : « un boubou bazin bleu et sa chemise, un boubou de percal blanc et son pantalon, un boubou de percal noir et sa chemise, un pantalon bouffon gris tergal, un pantalon bouffon en percal, deux survêtements de sport de luxe, un bonnet banyul, un boubou de bazin chinois avec sa chemise, un boubou de percal blanc, plus ensemble, un pyjama rouge, une paire de chaussures blanches dites Dakhla, une paire de samara, un couteau COS, deux serviettes de bain, une chemise de bazin cousue gros fil, un petit tapis de prière et divers autres vêtements dont il n’avait plus le souvenir. »

Il réclame aussi une valise Samsonite contenant : « 68 000 ouguiyas dont 60 000 dans une enveloppe jaune appartenant à la coopérative de Sénabou-Sobé, destinée à leur dispensaire ; un exemplaire du Coran, un registre neuf et des cahiers de 200 pages ;

un bloc-notes neuf, une agrafeuse, du parfum, deux petits carnets de note du Saint Coran, un ensemble de talismans, un boubou gris-gris, une lampe-torche et d’autres effets dont il n’avait plus le souvenir. »

Le lieutenant Yongane réclame encore une montre de luxe, récupérée par le capitaine Ndiaga Dieng à Jreïda, un trousseau de clés pour le sac de voyage Para et des clés de son domicile à Fdérik. Pendant sa détention à Jreïda, Yongane avait saisi le lieutenant Hamoud ould Samba, de la gendarmerie, au sujet de ses réclamations et lui avait donné la combinaison 504 de la Samsonite, pour récupérer ses bagages au BCS, mais aucune suite n’y avait été donnée.

Audience avec le commandant du BCS

Le mercredi 12 Octobre, dans l’après-midi, je demandai et obtenu audience auprès du capitaine Mohamed Cheikh ould El Hady, commandant du BCS. Quand j’entrai dans son bureau, je fus surpris par sa position, pied droit nonchalamment posé sur son bureau. Je le saluai militairement. Sans répondre à mon salut, il me demanda de m’asseoir sur une chaise.

« Je viens au sujet des réclamations du lieutenant Yongane Djibril Demba », l’informai-je alors. Il s’assit convenablement sur son fauteuil, et me demanda, un peu embarrassé : « Quelles réclamations ? » Je lui remis aussitôt la liste dactylographiée des effets réclamés.

Il prit tout son temps pour lire le contenu et me répondit : « On a tout remis à la gendarmerie et à la justice. – Vous avez donc copie du procès-verbal de la gendarmerie qui a déchargé ces effets.

– Je ne crois pas qu’on ait établi un tel document. – Mon capitaine, j’ai reçu, moi, plusieurs réclamations des prisonniers auxquels des gardes des prisons de Nouakchott et de Oualata auraient détourné un montant global d’une trentaine de mille et je les leur ai remboursé de ma poche, pour préserver l’honneur du corps. Mon capitaine, la valeur de toutes les réclamations du lieutenant Yongane est estimée à trois cents mille ouguiyas.

Puisqu’il est le seul à demander la restitution de ses effets, je vous propose de demander, au chef d’état-major, de vous remettre ce montant, pour régler définitivement ce contentieux. – Je ne le ferai pas ! – Pourquoi ? Même pas les soixante mille du dispensaire de la coopérative de Sénabou-Sobé ?

– Même pas pour cette coopérative !– Mon capitaine », lui dis-je en guise de conclusion, « le vrai problème c’est qu’en cette démarche, vous avez violé la loi.Vous n’aviez pas le droit de mener des enquêtes en matière pénale, seule la gendarmerie et la police l’ont, sur injonction du procureur de la République.

C’est ainsi que le patrimoine et la dignité des prévenus sont préservés. Si l’armée nationale continue de se comporter ainsi, estimant qu’elle est au-dessus de la loi, au nom du principe que celle-ci, c’est le chef, elle met notre pays en péril. » Puis je me suis levé et suis sorti du bureau du capitaine, sans le saluer, comme le veut le règlement, puisqu’il ne m’avait pas rendu mon salut à mon arrivée dans son bureau. Il ne me porte pas dans son cœur, depuis...

Je contactai aussitôt un ami officier de la gendarmerie. Il me confirma que l’armée nationale ne leur avait remis que les individus et que quasiment tous avaient réclamé, dans les procès-verbaux d’enquêtes préliminaires, des effets ou des sommes d’argent que le procureur auprès de la Cour spéciale de justice avait demandé à l’armée de restituer, sans obtenir de suite.

C’est ce mépris des lois en vigueur, par l’armée et la garde nationale, qui occasionna le génocide, en Novembre 1990.

L’armée y perdit près de deux cent quatre-vingt hommes, officiers, sous-officiers et hommes de troupe ; la garde, douze sous-officiers et gardes, tous négro-mauritaniens. Mais, si l’enquête avait été confiée à la gendarmerie ou à la police nationale, on aurait déploré aucune victime ni aucun mauvais traitement et l’on ne serait pas pris en otage, aujourd’hui, par ce passif.

Visite de la commission presse et droits de l’homme

Le dimanche 4 Décembre 1988, vers 10 heures, je fus convoqué par le wali, dans son bureau. Il m’y présenta Vadily ould Eraïss, directeur de la Synthèse, au ministère de l’Intérieur, et bête noire des walis, en me demandant de l’accompagner à Oualata pour visiter la prison, en compagnie d’une délégation composée de feu Ghaly ould Abdel Hamid, président de la Ligue des droits de l’homme, d’Abdel Aziz Dahmani, journaliste à Jeune Afrique, et de Babacar Touré, directeur général du journal sénégalais Sud-hebdo.

Après les présentations, le directeur de la Synthèse me prit en aparté pour me demander qui avait donné l’ordre d’enchaîner les prisonniers. « Ce n’est pas à moi qu’il faut poser cette question », répondis-je, c’est au chef d’état-major.

Selon mon prédécesseur, c’est bien lui qui aurait confectionné les chaînes et ordonné d’y tenir les prisonniers ». Puis il me demanda de lui choisir, parmi les prisonniers, de « bons » interlocuteurs, pour rencontrer cette mission encombrante et préserver, autant que faire se peut, le prestige de l’Etat mauritanien.

Je rétorquai qu’il n’y a pas de bons ni de mauvais interlocuteurs, il s’agit d’une trentaine de militaires, dont deux anciens membres du CMSN et deux lieutenants représentants des détenus. Dans un premier temps la commission s’entretiendra avec ces quatre, puis avec le reste des prisonniers, dans la grande salle, ils sont tous disciplinés et responsables.

Arrivée à Oualata, Vadily insista : « D’après le wali, les prisonniers ont beaucoup de respect pour toi et tu les connais bien, il faut nous choisir des éléments qui vont nous donner satisfaction. – Moi aussi, j’éprouve beaucoup de respect pour eux et ne peux pas leur demander l’impossible. » Puis nous entrâmes dans la chambre où nous attendaient le commissaire Ly Mamadou, le capitaine Diop Jibril et les deux représentants des autres détenus, le lieutenant Boye Alassane et le lieutenant Yongane Jibril.

La conversation commença dans une atmosphère détendue, Vadily évoquant surtout les mesures prises pour améliorer les conditions d’existence des prisonniers et leur état de santé. Le président de la ligue des droits de l’homme et Abdel Aziz Dahmani abondèrent en ce sens.

Pour distraire un peu plus Dahmani, je lui dis que nous nous trouvions dans la chambre où avait été assigné le père de la Nation, pendant quelques mois. Mon interlocuteur ne fit plus que contempler la chambre en tous ses sens avant d’en prendre photos de l’intérieur et de l’extérieur. De fait, il ne semblait pas beaucoup s’intéresser au calvaire des détenus.

C’est seulement quand vint le tour de Babacar Touré qu’il se mit à poser des questions pertinentes, sur les mauvais traitements et, surtout, le problème des chaînes. Les réponses des représentants des détenus furent véridiques, responsables et courtoises. Ils turent beaucoup d’humiliations et de mépris dont ils avaient été l’objet dans cette prison.

Puis nos hôtes se déplacèrent vers le reste des prisonniers, dans la grande salle, pour examiner leurs conditions de détentions et poser quelques questions. L’accueil ne fut pas très chaleureux, surtout envers Dahmani qui fut chahuté par plusieurs détenus, lui reprochant d’êtreà la solde du pouvoir militaire.

A notre sortie du fort, Touré me demanda, lui aussi, qui avait donné l’ordre d’enchaîner les détenus. Je lui répondis qu’il fallait poser la question à l’échelon supérieur ; que je n’avais, personnellement, reçu aucun ordre à ce sujet et que j’avais donc pris l’initiative d’en délivrer progressivement les prisonniers, parce qu’elles étaient illégales et réservées exclusivement aux Peuls.

La commission passa la nuit chez le préfet de Oualata, avant de rentrer à Nouakchott, le lendemain lundi 5 Décembre 1988. Comme j’avais un peu sympathisé avec Babacar Touré qui m’était particulièrement agréable, je lui donnai mon adresse et lui demandai de m’envoyer l’exemplaire de son journal contenant son article sur sa visite à Oualata.

Il me donna la sienne : 18, rue Raffenel, BP 4130 Dakar ; tél. : (00221)227509. Mais j’attends toujours, depuis plus de trente ans, le fameux exemplaire de son journal.

Un compte-rendu énigmatique

Je retrouvai, dans les archives de mon prédécesseur, un compte-rendu, adressé le 30 Décembre 1987 au chef d’état-major, ayant pour objet : « effets récupérés sur les prisonniers de Oualata », dont la teneur m’intrigua beaucoup : « J’ai l’honneur de vous rendre compte qu’à la suite d’une fouille minutieuse, effectuée auprès des détenus, j’ai eu à récupérer, en marge d’une somme importante d’argent et des effets individuels (habits, radios, cartes à jouer), des écrits importants, ainsi que quelques cartes professionnelles.

Dans ces écrits, l’on remarque un plan, le chiffre 80-51=29, ce qui doit exactement attirer votre attention, pour éventuellement une exploitation desdites données à Nouakchott. Je vous transmets, ci-joints au présent compte-rendu, les écrits en question, tout en vous demandant la conduite à tenir pour le reste des objets. » Je n’ai jamais pu comprendre l’énigme que constitue cette simple soustraction 80-51=29.

Un témoignage de satisfaction

Le jeudi 15 Décembre 1988, quinze jours avant le dernier transfert de détenus à Aïoun, je reçus une lettre confidentielle du wali du Hodh ech-Charghi, témoignant de sa satisfaction, dont voici la teneur.

« Les efforts que vous avez déployés, pour améliorer la situation alimentaire, sanitaire et sécuritaire des prisonniers de Oualata et, de façon générale, vos qualités d’officier digne, honnête, déterminé et grand travailleur méthodique m’amènent à vous adresser ce témoignage de satisfaction bien mérité. Je vous engage à persévérer dans cette voie. » Cette reconnaissance d’une telle autorité m’aprofondément touché.

(A suivre).



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Commentaires (2)

  • medabdul (H) 23/08/2019 00:02 X

    apparemment il commence a lasser ce colonel;pas bcp de commentaires.

  • mdmdlemine (H) 22/08/2019 16:32 X

    3Moi aussi j’étais à Oualata", continue contre vents et marées, sans livrer de réponses sur les dernières sorties dans lesquelles, Ould Beibacar a fait, malgré son repentir, les circonstances, le dévoir de mémoire universel d'attaques virulentes d'ex prisonniers flamistes