24-09-2019 09:21 - [Libre Expression] Quelles nouvelles politiques et stratégies de l’Etat mauritanien pour sa diaspora ?

[Libre Expression] Quelles nouvelles politiques et stratégies de l’Etat mauritanien pour sa diaspora ?

Abdoulaye WANE - Enfin, sommes-nous tentés de dire ! Un Ministère des Affaires étrangères, de la coopération et des Mauritaniens de l’extérieur. La Mauritanie affiche ses nouvelles ambitions pour sa diaspora.

Il y a eu le programme du candidat élu dans lequel on évoquait la place de la diaspora, puis une nouvelle appellation du département des Affaires étrangères dans laquelle sont entrés les Mauritaniens de l’extérieur comme les grands hommes au Panthéon, puis la déclaration du chef de la diplomatie mauritanienne qui confirme la volonté du gouvernement d’impliquer ses concitoyens basés à l’étranger dans les politiques publiques du pays.

C’est une évolution, tout au moins dans la construction sémantique officielle. La diaspora mauritanienne a, certes, accueilli favorablement le discours des nouvelles autorités du pays d’origine.

Mais quelles nouvelles politiques publiques vont-elles créer en particulier pour les Mauritaniens de l’extérieur ? Qu’implique aujourd’hui la notion de diaspora ? Quel rôle joue-t-elle dans la stabilité et le développement sur le plan micro-économique et communautaire ? Quelle est son importance démographique en Afrique, dans les pays arabes, en Europe et en Amérique du Nord ? Ses attentes, aussi ?

Autant d’interrogations qui méritent, les unes comme les autres, d’être étudiées pour définir les contours ainsi que les actions prioritaires de la nouvelle stratégie de la Mauritanie envers ses citoyens à l’étranger. Dans les sciences humaines et sociales, le terme de diaspora renvoie en effet à un groupe d’individus déterritorialisés qui, sur la base de leurs liens biologiques, culturels ou politiques, se distinguent des autres groupes sociaux.

Toute diaspora combine donc deux éléments fondamentaux qui sont, d’une part, « sa déterritorialité et, d’autre part, l’appartenance de ses membres à une culture et origine communes ».

Scheffer nous explique que « les diasporas modernes agissent dans leurs pays d’accueil tout en maintenant de forts liens affectifs et matériels avec leurs communautés d’origine. »

Les liens matériels nous intéressent particulièrement, à partir du moment où ils peuvent être compris comme un apport financier ou matériel de la diaspora dans le but de préserver ou développer les modèles de solidarités familiales et communautaires ou d’en construire de nouveaux dans le pays d’origine.

Si j’estime utile de rappeler, ici, la définition de la diaspora, je n’ai cependant nullement l’intention de restituer le débat critique sur ce concept. Je veux simplement par-là donner un contenu précis et plus ou moins stable à la diaspora puisque c’est autour d’elle que se structure principalement cette contribution. D’un point de vue théorique, la diaspora mauritanienne, où qu’elle se trouve, n’est pas si différente des autres communautés diasporiques, même si elle porte des demandes spécifiques comme la reconnaissance de la double nationalité, l’enrôlement, etc.

Mais plus que toutes les autres diasporas, les Mauritaniens de l’extérieur souffrent assurément d’une marginalisation structurelle qui est d’autant plus incompréhensible qu’elle est générée par leur propre pays.

Alors que beaucoup de pays africains comme le Sénégal, le Mali, le Ghana ou le Maroc ont compris l’impact économique de leurs ressortissants et construit en conséquence des politiques et stratégies publiques pour accompagner et sécuriser l’environnement des affaires, la Mauritanie feignait, elle, jusqu’à une date récente d’ignorer le rôle de sa diaspora.

A titre d’exemple, le Sénégal s’est doté depuis 2008 d’une politique résolument tournée vers ses ressortissants en créant le Faise (Fonds d’Appui à l’Investissement des Sénégalais de l’Extérieur). On sait que cette politique a non seulement séduit les investisseurs sénégalais à l’étranger mais elle a favorisé aussi ces dernières années le retour au pays d’une partie importante de cadres et de diplômés.

Les Mauritaniens de l’extérieur, pour la catégorie spécifique d’émigrés, sont estimés à 105315 personnes, selon les statistiques de l’Organisation Internationale des Migrations, en 2008. Près de 65,6% de ces émigrés vivent en Afrique de l’Ouest et 20,6% en Europe, précise la même organisation. En 2019, le nombre d’émigrés mauritaniens oscillerait entre 120400 et 250000, d’après d’autres estimations, y compris celles des autorités mauritaniennes. Il faut, bien sûr, rajouter à ce nombre d’émigrés celui des étudiants ainsi que d’autres catégories (cadres), qui forment un ensemble hétérogène statutairement et qu’on associe à l’idée de diaspora.

Bien sûr, les membres de la diaspora ne sont pas tous des investisseurs ni porteurs de projets communautaires. Malgré tout, elle (diaspora) représente un potentiel financier qui, s’il est encadré et encouragé par des politiques publiques, participera à l’effort national dans la construction d’un solide modèle de développement social et économique.

Si beaucoup de pays intègrent actuellement la contribution de leurs diasporas dans l’élaboration de leurs politiques publiques liées aux enjeux de la croissance économique, c’est parce que les programmes d’aide au développement, dans le cadre de la coopération bilatérale et multilatérale, se sont avérés, à bien des égards, inefficaces. En effet, les phénomènes de paupérisation se généralisent en même temps que s’accentue la dépendance des Etats déficitaires vis-à-vis de leurs partenaires traditionnels (pays développés et institutions financières internationales).

Face à cette situation dramatique, il ne faut pas, bien entendu, considérer la diaspora comme une bouée de sauvetage. Car aucun pays, même dépourvu d’ambitions réelles, ne peut compter exclusivement sur les fonds transférés par ses ressortissants pour se développer.

Par Dr Abdoulaye Wane
(Paris)





"Libre Expression" est une rubrique où nos lecteurs peuvent s'exprimer en toute liberté dans le respect de la CHARTE affichée.

Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.


Source : Abdoulaye WANE
Commentaires : 0
Lus : 2169

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (0)