26-12-2019 16:33 - Le marché politique des crispations identitaires (2) Maître Taleb Khyar*

Le marché politique des crispations identitaires (2) Maître Taleb Khyar*

Taleb Khyar Ould Mohamed Moouloud - Le Pakistan, dont l’appellation signifie en langue ourdou « pays des purs », va peu après sa création, se trouver confronté à son tour à la théorie des deux nations, soulevée cette fois-ci par la ligue Awani constituée de Benghalis qui ne tardent pas à faire sécession.

Le Bengladesh voit le jour après un conflit sanglant. La sécession du Bengladesh est vécue comme un prélude à l’éclatement du Pakistan.

La solution imaginée par les dirigeants pakistanais pour prévenir une telle éventualité, sera de recourir à la surenchère islamiste ; le Pakistan va alors devenir « République Islamique du Pakistan » et son tout nouveau premier ministre, Zulfikar Ali Butho, ne tarde pas à modifier la constitution en y introduisant un amendement, repris dans son article 260, qualifiant d’apostats les « Ahmadis », exposant de la sorte ces chiites de confession qui représentent plus de 20% de la population pakistanaise, à la pire des persécutions, contre laquelle ils ne manquent pas de réagir par des actes tout aussi violents, au sein d’un Etat effondré « failed state », fragilisé sur le plan institutionnel et qui, dépossédé de toute capacité médiatrice du jeu social, n’a plus les moyens d’assurer la sécurité de ses sujets ; un pays où très vite, l’absence de référent étatique sera remplacée par la montée de référents identitaires.

Au Rwanda, le Hutu Habyarimana, sentant dans les années quatre vingt dix son autorité s’effriter, va, dans une démarche populiste, faire de la thèse du complot un argument politique ; si l’Etat rwandais est menacé, c’est parce que les tutsis complotent pour sa perte et pour la vôtre, vous les hutus ; d’où cet appel terrible de la radio dite « radio des mille collines » pour médiatiser et planifier le génocide des tutsis.

D’avril à juillet mil neuf cent quatre vingt quatorze (1994), des rwandais vont assassiner d’autres rwandais dans une hystérie meurtrière ininterrompue, d’une atrocité abominable, monstrueuse, à coups de machettes, de houes, de haches, de gourdins cloutés…

Des enfants furent égorgés dans leurs écoles par ceux-là mêmes qui étaient chargés de leur éducation, des blessés achevés jusques et y compris, dans les hôpitaux…….Plus les victimes vous étaient proches et plus il fallait afficher à leur égard une grande atrocité pour ne pas s’exposer aux représailles envisagées à l’encontre de ceux qui refusaient de faire le « travail ». Au-delà d’un million de morts en une centaine de jours !

En République Démocratique du Congo, on compte environ une quarantaine de groupes armés, à connotation ethnique, pour la plupart, et dont les affrontements, ont fait depuis les indépendances à nos jours, plus de six millions de morts.

Aujourd’hui, ce pays qui regorge de richesses et de compétences est devenu le théâtre permanent de règlements de comptes tribaux, débouchant sur des conflits sanglants prenant des formes variées ; politiques, économiques, foncières, et dont les conséquences effroyables sur les populations civiles sont d’une actualité poignante ; esclavage sexuel, recrutement d’enfants soldats, kidnapping, expropriations, déplacements, exil…….

On notera la saignée du Liban dont la pluriconfessionnalité, naguère encensée, ne sera d’aucun secours aux centaines de milliers de victimes de conflits caractère confessionnel ; les atrocités, toutes à caractère identitaire, que les populations civiles vivent au Soudan du Sud, en Centrafrique, à bien des égards en Côte d’Ivoire, et dans une moindre mesure, mais de manière inquiétante, en Guinée ;le cas du Burundi qui, en violation des accords d’Arusha, renoue avec les vieux démons de l’ethnicisme , à telle enseigne que la communauté internationale alarmée par ce qui ressemble de plus en plus à des assassinats ciblés, a saisi le conseil de sécurité, dans une démarche préventive pour éviter qu’une hystérie identitaire ne s’empare à nouveau de ce pays, aujourd’hui au bord de la guerre civile ; la Birmanie, où les Rohingyas, parce que de confession musulmane, sont déchus de la citoyenneté, expropriés de leurs terres, victimes d’une épuration ethnique, dans un pays qui abrite un Nobel habité subitement par un silence complice , devant les atrocités que vit une minorité, quoique considérée par l’ONU comme la plus persécutée au monde.

Aujourd’hui, comble d’ironie, c’est ce prix Nobel qui se charge de plaider devant la Cour Internationale de Justice la cause de la Birmanie, alors que les faits dont sont victimes les Rohingas sont rangés parmi les crimes de génocide, définis comme une forme particulière de crimes contre l’humanité, mais s’en distinguant par l’intention de détruire en tout ou partie un groupe national, ethnique ou religieux, comme tel, que ces crimes soit commis en temps de paix ou de guerre internationale ou interne.

D’abord réprimés par le Tribunal de Nuremberg et le Tribunal de Tokyo en 1945 et 1946, les crimes de génocide ont fait l’objet de plusieurs conventions, celle pour la répression du crime de génocide de 1948, entrée en vigueur en 1951, celle sur l’imprescriptibilité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, puis la convention de Rome du 17 juillet 1998 a créé la Cour Pénale Internationale statuant sur les crimes de guerre et de génocide contre l’humanité commis par des personnes, entrée en vigueur le 1°juillet 2002, or la Gambie, en saisissant la Cour Internationale de Justice, renonce au statut de Rome, pour mettre en cause la responsabilité de l’Etat Birman, conformément à la convention de 1948.

Cette option n’est pas sans poser des difficultés sur la recevabilité que ne manquera pas de soulever, à titre préliminaire, le prix Nobel, la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice, en la matière, étant peu encline à mettre en cause la responsabilité d’un Etat pour crimes de génocide, sur la base de l’accusation d’un autre Etat, le premier précédent , dans ce sens, étant l’affaire qui opposât la Bosnie Herzegovine à la Serbie , jugée par la Cour Internationale de Justice en 2007, saisie pour la première fois par un Etat accusant un autre Etat de crimes de génocide.

Il faut ajouter à cela que l’action mise en mouvement par la défense des Rohingas, bien qu’émanant de l’Etat gambien, l’est au nom et pour le compte de l’Organisation des Etats Islamiques qui n’a pas le statut d’Etat ; on voit mal dans ces conditions, la Cour Internationale de Justice, ne pas décliner sa compétence.

Confinés dans des camps de relégation, en attente de leur déportation, les Rohingyas continuent d’être victimes de véritables pogroms à l’instigation de moines bouddhistes fondamentalistes, instrumentalisés par la junte militaire birmane.

Refermons cette digression sur l’action des Rohingas devant la Cour Internationale de Justice , pour déplorer l’attitude de la communauté internationale qui s’est laissée prendre au jeu de l’identitarisme en vue du règlement de la crise de l’ex-Yougoslavie en mil neuf cent quatre vingt quinze ( 1995) ; les accords de Dayton, n’étant ni plus ni moins, qu’une instrumentalisation de l’ethnicisme au niveau international.

Ces accords, qui ne font que remodeler les frontières, en fonction du référent ethnique, ont cependant fait jurisprudence comme mode privilégié de règlement des conflits intercommunautaires, au détriment de l’intangibilité des tracés frontaliers hérités du découpage colonial.

La partition du Soudan en est une illustration, celle de l’Irak bien que non achevée une ébauche, et n’eût été l’intervention de la France au Mali , dans un combat d’avant-garde en totale rupture avec la grammaire de Dayton, l’intégrité territoriale de ce beau pays, par sa richesse culturelle et sa mixité sociale, aurait tout simplement volé en éclats.

Il faut croire hélas, que le Yemen et le Soudan du Sud, demeurent éligibles à la solution du morcellement, ainsi qu’à terme, le Nigéria qui vit un processus identique à celui qui a débouché sur la partition de l’Inde et la naissance du Pakistan.

Avec un Sud chrétien et riche, un nord musulman et pauvre, et en arrière- plan la montée de fondamentalismes religieux aussi biens islamiques que chrétiens (Wahhabisme au nord, évangélisme au sud), la crise que connaît le Nigéria, conduira de façon inéluctable à la naissance d’un Pakistan noir au nord, dont les conséquences déstabilisatrices, affecteront toute l’Afrique de l’ouest, considérée déjà comme une zone potentielle de conflits pour le futur.

Afin d’éviter à ces pays et à d’autres, le plongeon vers l’inconnu, on ne peut que souhaiter voir la conception fondée sur l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, retrouver son lustre d’antan, au détriment de la thématique géo-ethnique des accords de Dayton.

Il faut espérer que l’union Européenne qui a brillé par son absence, lors du règlement de la crise de l’ex-Yougoslavie, renoue avec la place qui devrait être la sienne, pour peser de tout son poids et participer avec détermination à l’émergence d’une gouvernance mondiale, moins portée vers l’ethnicisation des relations internationales.

Contrairement à une idée largement répandue, l’identitarisme, loin d’être inné, est un construit social. On ne naît pas identitariste, on le devient. La négation de l’autre est un comportement qu’on acquiert, qu’on vous fait acquérir en vous désignant l’autre comme une entrave au mieux –être auquel vous aspirez, une menace à votre vie, vos biens, votre culture, votre être.

La crise identitaire existe parce qu’il y a des acteurs qui la construisent, des entrepreneurs de violence qui font fortune en exacerbant les particularismes, en gommant les espaces classiques d’intégration, dont le plus important est l’école républicaine ; en excluant des programmes scolaires les activités qui favorisent le vivre-ensemble : sport, scoutisme, colonies de vacances, théâtre ; en instituant un enseignement suprématiste, faisant l’apologie de la supériorité d’une culture, d’une race , d’une langue sur les autres ; en confisquant les libertés individuelles et collectives, au nom d’arguments populistes dont le recours aux surenchères, religieuse, ethnique, linguistique, régionaliste.

Pour usurper un fauteuil, extorquer une voix, confisquer une fonction, les entrepreneurs politiques de violence n’hésiteront pas à désigner l’autre à la haine publique, le contraindre à l’exil, l’envoyer à la potence.

Ils ont réussi le pari machiavélique de hisser l’identitarisme au niveau de pathologie majeure de la mondialisation, au même titre que les terrorismes ambiants, d’ordre politique, criminel, religieux; au même titre que la socialisation de la guerre ; la prolétarisation galopante des états ; le développement irrésistible de la criminalité transfrontalière et de son versant cybernétique ; la prolifération de trafics en tous genres : armes, stupéfiants, personnes, organes humains, médicaments.

Plus un coin ou recoin habités de cette planète terre où la fièvre identitaire ne fasse des ravages ; des contrées les plus hostiles aux agglomérations les plus attrayantes, des sociétés les plus policées aux démocraties les plus abouties ; chaque pays a ses ouigours, ses rohingyas, ses zones tribales, ses banlieues, ses camps, ses chiites, ses sunnites, ses yazidis, ses coptes, ses kurdes, ses beurs, ses black, ses touaregs, ses musulmans, ses chrétiens, ses haoussas, ses hutus, ses tutsis, ses pygmées, ses albinos, ses métis…..

Maître Taleb Khyar Ould Mohamed Mouloud
Avocat à la Cour
Ancien membre du Conseil de l’Ordre

*Cet article publié le 21/12/2015 par le même auteur sur les colonnes de CRIDEM, reste d’actualité ; il est remis à jour avec de légères modifications.



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Commentaires (3)

  • Bertrand (H) 29/12/2019 09:19 X

    Si le Mali devait éclater Maître c’est par le fait de la France et de sa politique du diviser pour régner. Ces morcellement des états nés de la colonisations constituent un programmes des pays occidentaux ayant colonisés les autres continents pour faire perpétuer leur système de domination. Tu es entrain de situer le remède chez l’agent responsable de la Maladie. Bonne foi? Peut être. Très bonne fois même parce que tu préconise de soigner le VIH par le VIH. Se sont les puissances américaines et occidentales qui ont foutu la mesure partout: leur politique est : déclencher des guerres partout vendre des armes aux autres peuples pour entretuer vendre des médicaments qui font plus de dégâts que les armes et venir pour les protéger et laisser les choses empirer et hériter de leurs richesses et d’esbroufe nouveau ni man’s land

  • macfar (H) 26/12/2019 20:48 X

    "Je n'ai rien vu de grand dans la vie que la cruauté et la bêtise." Paul Léautaud

  • macfar (H) 26/12/2019 20:26 X

    Donne une idée de l'infini à ceux qui n'ont pas les moyens d'aller au bord de la mer