24-08-2020 15:51 - Mauritanie: polémique après les propos d'un avocat français

Mauritanie: polémique après les propos d'un avocat français

Le360 Afrique - L'ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz vient d'être libéré. Il était en garde à vue depuis une semaine, dans une affaire de "soupçons de corruption". Une situation qu'un de ses avocats français juge "illégale", des propos tenus devant les médias, qui choquent les magistrats et les hommes de loi mauritaniens.

Alors que l'ex-président mauritanien se trouve à présent dans une cellule de prison dans la capitale depuis une semaine, une véritable guerre médiatique s'est déclenchée en Mauritanie depuis quelques jours, entre la défense de l’ancien chef de l’Etat mauritanien et une partie de l’opinion publique, à coups de déclarations dans les médias et sur les réseaux sociaux.

A l'origine de cette polémique, un avocat français, qui est venu renforcer le comité des avocats de la défense de Mohamed Ould Abdel Aziz: maître David Rajju, avocat au barreau de Rennes en France, est l’auteur d'une d'une déclaration qui a mis le feu aux poudres, alors qu’avant lui, ses collègues mauritaniens avaient qualifié «d’illégale» la mesure qui frappe l’ancien homme fort de Nouakchott.

Après une visite rendue à son client, l’avocat français a dénoncé «une farce judiciaire, car il n’y a absolument aucune justification pour maintenir Mohamed Ould Abdel Aziz en détention, si ce n’est la volonté de faire pression sur sa personne.

Une démarche inacceptable du point de vue judiciaire. Ce pays est un Etat de droit, qui dispose d’une constitution solide, de lois et d’un Code de procédure pénal (CPP). L’arrestation de mon client est une violation de ces différents textes».

En Mauritanie, le délai de garde à vue est de 48 heures, renouvelable une fois, sur autorisation du procureur de la République près la juridiction compétente afin de pouvoir statuer sur le cas de la personne arrêtée. Cependant, une loi anti-corruption, adoptée en 2016, autorise deux renouvellements de la mesure sur autorisation expresse du chef du Parquet, souffle un juriste, au fait des lois mauritaniennes.

Arrêté lundi dernier en fin de journée, l'ancien chef de l’Etat mauritanien a bouclé hier, dimanche 23 août, sa première semaine de garde à vue, dans les locaux de la Direction générale de la sûreté sationale (DGSN) de Nouakchott.

Cette mesure rentre dans le cadre d’une enquête préliminaire pour des soupçons «de corruption» suite à la transmission le 05 août dernier, à la justice, d’un rapport de plusieurs centaines de pages, établi par une Commission d’enquête parlementaire (CEP), dénonçant «des irrégularités» dans l’attribution de 109 marchés publics et de nombreux autres faits de prévarication.

La thèse défendue par cet avocat français se base sur l’article 93 de la constitution mauritanienne, promulguée le 20 juillet 1991, qui confère l’immunité au président de la République «pénalement irresponsable», sauf dans les cas de haute trahison, et dont la compétence de traitement relève de la Haute cour de justice (HCJ).

Les propos tenus par maître David Rajju, l'avocat rennais, ont entraîné une première réplique, venue du Pr Lô Gourmo Abdoul, enseignant en France, avocat au barreau de Nouakchott, et vice-président de l’Union des Forces de Progrès (UFP, opposition).

Le professeur universitaire a déploré «l’attitude de ces avocats français, qui croient faire du tourisme juridique tropical. Ils menacent de dénoncer le Procureur général de Mauritanie, auprès des autorités françaises, parce que ce dernier n’a pas voulu "les auditionner" -le terme que l’un d’eux a utilisé. Il précise qu’une telle audition est une coutume, une règle de courtoisie, et dit qu’ils viennent apporter une certaine liberté de parole dans le traitement de ce dossier et qu’ils ne vont pas s’en priver».

Le Pr Lô Gourmo Abdoul a donc dénoncé «la suffisance et l’arrogance de ces Messieurs, qui ne peuvent débarquer comme des extraterrestres dans ce pays, n’ayant même pas l’intelligence de faire une visite de courtoisie au barreau mauritanien, représenté par un bâtonnier, et exiger d’être reçu par le Procureur général».

Pour sa part, Khalil Ould Teyib, figure connue du nationalisme arabe, ancien député et ex-allié de Mohamed Ould Abdel Aziz, a exigé «l’expulsion» pure et simple des défenseurs français de l’ex-président.

Quant à un mystérieux «Mohamed Yayha Ould Heiba», très suivi sur les réseaux sociaux, il a jeté un énorme pavé dans la mare, avec un texte largement diffusé, dans lequel Mohamed Ould Abdel Aziz est accusé d’avoir voulu «mettre le pays à feu et à sang» dans le cadre d’un scénario d’apocalypse fait de troubles, de tirs dans les rues et d'explosions à Nouakchott.

Un scénario qui aurait permis à l'ex-président de «reprendre le pouvoir». Une action que Mohamed Ould Abdel Aziz aurait menée avec la «complicité» de groupuscules terroristes présents dans la sous-région, selon les dires de ce profil, qui agit sous un nom d'emprunt, et dont l'identité n'est pas connue.

Quoi qu’il en soit, ces accusations formulées sous le couvert de l'anonymat sont conformes à certains discours tenus dans les salons de Nouakchott, et relèvent d’une piste jamais encore évoquée dans l’enquête officielle, qui s'en tient aux faits de corruption présumés dont est accusé Mohamed Ould Abdel Aziz.

Cependant, le fait que l'ancien chef de l'Etat soit, jusqu'ici, la seule personne ayant fait l'objet d'une mesure de garde à vue prolongée dans le traitement de ce dossier anti-corruption entraîne encore de nombreuses interrogations, tant sur les réseaux sociaux, que dans les conversations entre Mauritaniens.

Par notre correspondant à Nouakchott
Cheikh Sidya




Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


Commentaires : 3
Lus : 3592

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (3)

  • Buwuelm (H) 24/08/2020 19:30 X

    Il me semble que le "360 Afrique" doit procéder à une mise à jour de son texte présenté ce 24 Août 2020, à 15h 51. En effet, au second paragraphe, il est écrit : "Alors que l'ex-président mauritanien se trouve à présent dans une cellule de prison dans la capitale depuis une semaine, une véritable guerre médiatique s'est déclenchée en Mauritanie depuis quelques jours...

  • KANTAKI (H) 24/08/2020 17:47 X

    Alors, responsable ou pas responsable ?

    Ya t-il une possibilité qu’un justiciable mauritanien (c’est-à-dire au mois responsable de ses actes) puisse échapper à la justice pour l’éternité ? Non, cette disposition serait elle-même illégale car elle serait en désaccord avec la constitution nationale qui dispose que nul n’est au dessus de la loi. Le principe de la responsabilité du président évoqué en nullité « le président de la république n’est pas responsable de ses actes….. » est également illégal car le principe de responsabilité est un principe universel du droit et nul ne peut en disposer pour ses propres convenances, donc un tel principe est nul car il est tout aussi contraire à la constitution car « tous les citoyens sont égaux devant la loi… », C’est la constitution de notre pays qui en dispose !

    La nullité de « justiciabiité ? », une telle disposition ressort soit de la nullité structurelle, exemple un mauritanien diminué gravement mentalement…Il ne serait pas responsable de ses actes devant le tribunal et devant la société mauritanienne, soit de la prescription qui peut jouer dans le sens de la perte de droit par les défendeurs devant les tribunaux, cela est fréquent…Je ne parle pas du vice de forme…

    Mais attention, la Cour Suprême mauritanienne est endroit d’interpréter les textes pour atteindre la justice idéale et égalitaire et pour empêcher que des justiciables exécutent des actes criminels et s’en tirent par des formules du type de celles insérées dans l’article 93 de notre constitution..

    La constitution ne garantit qu’une immunité et non une impunité, elle serait d’ailleurs autodestructrice par essence car elle violerait un principe de base du droit universel et son interprétation légale revient à la Cour Suprême mauritanienne sur simple demande du commissaire au gouvernement, souvent si non toujours ignoré dans le débat et dans les procédures légales par l’état.

    Toujours est –t-il que notre constitution ne protège pas les justiciables dans l’absolu …Le sens du texte constitutionnel est simple : Si le chef de l’état s’en tient à ses pouvoirs et exécute son mandat dans les règles, il est protégé contre la vindicte de ceux qui peuvent l’accuser ou bien de n’avoir rien fait ou d’en avoir trop fait… Ou en tous les cas de mauvaise ou de bonne foi !

    En somme la constitution protège le chef de l’état dans le sens de la réalisation régulière et légitime de ses pouvoirs de président de la république, elle l’encourage même à aller de l’avant. Ces privilèges constitutionnels ne s’appliquent pas aux actes dérogatoires aux pouvoirs dont il dispose, car la constitution pour le protéger limite son champ de protection aux actes réguliers et légitimes menées pendant le mandat …

    Il est ‘ailleurs étonnant que des avocats supposés réputés avancent des arguments en faveurs d’une lecture textuelle et partielle de la constitution mauritanienne pour obtenir le non lieu pour leur client et il est même cruel qu’ils aient pensé à le lui faire croire ! Bonjour les dégâts , le Ministère Public peut retirer leur agrément d’avocat car un avocat n’est pas astreint par une obligation de résultat, justement une disposition de la loi qui lui permet d’exercer ses talents sans recourir à la fiction et aux interprétations douteuses ! Si un avocat va plus loin que son obligation de moyens d’une certaine façon qui porte atteinte au droit, alors il est à sanctionner.

  • mdmdlemine (H) 24/08/2020 16:12 X

    Son autre collègue du collectif de défense de l'ex dictateur Aziz, en l'occurrence le canadien d'origine mauritanienne Taghiyoullah Eida a tenu sur les antennes de RFI des propos plus gorssiers et plus insultants en qualifiants les enqueteurs de la police chargée des crimes éconmique et financiers de "mauvais"