31-08-2020 16:33 - L’Etat, un justiciable : s'il y a faute, à qui la faute ?

L’Etat, un justiciable : s'il y a faute, à qui la faute ?

Me Aliou SALL - Une actualité débordante à tous azimuts qui renvoie presque exclusivement à des noms de personnes physiques quel qu’en fussent leurs probités.

Hélas, on est toujours tenté de s'interroger où est l’Etat ou qu’à fait l’Etat en connaissance de cause jusqu'au 31 juillet 2020 avec un Chef de l’Etat, premier responsable de l’exécutif et en même Président du Conseil supérieur de la magistrature (article 25 et 89 de la Constitution) ? Est-il bien conseillé sur les profondeurs du pouvoir judiciaire ? Tout serment appelle à la méditation.

L'Etat dormait ou la COVID19 le berçait dans un sommeil indescriptible face aux risques de stabilité qui planent ? L’Etat étant aussi justiciable, doit-il réparer les préjudices qu’il a causés aux particuliers ou aux entreprises victimes ? Les agents publics (fonctionnaires) doivent-ils répondre, au pénal, pour les ordres illégaux qu’ils ont exécutés ?

Nous ne devons ignorer ou perdre de vue que l'Etat en tant qu’acteur de la partition politico-judiciaire occupe un rôle de premier plan et à double titre : en tant que partie civile mais aussi partie devant rendre la justice sous la couverture du Parquet et les juges de tribunaux qui sont, après tout, des fonctionnaires de l’Etat. Alors l’Etat, peut-il être juge et partie ? Comment peut-il ou doit-il, en vue d’un procès équitable, rassurer les citoyens qui connaissent bien les réalités du terrain ?

Aussi, nous devrions nous rappeler que l'Etat, en tant que partie prenante, a une part de responsabilité très importante pour tous les éventuels manquements qui pourraient être constatés dans les affaires judiciaires en cours. Mais en parlant de l'Etat d'abord, en tant que personne morale qui a des obligations juridiques à accomplir et des droits à protéger dans l’intérêt public : un justiciable qui doit rendre des comptes aux victimes également. Selon le Code des obligations et des contrats (1989, articles 18 et 20), l’Etat, personne morale, a notamment le droit d’ester en justice. Il y a aussi l’article 25 du Code de procédure civile, commerciale et administrative qui va dans le même sens.

Ce concept abstrait de la notion d’Etat, mais aussi sujet de droit, ne devrait être un parapluie pour « régler des comptes, faire preuve d’un dévouement passionnel inapproprié ou faire ce que l'on veut … », à croire encore que nous soyons dans un Etat de droit. Il semble qu’un Etat de droit signifie d’après les différents lexiques juridiques, la primauté et le respect des lois et règlements de manière neutre et désintéressé et auxquels l’Etat devrait être également soumis. Si l'Etat est responsable de manquement aux lois et règlements, il devrait être condamné pour les préjudices subis par les victimes notamment s'il le faut, en cas de séquestration, détention arbitraire, violation des lois économiques, sociales ou ses engagements, complicité de fraude ou de détournement, etc.

Et au-delà de l'Etat en tant que justiciable, cela signifie également que les agents publics de l'Etat en fonction devront aussi répondre à la barre du tribunal pénal pour tous les faits et ordres illégaux exécutés jusqu’à 31 juillet 2020. La constitution a clairement posé la règle de l’égalité des citoyens devant la loi (article 1 et dans son préambule).

En ce sens, il est utile de rappeler que l’ordre illégal exécuté n’engage que la personne qui l’accomplit. Chaque agent public devrait prendre ses responsabilités personnelles et donc le refuser si tel était le cas. A ce titre, la loi 93-09 du 18/01/1993 portant statut général de la fonction publique et agents contractuels de l’Etat prévoit que « tout fonctionnaire doit se conformer aux instructions générales et aux ordres individuels écrits ou verbaux de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où, l’ordre donné est à la fois manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public, et notamment dans le cas où l’ordre donné aurait pour effet de lui faire commettre une infraction pénale … » et aussi l’article 17 de la constitution de citer que nul n’est censé ignorer la loi.

L'ordre illégal n'a pas droit de cité dans un Etat de droit. Le seul mérite de l'agent public était de rendre le tablier en pareille circonstance. Une célèbre maxime latine cite : « Nul ne doit se prévaloir de sa propre turpitude ». Pourquoi l'Etat est-il fondé à réclamer des choses qu'il a, peut-être, sciemment laissé faire jusqu’au 31 juillet ? Alors à qui la faute, si l’Etat a illégalement donné, vendu ses biens, violé ses lois économiques, sociales, engagements ou exonéré des impôts et taxes, … ; il faudra condamner l'Etat d'abord…. Un justiciable non ! Et la jurisprudence française notamment de la Cour de cassation avaient rendu des arrêts en ce sens.

Le tribunal qui n'aurait pas le courage de dire le droit face à l'Etat ou à tout autre justiciable, continuera à nous poser des interrogations sur l'avenir de notre République. Faut-il y croire encore ?

En conséquence, les agents occupant actuellement des fonctions importantes devraient eux aussi répondre à la barre (exécution ordre illégal) pour les éventuelles infractions à la loi soit pour détention arbitraire, détournement, complicité, corruption, violation de loi économique, sociale, ses engagements, etc. La responsabilité pourrait être civile et pénale et devrait peut-être servir l’histoire de la gouvernance publique mauritanienne.

Mais au vu du contexte public organisationnel et des différents enjeux, l’environnement des agents de l’Etat demeure dominé par le souci de la réussite de la carrière et la peur de dire le droit face à l'Etat ou à la hiérarchie et cela au détriment de la loi et de l’intérêt public. Il y a lieu de s’interroger si dans un tel environnement, de manière générale un procès équitable et plus particulièrement la garantie et l’indépendance de la justice pourraient être réellement assurés ? Peut-on être juge et partie, si l'on ne rassure pas tous les justiciables avec des mesures fortes et concrètes ? La continuité d’antan peut-elle faire bouger les lignes face à une communication publique quasi inexistante ?

L’avenir de notre gouvernance ne se construira pas uniquement avec des procédures médiatiques ou des lectures juridiques à minima ou sélectives des dispositifs mais probablement avec un discours fort, effectif et incontestable pour le premier citoyen de « Noukta sakhina » et avec une justice dépossédée des influences de la puissance publique positionnée au premier plan et vue comme un gourou qui fait trembler principalement certains fonctionnaires et laisse d’autres en rade.

Me Aliou SALL

Avocat.





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Source : Me Aliou SALL
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Commentaires (1)

  • simballa (H) 01/09/2020 10:20 X

    clin d'oeil à Aziz et sa bande, c'est dire que tu peux faire l'affaire pour la bande des voleurs