08-09-2020 17:16 - Contrat de concession du terminal à conteneurs du PANPA : Irrégularités à la pelle

Contrat de concession du terminal à conteneurs du PANPA : Irrégularités à la pelle

Le Calame - Le contrat de concession du terminal à conteneurs du Port Autonome de Nouakchott, dit Port de l’Amitié (PANPA), a fait couler des torrents d’encre et de salive, les ultimes mois de la décennie de règne de Mohamed Ould Abdel Aziz.

C’est un des plus « chauds » dossiers sur lesquels a porté le travail de la Commission d’Enquête Parlementaire (CEP) dont le rapport, de plusieurs centaines de pages, transmis à la justice le5 Août dernier, domine les causeries de salon et le débat politico-judiciaire. Un document dont le traitement par la justice se trouve au stade d’une enquête préliminaire conduite par les limiers de la police chargée de la répression des infractions à caractère économique et financier.

Une étape qui a valu à l’ex-président de la République une garde à vue d’une semaine, entre le 17 et le 24 Août, levée après l’expiration des délais prévus par la loi anticorruption de 2016.

Pour l’affaire de la concession du terminal à conteneurs, les éléments contenus dans le rapport des députés,combinés à un examen approfondi des différentes pièces, révèlent au grand jour de nombreuses violations des dispositions de la loi de2017, relative aux contrats de Partenariat Public/Privé (PPP).

Une forêt d’irrégularités en dépit de laquelle les recommandations formulées de la CEP « sont ambigües et contradictoires. Car elles semblent privilégier l’amendement du contrat de concession plutôt que sa résiliation qu’elles trouvent trop contraignante pour l’État »,commente le Directeur Général (DG) du PANPA, Sid’Ahmedould Raiss, dans un courrier adressé au Ministre de l’Équipement et des transports,département de tutelle de cette grande entreprise publique.

Mais, pour le DG du port, le caractère contraignant des risques liées à une option de rupture exprimé par la CEP relève « d’une assertion qui ne repose ni sur une appréciation juridique exacte ni une évaluation chiffrée du volume des travaux déjà engagés, encore moins sur le niveau des financements et leurs conditions de mobilisation ».

Le fait de laisser des zones d’ombre sur des aspects aussi déterminants dans les éléments d’appréciation du contrat « pourrait fragiliser la partie mauritanienne », alors que la mesure exacte et objective de tous les paramètres d’évaluation liés au contrat permet de mettre en évidence les termes d’un « contrat léonin » dont les premiers indices de mise en œuvre ne laissent aucun doute sur les prémisses d’une véritable catastrophe économique et commercial, un énorme manque à gagner pour un outil de souveraineté.

Loi sur les PPP taillée en pièces

Plaidant pour une résiliation pure et simple, à travers une position nettement plus tranchée que les recommandations des députés tenaillées par la peur des éventuels risques juridiques d’une rupture, la correspondance du DG insiste « sur les conditions douteuses qui ont entouré l’attribution de la concession et la violation substantielle des dispositions de la loi 2017.06, relative aux contrats PPP, qui relèvent de l’ordre public.

S’il est vrai que toute démarche contentieuse, toute dénonciation unilatérale d’un contrat n’est pas totalement dénuée de risques,l’ampleur des manquements à la loi est néanmoins telle que les vulnérabilités apparaissent plus du côté d’ARISE que de celui de la partie mauritanienne ».

Car « de nombreuses irrégularités ont entaché le contrat de concession. Sa confrontation aux dispositions de la loi 2017-06relative aux PPP fait ressortir de multiples anomalies », relève le DG du port.Parmi ces graves entorses, la correspondance met à nu « la violation des règles substantielles relatives au démarrage des travaux, dont les prérequis n’ont pas été respectés.

Il s’agit notamment de l’impératif de l’approbation préalable de l’Avant-Projet Détaillé(APD) de tout ouvrage dont l’amortissement dépasse cinq ans, tel que cela ressort de l’article6.9.1 du contrat.

L’APD qui permet une estimation du coût des travaux n’a pas été fournie.Ses études, ses plans détaillés d’exécution et ses calculs n’ont jamais été soumis à l’autorité contractante.

Cette étape cruciale a été ignorée. Dès lors, comment déterminer avec exactitude le coût de l’ensemble des composantes du projet ? Comment savoir que les options techniques retenues sont celles qu’il faut ?Aucune autorité mauritanienne à quelque niveau que ce soit, n’a été associée à un exercice de ce type. Et les coûts de l’ouvrage et des équipements demeurent ignorés ».

Par ailleurs, poursuit la correspondance adressée au Ministre de l’Équipement et des transports,« la concession a été signée en violation des dispositions du décret 87.253 qui confie la gestion du domaine portuaire et maritime au PANPA.

Le terminal se situe dans l’enceinte du port, donc à l’intérieur du domaine portuaire. Il y a lieu de s’interroger sur les raisons de son éviction de l’élaboration et de la signature d’une convention qui le concerne au premier titre et sur les conséquences juridiques d’une violation expresse de ces dispositions réglementaires.

En outre, les emprises foncières couvrent le terre-plein historique du PANPA qui figure dans ses actifs et dont la concession aurait dû faire l’objet d’une procédure spécifique.La zone dont le PANPA a été dépouillé couvre deux hangars de 6400 mètres carrés et un terre-plein bitumé et aménagé, qui rapporte près de 110 millions MRO par an.

Les règles de cession des actifs d’un Établissement Public à Caractère Industriel et Commercial (EPIC) disposant d’une autonomie financière et de la personnalité morale n’ont pas été respectées en cette circonstance ».

Opacité des conditions financières

Une des dimensions du contrat avec ARISE, qui cristallise l’opposition de l’administration actuelle du port de Nouakchott, porte aussi sur la nébuleuse qui enveloppe les conditions de financement« qui n’ont pas été portées à la connaissance de la partie mauritanienne. ARISE a indiqué de façon très lapidaire que le montant global de l’investissement s’élève à 390 millions de dollars US, dont40 % de fonds propres et 60 % à mobiliser grâce à des emprunts.

Le montant de l’investissement n’a jamais l’objet d’une validation parla partie mauritanienne. Les détails de souscription et de libération du capital, les détails et les conditions des accords de financement demeurent inconnus,contrairement aux règles en la matière. La partie mauritanienne ignore les coûts des emprunts et leurs conditions ».

Cela alors que toutes ces informations devaient être portées à sa connaissance avant le démarrage des travaux « avec les preuves de libération du capital, les comptes courants associés le cas échéant,les accords de prêts et les preuves de mise à disposition des fonds ».

Investissement surestimé et exorbitants tarifs desprestations

La correspondance du DG du port de Nouakchott à la tutelle réfute également la thèse d’un investissement de 390millions de dollars, soutenant que celui-ci « est surestimé de plus de cent millions de dollars US.

En partant des mêmes bases que l’étude EGIS Internationale de 2012 (mission d’études et de supervision et de travaux), tenant compte de l’augmentation du volume de dragage de3000 mètres cubes, ainsi que l’introduction de nouveaux équipements de manutention (RTG) et de l’augmentation des équipements à quai,l’estimation la plus large de l’investissement fait ressortir un montant de près de 288 millions de dollars ».

Il faut également ajouter, à ces facteurs déséquilibrant le contrat au préjudice de la partie mauritanienne, « des incidences financières largement négatives sur le chiffre d’affaires du PANPA et des opérateurs privés, si l’on se fonde sur un taux de croissance du trafic de 5 %, tel qu’il ressort de l’annexe 4 de la convention, ou de l’hypothèse d’une évolution de 7,78 %, sur la base des données statistiques du port pour l’année 2019.L’infrastructure supportera une baisse du chiffre d’affaires, qui va passer de 1,2 milliards de dollars à 2 milliards de dollars US sur la durée du contrat ».

Il s’ajoute à cela le problème de l’article 28 de la convention, qui réserve à l’opérateur le pouvoir de fixer les tarifs. Ainsi les prix proposés vont du simple au double. « Ils sont trop élevés et illégaux ». Illustration : actuellement, « pour un conteneur de 20 pieds, on paye240 dollars, soit 9000 MRU. Mais ARISE propose un prix qui varie entre 425 et 475 dollars, soit entre 16.000 et 17.800 MRU.Pour un conteneur de 40 pieds, on débourse en ce moment 376 dollars US, soit 14.100 MRU, alors que le nouvel opérateur fixe ses services à un niveau variant entre 575 dollars et 650 dollars us, soit entre21.600 et 25.300 MRU », précise le document.

Le constat de l’administration est que, dans le contexte actuel, « ARISE manœuvre en vue de maintenir le statuquo de la convention », dans l’objectif d’obtenir le redémarrage des travaux arrêtés dans la foulée de la pandémie du coronavirus.

La correspondance recommande, en première option, « une résiliation à l’amiable. Si pour une raison, ou une autre, celle-ci ne peut être obtenue, la partie mauritanienne dispose de solides arguments pour une dénoncer unilatéralement une convention hautement léonine ». Les conclusions de la CEP n’ont pas de caractère contraignant pour le gouvernement, du point de vue du Droit, mais « peuvent orienter son action dans le cas où elles seraient jugées pertinentes ».

Et l’on rappellera, enfin, que les contrats de Partenariat Public/Privé (PPP) représentent un mode d’investissement à travers lequel une autorité publique fait appel à des prestataires privés pour financer et gérer un équipement assurant ou contribuant au service public. Le contrat avec Arise semble tout de même assez loin, c’est un euphémisme, d’une telle contribution au bien de la Nation…

Ben Abdallah



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Commentaires (1)

  • moukhabarat (F) 09/09/2020 18:49 X

    la magouille était tellement grosse que le communiqué du conseil des ministres qui a accordé la concession n'a pas osé mentionner le nom de Arise ce qui veut qu'Arise connaît très bien que ce dossier a bien été mariné dans la corruption. Il faudrait renégocier avec elle un contrat équilibré tout en maintenant sur la tète de ses dirigeants la pression de la possibilité de les poursuivre pour corruption.