14-09-2020 02:21 - Hommage à Tijane Diagana

Hommage à Tijane Diagana

Seydou Ngam - Après le temps du deuil, voici venue l’heure de rendre hommage à mon grand frère et ami Tidiane Youssouf Diagana, décédé le 26 Juin 2020 à Nouakchott.

Voilà 16 ans, que nos destins se sont croisés sur le terrain socioculturel et humanitaire. Il m’a adopté comme son jeune frère. J’ai encore du mal à conjuguer notre complicité au passé. Durant ce bout de chemin passé ensemble, j’ai découvert en lui, un homme de foi, humble, digne d’estime et de confiance.

Un homme de principe, de conviction et fidèle, dont le métier dépassait les rouages de l’architecture, mais il avait aussi fait le choix de tisser la toile des relations humaines par le nœud de l’amitié et de la fraternité.

Sans à priori, il m’a ouvert les portes de sa maison, m’a présenté sa famille, et de surcroit, il m’a adopté comme son jeune frère. Réalisant enfin son absence, je me résolve à lui rendre un hommage mérité, en revisitant sa vie et son œuvre, qu’il m’a confié de son vivant.

Tidiane Youssouf Diagana est né le 2 Août 1942 à Pointe Noire au Congo. De père mauritanien fonctionnaire du chemin de fer colonial, et de mère congolaise. Le jeune Tidiane a grandi sous l’ombre de l’affection parentale, avec les regards attachant d’une mère et d’un père intransigeant sur l’éducation de ses enfants, dont l’empreinte islamique était de mise.

El Hadj Youssouf Diagana père cheminot à Thiès (Sénégal), est muté au Congo dans la bretelle historique du chemin de fer Congo Océan. Sur le front du destin, il rencontre celle qui deviendra son épouse et la mère de ses enfants, originaire de Kasai, de la même ethnie d’un certain Patrice Lumumba. De cette union sacrée, elle finit par embrasser l’Islam, la religion de son mari.

Sous le toit de cette heureuse rencontre, naitront les premiers enfants de l’integration africaine, entre l’Afrique Occidentale et l’Afrique Centrale, sous le joug de nos ancêtres les gaulois.

Apres l’initiation coranique entre les mains de son père, qui était l’un des précurseurs de la religion islamique à Pointe Noire, il est inscrit à l’école fondamentale de la ville.

En 1951, c’est le retour aux sources, son père ramène la famille à Kaédi, pour les familiariser avec la terre ancestrale et découvrir les différentes branches de leur lignée Soninké.

Une Communauté séculaire, imbue de foi, du savoir vivre et très attachée aux valeurs de son identité et de la solidarité qui régit l’idiome Soninkara. Une fois à Kaédi, il reprend le chemin de l’école fondamentale de Kaédi dans la classe CE2, sous le regard pédagogique de son jeune maitre Abdoulaye Sarr et sous l’œil avisé de son directeur Clédor Sall, parmi les pionniers de l’éducation nationale.

Deux ans à Kaédi, la famille Diagana reprend le chemin fluvial à bord du célèbre navire Bouwel Mougdad, destination Saint-Louis, où ils prendront une correspondance ferroviaire pour Thiès, la capitale du rail, dont le chef d’œuvre « Bouts du Bois de Dieu » de Sembène Ousmane, nous rappelle le combat héroïque des cheminots contre l’exploitation coloniale. De nouveau, il change d’école, pour faire la classe de CM2 à Thiès. Il passe brillamment son entrée en sixième, ce qui lui ouvre les portes du célèbre Lycée Technique Delafosse à Dakar.

Une fois, le brevet technique en poche, à 17 ans, il rejoint Saint Louis, la Capitale de la Mauritanie comme auxiliaire de Travaux Publics dans l’Inspection du Travail d’un Etat en gestation, dont l’espoir est porté par un jeune président, Maitre Moctar Ould Daddah.

Il sera plus tard, parmi les plus proches collaborateurs du président, en matière technique de planification et d’aménagement urbain. En 1960, il sillonne Atar, Tijikja, Kiffa, Boghé et Moudjeria, comme subdivisionnaire des travaux publics.

En 1963, il est envoyé à Bordeaux (France), pour une formation d’Adjoint Technique de Travaux. Dès son retour avec son parchemin en poche, il hérite du poste d’Adjoint directeur de planification et aménagement urbain dans la fièvre d’une jeune capitale en construction.

Parmi les priorités du Président de la République, c’est la mauritanisation des postes, qui étaient en majorité entre les mains des expatriés.

En 1968, le jeune Tjane qui rêve d’un cursus supérieur d’architecte, a réussi un concours d’une bourse CEE, qui va le conduire au bord du Rhin en Allemagne. Hanovre – Munich et Berlin, lui ont ouvert les portes, pour faire de lui, le premier architecte urbaniste de la Mauritanie.

De son séjour allemand, on retiendra son passage dans l’équipe de football de la ville de Hanovre, comme attaquant redoutable et buteur avisé, qui lui ont valu le surnom Tidi, entre les lèvres de nombreux supporters, à chaque fois où il marquait un but.

Il ne faut pas aussi oublier, son discret passage dans la grande équipe des Girondins de Bordeaux, lors de sa formation dans la Capitale du fer forgé français.

Il débarque en Allemagne, sous la fièvre des mouvements sociaux, dont l’épicentre est situé en France, avec le pic du Mai 68. Le jeune étudiant est devenu mur, averti et conscient, pour avoir été forgé dans l’école du scoutisme, où le don de soi et l’esprit solidaire rentrent dans la feuille de route des feux du camp.

Durant l’une de nos retrouvailles, il me fait une confidence : «Petit frère, je ne pourrai jamais oublier 1968, car c’est l’année où j’ai perdu mon père. Loin de ma famille et dans la douleur du deuil. Par miracle le Président Moctar est en visite en Allemagne, il m’offre un billet pour aller se recueillir sur la tombe de mon père et partager le deuil avec mes proches. »

Il a toujours porté un grand estime et une profonde reconnaissance au Président Moctar et sa famille, comme il me le rappelait souvent : «Le Président Moctar fait partie de ces hommes, qui m’ont marqués par sa lucidité, sa générosité et son sens de responsabilité. Il croyait profondément à la Mauritanie et au peuple mauritanien. »

Au terme de ses études en Allemagne, avec son diplôme d’architecte en poche, il avait plusieurs choix devant lui, faire une carrière sportive dans son mythique Club 96 de Hanovre, exercer sa fonction d’architecte en Europe, ou bien revenir au pays, pour participer à la dynamique de construction d’une Mauritanie en devenir et qui suscite beaucoup d’espoir.

Il n’a pas hésité une seconde, pour choisir l’option du retour au bercail. Aussitôt arrivé, aussitôt servi, il est nommé directeur de l’urbanisme.

Au-delà de ses charges à la direction de l’urbanisme, il était très proche du Président sur les questions de la planification et de l’aménagement, ce qui lui a valu de rencontrer le sage Houphouët Boigny. Le Président Ivoirien n’a pas hésité de demander au Président Moctar, les services du jeune architecte, qu’il voulait recruter. L’avocat-président ne pouvait pas laisser une pièce précieuse dans l’ossature de ses modestes ressources humaines. Pour faire plaisir à son ami et collègue ivoirien, le président Moctar a opté pour le partage, avec des allées et retours du brillant architecte, entre Abidjan et Nouakchott, pour anticiper la construction de l’integration africaine. Ainsi durant sa carrière, il a fait plusieurs allées et retours en Côte d’Ivoire, pour participer aux grands travaux de ce pays frère, ce qui a beaucoup étoffé sa longue et riche expérience.

Dès lors, on peut comprendre son amour et son attachement au grand éléphant africain, pour tisser de solides relations d’amitié avec son peuple. Pour preuve de cette complicité fraternelle, il a accepté avec humilité les charges du Consul Honoraire de la Côte d’Ivoire à Nouakchott.

Durant son exercice sous le règne du Président Moctar, il a été de tous les rendez-vous, sur les chantiers d’une capitale sortie du néant, et dans les voyages officiels pour rencontrer les grands de ce monde, avec la mission technique de convaincre les bailleurs sur la fiabilité des projets prioritaires dans l’agenda du président.

En 1978, l’armée s’invite au sommet de l’Etat, pour mettre fin au pouvoir civil.

Nos militaires novices en politique et par manque de vision prospective de la continuité des grands travaux de planification, le développement du pays a pris un coup, face aux coups d’Etat répétitifs.

Sans se résigner l’infatigable architecte a continué de servir loyalement son pays, même si l’expertise de son génie créateur, n’est pas toujours comprise.

En 1993, il est admis à faire valoir ses droits à la retraite, après une riche carrière, oh combien bien remplie. Après des vacances sabbatiques, l’infatigable bâtisseur reprend service dans son cabinet d’architecture, dont l’objectif est d’offrir ses services et son expertise. Homme de foi et de conviction, il a eu du mal à s’adapter dans l’espace du secteur privé mauritanien. Un marché dont il a eu toutes les difficultés à pénétrer, tant les règles et les fondamentaux sont basés sur le trafic d’influence, la corruption et la politique tribale du gré à gré. Sans se décourager, il a vécu et survécu au tourbillon du temps, sur le front d’un destin mouvementé.

En architecte social, il a formé plusieurs jeunes architectes, sous le toit de l’ordre des architectes de la Mauritanie, dont il était membre fondateur, et fut le président pendant plusieurs années.

Ce qui était remarquable chez l’homme, c’est d’avoir su allier le social, le sportif et le culturel au professionnalisme de l’architecte. Comme il le disait si bien : «Petit frère, dans la vie tout est lié, mais il faut la main experte de l’architecte pour construire les passerelles. »

À la question, quel est le meilleur souvenir de sa vie ?

Il répond : « C’est d’avoir posé les premiers jalons du scoutisme en Mauritanie, nous avons inculqué à beaucoup de jeunes mauritaniens toutes communautés confondues, le don du soi, le sens du partage, l’amour du prochain, dans l’idéal social du vivre ensemble. »

Le président Moctar impressionné par la discipline et la passion des jeunes scouts, n’a pas hésité à y puiser pour étoffer son armée dont il voulait républicaine.

Membre de Lions-Club, il était Past-Président, responsable régional dans le jargon humanitaire. De cette passion liée aux bonnes actions, il a continué de se donner pour les bonnes causes.

La réhabilitation de la grande mosquée de Kaédi, dont les travaux sont achevés en 2017, sous le regard attentif de l’architecte en chef, en est une parfaite illustration.

En fin diplomate, il a trouvé un compromis entre ceux qui voulaient raser la mosquée et reconstruire une mosquée ultra moderne, et ceux qui veulent garder le monument historique avec une touche du renouveau. Le sage architecte a su réconcilier les deux camps, en adoptant la passerelle du tradi-moderne architectural. Là aussi, il a fait ses preuves, en laissant des millions d’économie dans le compte du Comité de pilotage des travaux, qui pourront être affectés à d’autres projets sociaux.

Il a eu six enfants (deux filles et quatre garçons). En père de famille et grand père comblé, le doyen des architectes de la Mauritanie, vivait en face de l’Ambassade de France, dans sa maison signée de sa griffe. Une maison toujours ouverte, avec un canari d’eau à la porte d’entrée, pour étancher la soif des passants.

En dépit de la psychose sécuritaire dans la Capitale, où les nouveaux riches se barricadent dans leurs bunkers, avec une horde de gardiens, l’architecte social avait choisi la modestie et la simplicité, pour se fondre dans la foule du peuple.

Encore une leçon d’humilité quand il dit : « La modestie n’empêche pas le don de soi, l’action volontaire, et l’attachement aux valeurs humaines. Face à l’appel au don pour les travaux de la mosquée de Kaédi, j’ai eu la conviction que chez-nous en Mauritanie, les pauvres sont plus généreux que les riches. Avec leur cœur et dans la foi, ils ont donné le meilleurs d’eux-mêmes, leur temps, leur énergie, pour la plus belle œuvre architecturale de ma vie. »

À chaque fois que je venais à Nouakchott, j’avais hâte de me retrouver sous l’ombre de la sagesse, et je n’avais pas envie de le quitter, tant son discours était pédagogique, son raisonnement cohérent, son langage poétique et ses conseils dynamiques.

Mon grand frère et ami Tijane Youssouf Diagana est rappelé à Dieu, le 26 juin 2020 à Nouakchott (Ina Lillah Wo Ina Ileyhi Raji Oune). À Allah nous appartenons, et vers lui nous convergeons.

Merci Doyen de m’avoir adopté comme petit frère, de m’avoir ouvert les portes de ta maison et surtout le soutien indéfectible, que tu as apporté pour mon musée. J’allais dire notre musée, dont tu fus l’un des premiers mécènes, à comprendre sa portée et ses objectifs.

Cher Grand Frère ! Chaque vivant va gouter à la douleur de la mort. C’est inéluctable, mais quand on perd un frère et un ami, l’œil pleure, le cœur souffre, et le deuil est de mise. Je vous suis profondément reconnaissant. Je n’ai pas oublié nos virées dans la capitale, pour me présenter l’empreinte de l’architecte dans les vieux quartiers de Nouakchott. Quelques rares rues portent encore des plaques de numéros, de repères d’avenues.

C’est l’occasion de faire un souhait solennel et légitime au sommet de l’Etat, pour qu’une rue, ou une avenue porte symboliquement le nom du premier architecte urbaniste de notre pays.

Grand frère repose en paix. Je vous serai toujours reconnaissant, car le Hadith nous rappelle : « Celui qui n’est pas reconnaissant envers les humains, ne peut pas être reconnaissant envers Dieu. »

Mes condoléances à la grande famille des Diagana, ma compassion et ma solidarité à ta famille. Que la lumière de ta sagesse rejaillisse sur tes enfants. Et que le Bon Dieu t’accueille dans son paradis.

Repose en paix Grand Frère !

Nouadhibou, le 11 Septembre 2020

Par NGam Seydou





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Source : Seydou Ngam
Commentaires : 2
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Commentaires (2)

  • Salem Vall (H) 14/09/2020 16:21 X

    Le peu que j’ai connu de lui, laissait pensait que l’homme était humble, simple et très courtois. En somme pieux

  • Guetna (H) 14/09/2020 08:56 X

    Une rue, une avenue, un immeuble (du gouvernement), une place, un carrefour (madrid?), un aéroport ou une école....doivent porter son nom. C'est un "monument" dont il faut conserver le souvenir.