12-10-2020 19:29 - Réponse du collectif défense Etat de Mauritanie aux avocats français de l'ancien Président Oud Abdel Aziz

Brahim Ould Ebety - Résumé
En réaction à notre Mise au Point du 1er octobre relatif au dossier de Corruption
ouvert contre l’ancien Chef d'Etat, Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz, « Me
Rajjou et Me Brigant », sans aucune adresse que « Brest-Paris-Marseille », ont publié
une « lettre ouverte » insolite, adressée à son excellence, monsieur le Président de la
République.
Directement interpellé et spécialement ciblé dans cette lettre, notre Collectif voudrait
ici éclairer l’opinion publique nationale et internationale et rétablir la vérité sur les
questions liées à la situation juridique de l’ancien Chef de l’Etat, en faveur duquel
ces avocats réclament une totale impunité pour les graves crimes économiques, qu'il
est suspecté d'avoir commis durant son double mandat de Président de la République.
1. Sur certains aspects formels attachés à la lettre
Outre une rédaction déplorable, cette « Lettre ouverte » confirme, en tous points la
volonté délibérée de ses auteurs de s’affranchir des règles élémentaires, légales et
déontologiques, qui gouvernent l’exercice du ministère d’avocat par des étrangers en
Mauritanie : refus d’élire domicile auprès du Cabinet d’un confrère mauritanien,
absence délibérée de visite du Procureur de la République et du Bâtonnier de l’Ordre
des Avocats etc.
Persistant dans leur ligne de conduite condescendante et méprisante, ils s’en prennent
ouvertement à toutes les autorités et institutions publiques (Président de la
République, Parlement, Ministre de l’Intérieur, Procureur de la République…) ainsi
qu’à tous les confrères qui ne partagent pas leurs opinions subjectives.
Se considérant en pays conquis, MM. Rajjou et Brigant, n’hésitent pas à donner des leçons à tous et Ã
chacun, interpellant les uns et les autres et sommant tout le monde d’agir suivant leurs
propres vues et interprétations déformées des faits et du droit applicable, aussi bien en
Mauritanie qu’en France, qu’ils citent avec surabondance.
Sans oublier les
accusations « d’antisémitisme » et de « néocolonialisme » qu’ils tentent d’imputer aux
adversaires de leur client, sans la moindre preuve, dans une tentative désespérée de
mobiliser certains milieux internationaux, créer la confusion et se présenter en
victimes expiatoires.
C’est donc, dans sa forme, d’une « lettre ouverte » politicienne
qu’il s’agit ici et qui nous donne également une idée de la légèreté avec laquelle y
sont traitées les questions juridiques liées au statut de l’ancien Chef de l’Etat face aux
graves soupçons de corruption qui pèsent sur lui, questions qui nous retiendrons plus
longuement.
2. Sur les principales questions juridiques soulevées par la lettre
2-1 A propos de l'immunité alléguée de l'ancien Chef d'Etat sur la base de
l'article 93 de la constitution (ancien article 68 de la constitution française)
Les avocats français de l'ancien Président soutiennent qu'au terme de l'article 93 de
la constitution, leur client bénéficierait d'une immunité absolue qui « interdirait toute
mesure pénale de quelque ordre qu'elle soit à son encontre en dehors de la procédure de mise en accusation pour Haute Trahison.. ».
Ce faisant, ils confondent l'inviolabilité, qui est inhérente à la qualité de Président de la République et dont ne bénéficie qu'un Chef d'Etat en exercice, pendant la durée de son mandat et
l'immunité fonctionnelle qui, certes, survit à la cessation des fonctions, mais ne
couvre que les actes qui ont été accomplis dans l'exercice de la fonction présidentielle,
sous réserve du cas de Haute Trahison.
Alors que l'inviolabilité interdit de manière
absolue toute mesure de contrainte judiciaire à l'encontre d'un Président en cours
de mandat, quel que soit l'acte accompli, l'immunité fonctionnelle de l'article 93
ne protège un ancien Chef d'Etat que pour les actes qu'il a accomplis dans le
cadre de la fonction présidentielle.
Strictement cantonnée à ces actes, elle
n'empêche pas les Autorités de Poursuite qui retiennent, à la charge d'un ancien
Chef d'Etat, des infractions détachables de la fonction présidentielle, de prendre
à son encontre toute mesure de contrainte autorisée par la loi.
Le problème est, dès lors, de faire la part entre les actes qui ont été accomplis dans le
cadre de la fonction présidentielle, qui sont couverts par l'immunité fonctionnelle et
les actes détachables, pour lesquels l'ancien Président peut être poursuivi, comme
n'importe quel citoyen.
Or, cet exercice passe, souvent, comme le montre la
jurisprudence dans divers pays, dont la France, par un examen du fond du litige par
le juge saisi. C'est lui qui, au cas par cas, peut dire en cas de doute, au terme de la
qualification des faits qu'il aura opérée, si les actes, objet de poursuites pénales sont
des actes de fonction, c'est à dire, « des actes ayant un rapport direct avec la conduite
des affaires de l'Etat" ou seulement » des actes accomplis à l'occasion de l'exercice de
la fonction présidentielle" mais qui ont plus à voir avec les affaires privées.
Ainsi,
lorsqu'un Chef d'Etat se fait réaliser par une société d'Etat une adduction d'eau
et une piscine dans son ranch privé, qu'il mène directement ou par personnes
interposées des activités commerciales parallèles à celle de Président de la
République et qu'il commet des délits dans ce cadre, ou encore, lorsqu'il ouvre
des comptes bancaires à l'étranger qu'il ne déclare pas en violation de la
réglementation des changes ou qu'il utilise une fondation privée comme moyen de
blanchiment, pour nous limiter à ces exemples, l'immunité fonctionnelle de
l'article 93 n'a pas vocation à jouer pour la bonne raison que ces actes n'ont pas
de rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat.
2-2- Sur la compétence des juridictions ordinaires pour connaitre des actes
détachables des fonctions présidentielles de l'ancien Chef de l'Etat
Les avocats français de monsieur Mohamed ould Abdel Aziz soutiennent que pour un
ancien Chef d'Etat, les poursuites pénales, même pour les actes détachables, n'étaient
pas possibles en France sur le fondement de l'article 68 de la constitution (article 93 de
notre Constitution) avant la révision constitutionnelle de 2007 et qu'une telle révision
n'ayant pas eu lieu en Mauritanie, ces poursuites ne seraient pas possibles dans notre
pays.
Ces affirmations qui feront de leurs auteurs la risée des constitutionnalistes et des
pénalistes français qui s'intéressent au Statut Pénal du Président de la
République sont tout simplement incroyables car s'il y a une question sur
laquelle il y'a toujours eu unanimité en France, depuis la promulgation de la
constitution de 1958, c'est bien celle de la compétence des tribunaux ordinaires
pour connaitre des actes détachables d'un ancien Chef d'Etat. La seule question
qui a fait débat en France, c'est celle de la mise en jeu de la responsabilité pénale d'un
Président de la République en cours de mandat pour ses actes détachables devant les
mêmes tribunaux, question tranchée dans des termes différents par le Conseil
Constitutionnel et par la Cour de Cassation mais avec une conclusion commune de ces
deux juridictions pour le point qui nous occupe: dés la cessation de ses fonctions, un
Président peut faire l'objet de poursuites pénales devant les tribunaux de droit
commun.
Quant à la révision constitutionnelle de 2007, elle n'avait pas pour objet de
résoudre un problème qu'aucun juriste sérieux n'a jamais soulevé. Elle vise à clarifier
le statut pénal d'un Président en exercice et le délai de décence républicaine d'un
mois qu'elle prévoit désormais pour exercer ou reprendre les poursuites contre
un ancien Président constitue un recul par rapport à l'ancien article 68 (article 93
de notre constitution) tel qu'interprété respectivement par le Conseil Constitutionnel
et la Cour de Cassation, qui , tous deux, considéraient sur la base de ce texte que les
poursuites pénales peuvent reprendre, sans délai, dés l'expiration du mandat
présidentiel.
2-3- Sur la prétendue illégalité de la Commission d'Enquête Parlementaire
Les avocats français de monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz soutiennent que la
Commission Parlementaire qui a enquêté sur quelques uns des dossiers révélateurs du
pillage des ressources du pays, au cours du double mandat de leur client, serait
illégale du fait « de l'absence d'encadrement constitutionnel et ce fait rendrait d'autant
plus illégale l'ensemble de la procédure » (dixit).
L'argument utilisé est, lui aussi,
consternant de légèreté car si tout ce qui ne figure pas dans le corps du texte
constitutionnel était nécessairement illégal, la quasi-totalité des activités de l'Etat
basculerait dans l'illégalité.
Plus sérieusement, Les commissions d'Enquête
Parlementaires sont régies par le Règlement Intérieur de l'Assemblée Nationale que
la constitution exhausse au niveau des lois organiques et qui est obligatoirement
soumis avant sa mise en application au conseil Constitutionnel qui en vérifie la
conformité avec la Constitution.
Dans la mesure où cette prescription a été satisfaite
et que les décisions du Conseil Constitutionnel ont l'autorité de la Chose jugée,
qu'elles sont insusceptibles de recours et qu'elles s'imposent à toutes les autorités
judiciaires et administratives, le débat sur l'inconstitutionnalité de la commission
d'Enquête Parlementaire n'a aucun sens.
Il a d'autant moins de sens que le dossier,
étant désormais du ressort de la justice, celle-ci n'est pas liée, en vertu de la
séparation des pouvoirs, par les Conclusions de la Commission. La mise en
mouvement éventuelle de l'action publie s'appuie principalement sur les procèsverbaux
de l'Enquête Préliminaire de Police Judiciaire.
Réponse à la lettre de Me Rajjou et Me Brigant, datée du 03 octobre
En réaction à notre Mise au Point du 1er octobre relative au dossier de Corruption
ouvert contre l’ancien Président, Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz, deux individus
se présentant comme avocats français, signant « Me Rajjou et Me Brigant » et sans
aucune adresse que « Brest-Paris-Marseille » ont commis une « lettre ouverte»
adressée à son excellence, monsieur le Président de la République.
Après leur
randonnée cavalière, du mois d'Aout, à Nouakchott où ils étaient venus s’essayer au
forcing, à l’intimidation et aux menaces contre les plus hautes autorités de l’Etat au
nom de leur « client », Me Rajjou et Me Brigant reviennent donc à la charge avec la
même légèreté, la même irresponsabilité et le même style brouillon et arrogant.
Ayant été directement interpellé et spécifiquement ciblé par les auteurs de cette lettre
et pour éclairer l’opinion sur la réalité des faits qu’ils évoquent à demi-mots tout en
les déformant systématiquement ainsi que sur l’état du droit applicable en Mauritanie
et même en France -qu’ils ignorent manifestement ou feignent grossièrement de ne pas
savoir- notre Collectif voudrait, d'abord, revenir sur les aspects formels attachés Ã
leur lettre avant d'aborder les principales questions juridiques qui y sont soulevées,
qui nous retiendront plus longuement.
I. Sur les aspects formels attachés à la lettre
Nous ne reviendrons pas ici sur la rédaction d’une « lettre ouverte » en français,
adressée à la plus Haute Autorité d’un pays étranger, par des avocats françaissupposément
grassement payés pour représenter dans les meilleures formes possibles,
un client, de son propre aveu, particulièrement fortuné.
Une simple relecture par eux-mêmes ou par d’autres aurait largement suffi à épargner
au lecteur cette pénible tâche de correction formelle de base. Y compris pour les
numéros des lois citées (exemple : loi 2016-014 relative à la lutte contre la Corruption
au lieu de la loi 2016-074 relative à …autre chose !).
Nous ne reviendrons pas non
plus sur le fait que ces deux avocats internationaux ne se donnent même pas la peine
de signer leur « Lettre ouverte » avec leurs noms et prénoms ni de donner l’adresse
exacte où il pourrait leur être répondu…Ce serait trop leur demander que de
respecter les règles de bienséance en matière de simple correspondance épistolaire
même ouverte !
Force est de constater également que ces deux avocats, qui préfèrent s’identifier
comme un « Collectif » français de « Brest-Paris-Marseille », soigneusement distinct
du Collectif des confrères mauritaniens qui défendent avec eux le même client, ne
comprennent toujours pas qu’en Mauritanie, Etat souverain depuis 1960, ils sont
soumis à la législation et à la réglementation du pays. Peut-être s’imaginent –ils que
la Mauritanie est une simple sous–préfecture française ; ce qui les dispenserait d’élire
domicile auprès du cabinet de l’un de leurs confrères mauritanien comme le prévoit
la loi… et de rendre une visite de courtoisie au Bâtonnier de l’Ordre des Avocats et au
Procureur de la République conformément aux usages.
Sur le même registre du savoir-vivre, Messieurs les prétendus conseils juridiques
français de l’ancien Président persistent dans cette lettre à maintenir le même ton
méprisant et condescendant à l’égard des Institutions de la République et à l’égard de
tous ceux qui osent réclamer justice à leur illustre client dont la fortune colossale,
sans doute tombée du ciel pour eux, en allèche plus d’un et les pousse à perdre toute
retenue, tout sens de la mesure, toute dignité dans l’exercice de leur ministère
d’avocat.
Ainsi, le ton est comminatoire vis-à -vis du Président de la République, sommé de se
soumettre à leurs lubies juridiques et à leur volonté de ne pas perdre du temps pour
aller devant un prétoire, pressés de blanchir leur client et plier bagage sans coup
férir… Pour cela, il est demandé au Président de la République, ni plus ni moins, de
donner « la possibilité de débattre avec l’ensemble des avocats français et
mauritaniens de l’ancien Président de toutes ces questions dans le cadre d’un grand
débat public en présence de l’ensemble des médias mauritaniens (télévisions privées,
télévisions nationales, blogueurs…) et d’en finir ainsi.
Croyant sans doute avoir affaire à une République bananière, ces « avocats » sortis
d’on ne sait où, pensent résoudre les Affaires de corruption dont les montants se
chiffrent probablement en plusieurs centaines de milliards d’ouguiyas, en un duel
médiatique du 19ème siècle, comme dans un western-spaghetti judiciaire, ou bien
même, peut- être, par pile ou face, devant « l’ensemble des médias mauritaniens (
télévisions privées, télévisions nationales, blogueurs…) ».
Et pourtant, « A titre liminaire », ces messieurs nous avaient certifié être
« parfaitement informés de l’indépendance de la justice et de la séparation des
pouvoirs prévue par la constitution de la République Islamique de Mauritanie, au
terme de l’article 24 de cette Constitution ».
Ils ont dû croire sur cette base, qu’en
tant que « premier magistrat de (son) pays et le garant de ce texte ainsi que des
libertés fondamentales du peuple Mauritanien », le Président de la République est
aussi un organisateur en chef des Grands Débats Publics, le Grand Maître des Joutes
médiatiques. Mais, ce n’est pas le cas dans le texte fondamental mauritanien. Ici, les
débats entre avocats sont tranchés devant les tribunaux et non hors des prétoires.
Se trompant de pays ou n’ayant jamais lu la constitution mauritanienne ni d’ailleurs
celle de leur propre pays, la France, ces donneurs de leçons invétérés ne se gênent
pas d’interpeller le Président de la République en ces termes étoilés : « Vous avez la
possibilité d’intervenir en qualité de garant de la Constitution, en concertation avec
Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel auquel nous adressons une copie de
ce courrier (sic), afin que les infractions commises sous le couvert de la Justice
mauritanienne cessent immédiatement. ». Peu importe l’inexistence de tout fondement
juridique à cette « concertation » entre le Président de la République et le Président
du Conseil Constitutionnel : ces messieurs l’ont imaginée et donc elle existe, tout
comme doit exister leur fameux débat télévisé entre avocats…
On retrouve cette même légèreté, cette absence de considération à l’égard des
autorités publiques du pays comme le Ministre de l’Intérieur, accusé mensongèrement
d’avoir interdit un parti politique, le PUDS, le Procureur de la République en charge
du dossier, accusé d’initier « des comportements incompréhensibles et illégaux », et
d’être sans doute le responsable principal « des enquêtes diligentées et qui ont
consistées (la faute de conjugaison française est de MM Rajjou et Brigant !)
notamment à cibler de manière unilatérale la personne de l’ex-Président »…
C’est finalement le pays lui-même qui est incompréhensible pour ces deux illustres
prétendus confrères car, disent-ils avec consternation, « nous ne pouvons que nous
étonner qu’une République dotée d’une Constitution et d’institutions juridiques
sensément indépendantes et représentantes (sic) de l’ordre juridique ressente la
nécessité impérieuse de recourir à l’intermédiaire ( ?) d’une soixantaine de conseils
pour la représenter ».
C’est un mystère qui échappe à l’entendement rationnel
d’avocats formés sans doute à la bonne école de voir un Etat engager des avocats en
grand nombre pour des dossiers aussi nombreux, complexes et aux enjeux aussi
colossaux que ceux pour lesquels leur client est interpellé
Quant aux avocats mauritaniens « représentant la partie civile », ils ne sont
évidemment pas en reste dans le courroux de MM Rajjou et Brigant qui relèvent que
« la plupart des conseils choisis semblent avoir fait par le passé fait (encore une
faute…d’inattention sans doute !) la démonstration de leur partialité à l’égard de
notre client… », comme si l'engagement et la loyauté étaient des vices rédhibitoires
chez un avocat et la soumission aveugle, une qualité suprême.
Tous les avocats du
Collectif qui, dans le passé, n’ont pas fait la démonstration contraire de soumission Ã
monsieur Mohamed ould Abdel Aziz ne peuvent être que mus par la volonté « de
protéger les exactions » dont celui-ci est supposément victime.
A leur égard, les
avocats français n’ont que mépris et condescendance car « il est particulièrement
consternant de faire constater que ces soixante avocats pourtant a priori munis des
outils juridiques de réflexion optimum compte tenu de leur nombre, ne peuvent pas
interpréter de manière stricte et intelligente la Constitution de la
Mauritanie…pourtant particulièrement claire ».
Pour finir, on ne peut que relever l’apothéose dans l’art de l’amalgame et de
l’intoxication dans laquelle tombe cette lettre ouverte, avec les graves accusations
« d’antisémitisme » et de « néocolonialisme » qu’elle tente d’imputer aux adversaires
de leur client, sans la moindre preuve, dans une tentative désespérée de mobiliser
certains milieux internationaux, créer la confusion et se présenter en victimes
expiatoires.
C’est donc, dans sa forme, d’une « lettre ouverte » politicienne qu’il
s’agit ici et qui, dès l’entame, nous donne une idée sur la manière dont y sont traitées
les questions juridiques proprement dites.
II. Sur les principales questions juridiques relevées par la lettre
Les avocats français de M. Ould Abdel Aziz invoquent à tout bout de champ, l’autorité
du droit français aussi bien dans ses textes que dans sa jurisprudence, pour en
imposer et pour abuser l’opinion peu au fait des subtilités du droit, spécialement du
droit constitutionnel.
Mais, outre le fait qu’un texte écrit dans les mêmes termes puisse
faire l’objet d’interprétations différentes dans deux pays distincts, que la France n’est
pas la Mauritanie et vice et versa, il faut souligner que rien n’est plus fumeuse que
l’interprétation faite par MM Rajjou et Brigant à propos des règles qui gouvernent
l’immunité du Chef de l’Etat ayant agi « dans l’exercice de ses fonctions
présidentielles » aussi bien en droit français, dans le cadre de l’ancien article 68
qu’en droit mauritanien actuel, sur la base de l’article 93 de la constitution (II-1) et
de celles qui définissent, au contraire, la compétence des juridictions ordinaires pour
les actes détachables des dites fonctions (II-2). Pour finir, nous nous prononcerons
sur la subite et singulière contestation de la constitutionnalité de la création par le
Parlement, de la Commission d’enquête parlementaire, par la défense de l’ex
Président, toutes nationalités confondues (II-3).
II-1. A propos de l'immunité alléguée de l’ancien Chef de l’Etat sur la base de
l’article 93 de la Constitution (ancien article 68 de la constitution française).
Les avocats français de l'ancien Président soutiennent qu'au terme de l'article 93 de
la Constitution, leur client bénéficierait d'une immunité absolue "qui interdirait toute
mesure pénale, de quelque ordre qu'elle soit à son encontre en dehors de la procédure
de mise en accusation pour Haute Trahison...". Ce faisant, ils confondent immunité
personnelle et immunité fonctionnelle.
En droit,, on distingue entre les deux sortes d'immunités car elles n'ont pas la même
portée juridique. Les immunités dites personnelles- quoique l'expression puisse
prêter à confusion puisqu'il s'agit de protéger un organe de l'Etat et non une
personne en particulier- sont accordées en raison de la qualité officielle de leurs
bénéficiaires : les Chefs d'Etat en exercice, les parlementaires, les diplomates dans les
pays d'accréditation, les Chefs de gouvernement et les ministres des affaires
étrangères quand ils voyagent à l'étranger.
Inhérentes à la qualité officielle d'une
personne, on peut aisément déterminer leur commencement et leur fin. Ces immunités
se traduisent en en outre, par une inviolabilité absolue pour les Chefs d'Etat en
exercice, puisqu'elle les protège pendant toute la durée de leur mandat, quelle que soit
la nature de l'acte accompli, en interdisant toute mesure de contrainte à leur égard.
Mais elles prennent fin avec la cessation du mandat présidentiel car " elles n'ont pas
ce caractère viager propre à la monarchie" comme le rappelle un auteur français (O
Beaud, La controverse doctrinale autour de la Responsabilité Politique du Président
de la République, RFDA, 2001, p.1187).
Dès que son mandat expire, un Président
perd le bénéfice de l'inviolabilité et redevient un citoyen, comme les autres, soumis Ã
la loi dans les mêmes conditions qu'eux. Aussi, la qualité d'ancien Chef d'Etat
n'emporte par elle-même, aucune inviolabilité ni aucun privilège.
Les immunités fonctionnelles sont accordées en fonction de la nature des actes
concernés.
Plus précisément, elles couvrent les actes accomplis dans l'exercice d'une fonction.
Elles impliquent en particulier pour un Président de la République une
irresponsabilité pour ces actes là mais uniquement pour ceux-là , sous réserve du cas
de Haute Trahison.
Et c'est parce qu'elles couvrent des actes qui ont pu être
accomplis durant et dans le cadre de l'exercice d'une fonction qu'elles survivent à la
cessation de celle-ci et peuvent être éventuellement invoquées par un ancien Chef
d'Etat. Mais alors que l'inviolabilité inhérente à la qualité officielle de Chef d'Etat est
automatique et absolue, l'immunité fonctionnelle est conditionnelle et relative et peut
dépendre d'une appréciation a posteriori du juge saisi.
Cantonnée aux seuls actes accomplis dans l'exercice d'une fonction, son bénéfice
est tributaire de la qualification juridique des actes litigieux.
Il faut, dans certaines circonstances , procéder au cas par cas pour pouvoir
déterminer si les actes, objet de poursuites pénales, peuvent être considérés comme
des actes de fonction couverts par l'immunité ou des actes détachables non couverts
par celle-ci.
L’article 93, comme son ancien modèle français (l'article 68), n'est pas
ici, en soi et directement, d'un grand secours car il ne définit pas ce qu’on entend par
« actes accomplis dans l’exercice de la fonction présidentielle » et toute la question est
donc de faire la part entre ce qui relève de tels actes et rentre dans le domaine de
l'immunité fonctionnelle et ce qui ne peut être couvert par celle-ci.
Pour rester dans l’univers de la culture juridique de MM Rajjou et Brigant, et à titre
d’illustration de cette opération de qualification préalable à laquelle peut être conduit
un juge saisi, on peut citer l'affaire de l’ancien ministre français Michel Noir, dans
laquelle la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a rendu, en 1997, un arrêt
rejetant le pourvoi formé par celui-ci, lequel, condamné pour recel d’abus de biens
sociaux pour un repas organisé avec les membres de son Cabinet du ministère du
Commerce extérieur et ses collaborateurs lyonnais, avait soutenu qu’il s’agissait d’un
acte rentrant dans la catégorie « d’actes accomplis dans l’exercice des fonctions de
ministre » car ayant pour objet « l’organisation et la programmation de (son)
ministère en région Rhône Alpes » et que, dès lors, en application de l’article 68-1 de
la Constitution « cette prévention relève de la compétence non de la juridiction
répressive de droit commun, mais de la Cour de Justice de la République ».
La Cour de Cassation française a approuvé la Cour d’appel de Lyon qui avait
considéré dans un attendu remarqué que « l’immunité ministérielle à la différence des
immunités parlementaires et diplomatiques ne résulte pas de la seule qualité de la
personne concernée mais commande qu’il soit constaté que les actes incriminés ont
été commis dans l’exercice des fonctions ministérielles ; qu’elles nécessitent pour la
juridiction saisie à qui il appartient l’examen des circonstances dans lesquelles les
faits reprochés à un ministre ont été commis, cette appréciation exigeant
obligatoirement, pour la juridiction, un examen sur le fond des faits; que, dans ces
conditions, la Cour est dans l'impossibilité de se prononcer sur l'immunité
ministérielle relative au recel du repas incriminé sans procéder à un examen au fond
des faits de cette prévention; qu'en conséquence la demande tendant à voir la Cour,
juridiction répressive de droit commun, se déclarer incompétente, sera jointe au
fond;... »
L'intérêt de ce passage de la cour d'appel de Lyon cité et approuvé par la cour de
cassation française est de montrer que l'appréciation du bien-fondé de l'exception
tirée de l'immunité fonctionnelle n’est pas automatique mais peut dépendre d'une
appréciation du fond de l'affaire.
La Cour de Cassation justifie sa décision par la
considération que « les actes commis par un ministre dans l’exercice de ses fonctions
sont ceux qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l’Etat relevant de
ses attributions… » et qu'il faut donc vérifier, à partir de l'examen du fond du dossier
si les faits permettent de rattacher l'acte litigieux à la conduite des affaires de l'Etat ou
au contraire à des affaires privées. Elle distingue à cet égard entre les actes
accomplis dans le cadre de l'exercice des fonctions et ceux simplement "accomplis Ã
l'occasion de l'exercice de ces fonctions", qui sont des actes extérieurs ou détachables.
Et la doctrine considère « qu’il n’est pas douteux, ici encore qu’une telle méthode
d’analyse a entière vocation à être transposée aux actes délictueux du Président de la
République : la juridiction ou l’organe de poursuite saisis devraient se livrer à un
examen, non seulement du contexte mais aussi de la nature de l’acte litigieux, pour
vérifier s’il s’inscrit dans le cadre de l’exercice des pouvoirs ou attributions dont la
Constitution investit le Chef de l’Etat… » (V. par exemple, E. Dezeuze, Un éclairage
nouveau sur le statut pénal du Président de la République, Revue de Sciences
Criminelles, 1999, p. 497 et dans le même sens, TH Ablard, Le Statut Pénal du chef de
l'Etat, RFDC, 2002/3 n°51).
Si l'immunité fonctionnelle se justifie par la nécessité de préserver la liberté d'action
d'un Président de la République pour mener, comme il l'entend, les politiques pour
lesquelles il a été élu en lui garantissant qu'il ne pourra pas être inquiété à l'avenir
pour les actes accomplis en sa qualité de Président, c'est à la condition qu'il reste
dans le cadre des attributions qui lui sont reconnues par la constitution.
Lorsque le Président sort de ses attributions, s'immisce dans la gestion des
entreprises publiques en attribuant lui-même les marchés de ces entreprises à des
proches, lorsqu'il se fait réaliser par une société d'Etat une adduction d'eau et une
piscine dans son ranch privé ou lorsqu'il mène directement ou par personnes
interposées des activités commerciales parallèles à celles de Président, et qu'il
commet des délits dans ce cadre ou encore, lorsqu'il ouvre des comptes bancaires Ã
l'étranger en violation de la réglementation des changes ou qu'il utilise une
fondation privée comme paravent pour le blanchiment de son argent ou enfin,
pour nous limiter à ces quelques exemples , lorsqu'il refuse de s'expliquer sur
l'origine de la fortune colossale dont il ne fait pas mystère alors que la Loi sur la
Corruption lui fait obligation, comme à tout agent public, de justifier l'origine de
son patrimoine lorsqu'il excède ses revenus licites, l'immunité n'a pas vocation Ã
jouer pour la simple raison que l'on ne peut pas considérer ces infractions comme
des actes ayant un rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat..
Bien entendu, lorsque le dossier sera transmis à un juge et que les charges éventuelles
contre l’ancien Chef d’Etat seront toutes connues, si celui-ci invoque l’immunité
fonctionnelle de l’article 93, il reviendra à la justice de trancher ce point. Elle devra
dire si les actes, objet des poursuites rentrent ou non dans la catégorie des actes
accomplis dans l’exercice des fonctions ou s’ils sont totalement ou partiellement des
actes détachables. Et pour cela, comme les juridictions nationales d’autres pays, avant
elle, elle devra préciser le critère de distinction adopté.
Mais assimiler, comme le font les présumés avocats français de Monsieur Mohamed
Ould Abdel Aziz, l’immunité de l'article 93 de la Constitution à l'inviolabilité, c'est
confondre l'immunité personnelle et l'immunité fonctionnelle et aligner un ancien Chef
d'Etat, c'est à dire un Président redevenu un simple citoyen, sur un Chef d'Etat en
exercice, lequel représente l'Etat dont il assure la continuité.
Or ni le droit constitutionnel comme indiqué ci-dessus, ni le droit international ne font
une telle confusion comme en témoigne, pour ce dernier, la jurisprudence
internationale sur les immunités des anciens Chefs d'Etat étrangers.
C'est ainsi que lorsque le 16 Octobre 1998, l’ancien Chef d’Etat du Chili, le Général
A. Pinochet est arrêté dans une clinique à Londres, suite à une procédure
d’extradition engagée par le juge espagnol B. Garzon pour des faits de torture sur des
ressortissants d'origine espagnole pendant le règne du dictateur, les deux formations
de la chambre des Lords saisies successivement pour statuer sur la validité du
mandat d'arrêt et sur la procédure d'extradition ont toutes les deux souligné que si A
Pinochet avait encore été Chef d'Etat, il n'aurait pas pu être arrêté en raison de son
inviolabilité.
Le débat s'est alors engagé sur l'étendue de l’immunité fonctionnelle
résiduelle que le droit international coutumier mais aussi le droit anglais
reconnaissent aux anciens Chefs d’Etat étrangers pour les actes commis dans le cadre
de leurs fonctions. Il s'agissait de savoir si les actes de torture résultant des
instructions qu’A.
Pinochet aurait données en ce sens, en tant que Chef d’Etat,
pouvaient être considérés comme des actes couverts par l'immunité fonctionnelle
dont celui-ci bénéficie en tant qu'ancien Président.
La première formation de la Chambre des Lords, saisie de l’appel contre la décision
de la High Court invalidant l’un des mandats d’arrêt lancé contre le Général
Pinochet, avait rejeté l’immunité invoquée au motif «qu'il n'entre pas dans la
fonction du Chef de l'Etat de torturer.
La seconde formation constituée à la suite de l’annulation de la première a confirmé
le rejet de l’immunité, en fondant sa décision sur la considération qu'en raison de
leur gravité, les actes de torture ne peuvent pas être couverts par l'immunité.
D'autres juridictions nationales sont allées dans le même sens en décidant que
certains crimes, comme le crime de torture, les crimes contre l'humanité, les crimes de
génocide ou les crimes de guerre ne peuvent pas être considérés comme ayant été
accomplis dans le cadre des attributions officielles d'un Chef d'Etat.
La Cour
Suprême d'Amsterdam s'est prononcée en ce sens, en 2000, en décidant que les actes
de torture reprochés à l'ancien Président du Surinam ne rentrent pas dans la catégorie
des actes de fonction protégés par l'immunité fonctionnelle.
Un raisonnement
similaire a été utilisé par le Tribunal Fédéral qui avait jugé pour corruption l'ancien
Chef d'Etat du Pérou, A Fujimorri, en retenant que pour déterminer si un acte a été ou
non accompli dans l'exercice des fonctions et donc couvert par l'immunité, il faut
prendre en compte le contexte et le but de l'acte.
En résumé, l'immunité de l'article 93 de la constitution, sans cesse brandie par la
défense de Mr Mohamed Ould Abdel Aziz est une immunité conditionnelle, laquelle
ne peut pas conférer une inviolabilité absolue.
Cantonnée aux seuls actes accomplis
dans l'exercice de la fonction présidentielle, elle n'empêche pas notamment les
Autorités de Poursuite qui relèvent, à la charge de l'ancien Chef d'Etat des
infractions détachables, de prendre à son encontre les mesures restrictives
autorisées par la loi. En matière répressive, l'immunité, étant une exception au
principe de l'égalité devant la loi pénale, est toujours d'interprétation stricte.
En
l'absence d'un texte exprès conférant à un ancien Président une immunité pour les
actes détachables, c'est la loi commune qui s'applique. Mais si l’ancien Chef d’Etat
considère que les actes litigieux rentrent dans la catégorie des actes de fonction
couverts par l'immunité, il lui appartient de le soulever devant la juridiction saisie,
qui tranchera, le moment venu, ce point.
II-2- Sur la compétence des juridictions ordinaires pour connaitre des actes
détachables des fonctions présidentielles de l’ancien Chef d'Etat
Les avocats français de Mr Mohamed Ould Abdel Aziz soutiennent que pour un
ancien Chef d'Etat, les poursuites pénales même pour les actes détachables n'étaient
pas possibles en France sur le fondement de l'article 68 de la Constitution (article 93
de notre constitution), avant la révision constitutionnelle de 2007, et qu’une telle
révision n'étant pas applicable en Mauritanie, de telles poursuites ne seraient pas
possibles dans notre pays.
Et pour appuyer leur propos, ils citent le dernier alinéa du
nouvel article 67 de la Constitution française au terme duquel " Les instances et
procédures auxquelles il a été fait obstacle peuvent être repris ou engagées contre lui
à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions"; ajoutant, en
s’adressant avec suffisance à l’actuel Président de la République, " cette immunité
temporaire dont se prévalent vos conseils existe désormais en France mais
absolument pas en Mauritanie, puisqu'aucune réforme de la Constitution équivalente
en France n'a été adoptée."
Ces affirmations qui feront de leurs auteurs la risée de tous les constitutionnalistes
et de tous les pénalistes français qui se sont intéressés au statut pénal du Président
de la République sont tout simplement incroyables. Nous ne savons s'il faut
incriminer l'incompétence, la légèreté ou la mauvaise foi des confrères français car
s'il y a une question sur laquelle, il y a toujours eu unanimité en France, depuis la
promulgation de la constitution de 1958, c'est bien celle de la compétence des
tribunaux ordinaires pour connaitre de la responsabilité pénale d'un ancien Chef
d'Etat pour ses actes détachables.
La doctrine dans sa totalité a toujours considéré qu'en cantonnant l'irresponsabilité
d'un Chef d'Etat aux actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, l'article 68 de la
Constitution impliquait nécessairement sa responsabilité pour les autres types d'actes,
position qui, comme on le verra ci-dessous, a été confirmée par les deux plus grandes
juridictions françaises, interprétant l'article 68 de la Constitution.
La seule question
qui pouvait alors se poser et qui s'est posée, en 1998, en pleine cohabitation
(Chirac/Jospin) était celle de savoir si un Président en exercice, en l'occurrence J.
Chirac, normalement protégé par la règle de l'inviolabilité, pouvait être convoqué par
un juge d'instruction comme témoin assisté ou faire l'objet de poursuites pénales
devant les juges ordinaires, pour des faits antérieurs ou détachables.
Il s'agissait en
l'espèce de faits se rapportant à sa gestion de la Mairie de Paris. Et c'est sur cette
seule question de la mise en jeu de la responsabilité pénale d'un Président en exercice
que la doctrine s'est divisée.
Certains ont considéré que dans la mesure où l’article 68 ne prévoit pas d’exception
pour un Président en cours de mandat pour les actes détachables de ses fonctions, le
principe cardinal de l’égalité devant la loi pénale devait reprendre son empire et le
Président de la République doit, comme tout citoyen, répondre de ses actes délictueux,
sans attendre la fin de son mandat. Représentatif de cette doctrine, le professeur D.
Chagnollaud écrivait dans une tribune au Journal Libération du 18 septembre 1998
que " Le Chef de l'Etat répond pénalement des infractions détachables de sa fonction,
sans bénéficier d'un privilège de juridiction. Si tel n'était pas le cas, il serait à l'image
du monarque inviolable (...). »
D'autres auteurs ont cependant contesté cette position en mettant en avant la règle
non écrite de l’inviolabilité d’un Président en exercice, laquelle se rattache à d’autres
principes qui figurent dans le corps même de la Constitution, et notamment le principe
selon lequel le Président de la République représente l’Etat dont il assure la
continuité, qu’il est garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, de la
souveraineté nationale et de l’indépendance de la justice. Or ces principes seraient
assurément compromis si, en cours de mandat, le Président pouvait faire l’objet
d’une mesure quelconque de contrainte judiciaire.
Ces auteurs soulignent la nécessité de distinguer entre l’homme et la fonction. Dans
un article publié au Journal Le Figaro du 06 Juin 1998, le professeur G. Carcassonne,
représentatif de ce courant, écrivait ainsi : « le Président en tant qu’individu est
pénalement responsable.
Mais la fonction est protégée. Aussi longtemps que le
premier exerce la seconde, il ne peut être mis en accusation que par les deux
assemblées donc par personne d’autre. Dès la fin de ses fonctions, tout juge peut
reprendre les poursuites suspendues dans l’intervalle. ». Le professeur Rouvillois ne
dit pas autre chose quand il écrit que « Tant que le Président est en place, aussi
longtemps que dure son mandat, il faut le soustraire aux procédures pénales. »
(Intervention, in Revue de Droit public, 2003, s. p. 98).
On observera au passage que même les auteurs hostiles à la mise en jeu de la
responsabilité pénale d’un Président en exercice ne défendent qu'un privilège de
juridiction temporaire pour les actes détachables. Ils s’empressent, chaque fois, de
préciser qu'il doit en être autrement « dès la fin des fonctions ». Il n’y a aucune
opinion discordante sur ce point.
La controverse n'a concerné, une fois encore, que le
statut pénal d'un Chef d'Etat en exercice car ce dernier est protégé par la règle de
l'inviolabilité qui s'oppose à ce qu'il puisse être mis en cause devant les tribunaux
judiciaires. Il a toujours été évident pour tous et donc non sujet à discussion qu’à la
cessation de son mandat, le Président, redevenant un simple citoyen, était justiciable
des juridictions ordinaires.
Cette vision des choses a été confortée par les deux plus grandes juridictions
françaises, quoi que selon des voies différentes.
Il y a, tout d’abord, la décision du Conseil Constitutionnel du 22 Janvier 1999. Appelé
à se prononcer sur la compatibilité du Traité de Rome du 18 Juillet 1998 portant
création de la Cour pénale internationale (dont l’article 27 écarte les immunités et
privilèges reconnus aux Chefs d’Etats et aux gouvernements de manière générale)
avec la Constitution, le Conseil Constitutionnel en a profité pour évoquer la question
de la responsabilité pénale d’un Président en exercice en ces termes : « Considérant
qu’il résulte de l’article 68 de la Constitution que le Président de la République, pour
les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions et hors le cas de Haute Trahison,
bénéficie d’une immunité, qu'au surplus pendant la durée de ses fonctions sa
responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de
Justice... ».
Cette décision est l’une de celles qui ont le plus été commentées. Elle a en particulier
été critiquée pour l'extension opérée de la compétence de la Haute Cour de Justice Ã
la responsabilité pénale d'un président en exercice pour les actes autres que la Haute
Trahison
mais elle ne change rien à la situation d’un ancien Chef d’Etat, puisqu’elle prend le
soin de souligner que c’est «pendant la durée de ses fonctions" que la responsabilité
pénale d’un Président ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice.
Il en résulte nécessairement que dès que le Président n'est plus en fonction, sa
responsabilité pénale est mise en cause devant les juridictions ordinaires.
Pour lever
tout quiproquo sur ce point, le Conseil Constitutionnel a lui-même publié,
contrairement à son habitude, un communiqué en date du 10 Octobre 2000 , dans
lequel il souligne que « la décision du 22 Janvier précise que le statut pénal du
Président de la République, s'agissant d'actes antérieurs à ses fonctions ou
détachables de celles-ci réserve, pendant la durée du mandat la possibilité de
poursuites devant la seule Haute Cour de justice. Le statut pénal ne confère donc pas
une immunité mais un privilège de juridiction pendant la durée du mandat.»
En fait, la controverse juridique a été clôturée par la décision de l’Assemblée de la
Cour de Cassation en date du 10 octobre 2001, selon laquelle «L'article 68 doit être
interprété en ce sens qu’étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment,
le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat, Le
Président ne peut pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté,
ni mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une
juridiction pénale de droit commun, qu'il n'est pas davantage soumis à l'obligation de
comparaitre en tant que témoin dès lors que l'obligation est assortie d'une mesure de
contrainte …
Que la Haute Cour de Justice n'étant compétente que pour connaitre
des actes de Haute Trahison du Président de la République commis dans l'exercice
de ses fonctions, les poursuites pour tous les autres actes devant les juridictions
pénales ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la
prescription de l'action publique étant alors suspendue. »
Comme on peut le constater," l'immunité temporaire dont se prévalent les conseils
juridiques" de l'Etat mauritanien, pour justifier la compétence des tribunaux
ordinaires pour connaitre des actes détachables d'un ancien Chef d'Etat était, avant
la révision constitutionnelle de 2007, déjà bien établie en droit français sur la base
des enseignements de la doctrine unanime et de la jurisprudence interprétant
l'article 68 de la constitution ( Article 93 de notre Constitution), sur le statut Pénal
d'un Chef d'Etat en exercice, seule question qui pouvait prêter à discussion.
Quant à la loi constitutionnelle du 23 février 2007 qui a opéré la révision des articles
67 et 68 de la Constitution française, elle n'a pas pour objet de résoudre un
problème qu'aucun juriste sérieux n'a jamais soulevé, à savoir, celui de la possibilité
de poursuites pénales contre un ancien Chef d'Etat pour les actes détachables de ses
fonctions, tant la réponse a toujours été évidente.
Son objet était d'honorer la
promesse électorale faite par le Président J. Chirac, au cours de la campagne
présidentielle de 2002, de clarifier le statut pénal du Président de la République car
c’est la question qui a empoisonné avant l’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de
Cassation de 2001 une bonne partie de son mandat.
Dès qu’il a été réélu, il a nommé une Commission de sages présidée par le Professeur
P. Avril dont les conclusions, remises dès le 12 décembre 2002, et reprises pour
l'essentiel par la loi constitutionnelle du 23 février 2007, n’ont pas, en réalité
modifié grand-chose au régime juridique des actes détachables, tel qu’il ressort de
l’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation interprétant l'article 68 de la
Constitution.
Pour s’en convaincre, il suffit de comparer le nouvel article 67 tel qu’il résulte de la
révision constitutionnelle avec le dispositif précité de l'arrêt de l'Assemblée Plénière
de la Cour de Cassation. En effet selon le nouveau texte : " Le Président de la
République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité sous réserve des
dispositions des articles 53-2 et 68. Il ne peut durant son mandat et devant aucune
autorité ou juridiction administrative française, être requis de témoigner non plus que
de faire l'objet d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de
prescription ou de forclusion est suspendu.
Les instructions et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises
ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des
fonctions."
La lecture de ce texte appelle trois observations. En premier lieu, les nouvelles
dispositions concernent uniquement le statut d'un Président en exercice. En second
lieu, la parenté entre ce texte et l'arrêt de la cour de cassation de 2001, rendu sur le
fondement de l'article 68 de la Constitution est patente. Enfin, le dernier alinéa sur
lequel se fondent les avocats français de Monsieur Mohamed Ould Aziz qui prévoit
que les poursuites ne peuvent reprendre contre un Président qu'après l'expiration d'un
délai d'un mois à compter de la fin de son mandat est la seule nouveauté par rapport Ã
l'arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation.
Mais son invocation par ces avocats est piquante car cette seule nouveauté constitue
précisément un recul par rapport à l'article 68 (article 93 de notre constitution) tel
qu'interprété respectivement par le Conseil Constitutionnel et par la Cour de
Cassation. En effet selon les décisions ci-dessus rapportées, rendues par ces deux
juridictions, le privilège de juridiction pour la première et la suspension des
poursuites pénales pour la seconde, prennent fin dès la cessation des fonctions.
Désormais avec le nouvel article 67 de la constitution, il faudra attendre en France un
délai d'un mois avant la reprise des poursuites pénales contre un ancien Chef d'Etat.
Si nous avons consacré de longs développements au droit français, quoique non
applicable en Mauritanie, pays indépendant depuis 1960, et dont les textes sont
interprétés et appliqués par ses propres juges et non par les avocats de Brest, de
Marseille ou de Paris, c'est pour éclairer l'opinion publique nationale et
internationale et les juristes honnêtes, en Mauritanie et en France, sur le caractère
superficiel des arguments de nos confrères français, même lorsqu'ils s'appuient sur
leur propre droit et convions ces derniers à parfaire leurs connaissances du droit
français avant de nous donner des leçons sur la manière d'interpréter le nôtre.
II-3- Sur la prétendue illégalité de la Commission d'Enquête Parlementaire
Les avocats français de M. Ould Abdel Aziz reprennent, à la suite de leurs confrères
mauritaniens, constitués à leurs côtés, la thèse de l'illégalité de la Commission
d'Enquête Parlementaire, devenue, depuis quelques temps, le morceau de bravoure de
la défense de Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz. L'argument utilisé, pour conclure
à cette illégalité, est lui aussi consternant de légèreté.
Puisque la constitution ne
comporte pas de dispositions encadrant les Commissions d'Enquête Parlementaire,
celle qui a été constituée par consensus des Parlementaires pour enquêter sur
quelques dossiers révélateurs du pillage des ressources du Peuple mauritanien,
durant le double mandat de leur Client, serait nécessairement illégale et" ce fait
rendrait d'autant plus illégale l'ensemble de la procédure" selon les mêmes avocats.
Si l'on généralisait ce raisonnement, selon lequel, tout ce qui n'est pas prévu dans le
corps même du texte constitutionnel serait nécessairement illégal, la quasi-totalité des
activités de l'Etat basculerait dans l'illégalité.
Plus sérieusement, les Commissions d'Enquête Parlementaire sont régies par le
Règlement Intérieur de l'Assemblée Nationale que la Constitution mauritanienne
exhausse au niveau des lois organiques qui sont, comme en droit français, des lois
ayant pour objet de compléter les règles constitutionnelles relatives à l'organisation
des divers pouvoirs publics et qui sont, pour cette raison, supérieures aux lois
ordinaires.
Une dernière particularité de ces lois suffit à clore toute discussion
juridique sur la légalité des Commissions Parlementaires en Mauritanie : elles sont
préalablement et nécessairement soumises au Conseil Constitutionnel qui vérifie leur
conformité avec la Constitution. En effet, au terme de l'article 86 de la constitution "
Les lois organiques avant leur promulgation et les règlements des assemblées avant
leur mise en application, doivent être soumis au Conseil Constitutionnel qui se
prononce sur leur conformité avec la constitution."
Comme le Règlement de l'Assemblée Nationale a été soumis au Conseil
Constitutionnel en application de l'article 86 de la Constitution et que cette juridiction
l'a déclaré conforme à la Constitution, comment peut-on encore soulever
l’inconstitutionnalité de Commissions d'Enquête Parlementaire constituées en
application de ce Règlement ?
Nous rappelons à l'attention de nos confrères que selon l'article 87 de la Constitution :
"Les décisions du Conseil Constitutionnel sont revêtues de l'autorité de la chose jugée.
(Elles) ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et Ã
toutes les autorités administratives et juridictionnelles."
Aussi, sauf à contester la
légitimité même de la constitution, cette question de l’illégalité de la commission
d'enquête qui, curieusement n’a été soulevée ni au moment de la constitution de celleci,
ni au cours de ses travaux, ni même au moment du dépôt de son rapport, n'a pas de
sens. Elle a d'autant moins de sens que le dossier étant désormais du ressort de la
justice, celle-ci n'est pas liée, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, par
les conclusions de la Commission d'enquête parlementaire qui ne sont qu'un élément
qu’elle peut considérer ou qu'elle peut rejeter totalement ou partiellement.
La mise en
mouvement éventuelle de l’action publique s’appuiera principalement sur les
conclusions de l’enquête préliminaire. Aussi, l'argument de l'illégalité de l'ensemble
de la procédure au motif d'une prétendue illégalité de la Commission ne vaut pas plus
que les autres.
Que dire en conclusion ? Nous avons, tout au long de cette réponse à la lettre ouverte
du Collectif dit des avocats français de Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz, préféré
situer le débat sur le terrain strictement juridique, en faisant référence aux textes , Ã
la doctrine juridique qui en éclaire le contenu et les problématiques sous-jacentes et
à la jurisprudence qui en fixe le sens, la valeur et la portée, en nous éloignant de
toute polémique inutile. Nous avons noté que nos confrères français nous lançaient le
défi d'accepter un débat public avec eux mais nous nous posons la question de l'intérêt
de débattre avec des avocats qui ne semblent pas prendre le droit, y compris celui de
leur pays, au sérieux et qui de surcroit affichent beaucoup d'arrogance et de mépris Ã
l'égard de leurs confrères mauritaniens. Nous pensons que faire du Buzz à moindres
frais, en conjuguant insultes, quolibets et menaces à l'égard de l'Etat, de ses
institutions et ses représentants n'est pas la fonction d'un avocat sérieux.
Et que les
enjeux en cause pour notre peuple si longtemps dépouillé- et dont les valeurs
religieuses et morales s’apposent à toute forme d’impunité pour les infractions graves
touchant aux biens publics - sont si considérables que seuls ceux qui n’en mesurent ni
l’ampleur ni la portée peuvent n’y entrevoir qu’un moyen d’obtenir une notoriété
facile outre-mer ou, plus prosaïquement, un simple jeu de rôles pour aventuriers en
goguette.
Nouakchott le 12 Octobre 2020
Le Collectif