05-11-2020 19:30 - Mauritanie : « A cause du coronavirus, nous sommes passés de trois repas par jour à un seul »

Mauritanie : « A cause du coronavirus, nous sommes passés de trois repas par jour à un seul »

Le Monde Afrique - En quelques minutes, le ciel s’assombrit. Des bourrasques balaient le sol et le sable s’envole en tourbillons.

Une tempête se lève sur l’Assaba, vaste région du sud-est de la Mauritanie, et d’un geste de la main Eldou Ould Menne se protège de la poussière qui lui fouette le visage. Le chef de Limragha semble inquiet en regardant les nuages noirs au-dessus de son village. Mais ce n’est pas la pluie qui le tracasse le plus, bien au contraire.

« Ici les mesures de prévention contre le Covid-19 ont été respectées dès le début de l’épidémie et il n’y a eu aucune contamination. Mais la population souffre encore des conséquences du corona et elle reste soucieuse », assure celui qui dirige ce hameau de 300 âmes depuis une quinzaine d’années.

Dans les villages de l’intérieur de la Mauritanie où, selon la Banque mondiale, près d’un quart de la population est en situation d’insécurité alimentaire, le coronavirus a paralysé l’économie pendant de longs mois.

Afin de lutter contre la pandémie, ce pays quasiment désertique, qui comptabilisait au 5 novembre 164 décès pour 7 744 contaminations, a notamment instauré un couvre-feu à partir de 18 heures, interdit la circulation entre les régions et restreint certains déplacements. Ces dernières mesures, qui ont empêché de nombreux échanges commerciaux avec Kiffa, capitale de l’Assaba (où 18 cas de Covid-19 ont été enregistrés en mai), ont fait plonger la fragile économie de cette région qui vit principalement de l’activité pastorale et du petit commerce.

Un « couscous béton »

« Mon mari est tailleur et, du jour au lendemain, on l’a empêché de se rendre à son travail », déplore ainsi Lamiti Mint Maazouz, une habitante de Senhoury, un village situé à une trentaine de kilomètres de Limragha.

Privés d’une partie de leurs revenus souvent issus du secteur informel et d’un accès aux denrées de première nécessité, les villageois ont été contraints de manger moins et autrement.

« J’ai diminué les quantités et, au fil des semaines, les repas avec de la viande ont disparu, se souvient Lamiti Mint Maazouz. Je ne faisais cuire que du blé ou d’autres céréales pour préparer ce qu’on appelle chez nous un “couscous béton”, parce qu’il remplit bien le ventre… »

Pour compliquer un peu plus la situation, ces populations ont dû faire face à une importante sécheresse en 2019 qui les a privés d’une bonne récolte. Alors même ceux qui avaient un peu de réserve les ont vus fondre en quelques semaines. « Nous sommes passés de trois repas par jour à un seul et, vers la fin, on ne mangeait quasiment plus rien », affirme Eldou Ould Menne.

Les marchés étant fermés, la plupart des ménages se sont mis à emprunter de plus en plus auprès des petits vendeurs affectés par la baisse des échanges commerciaux. « J’ai déjà déposé le bilan une première fois parce que j’accordais trop de crédits à des clients et qu’ils ne me remboursaient pas, déplore Zeina Mint El Bechir, propriétaire de la boucherie du village de Senhoury. En achetant ce commerce il y a deux ans, je m’étais promis de ne pas faire la même erreur. Mais, à cause du Corona, j’ai continué à faire des avances et même à grande échelle. Aujourd’hui, on me doit 46 500 MRU [quelque 1 030 euros] que les villageois me rembourseront, Inch’Allah. »

Une pandémie qui semble stabilisée

Dans le cadre de son plan national de riposte contre le Covid-19, le gouvernement mauritanien a pris en charge les factures d’eau et d’électricité des familles les plus démunies et supprimé toutes les taxes municipales liées aux activités des petits métiers. Il s’est aussi engagé à fournir une aide de 2,5 milliards de MRU aux 200 000 ménages les plus vulnérables.

Le Programme alimentaire mondial (PAM), qui a reçu le prix Nobel de la paix pour ses efforts dans la lutte contre la faim, fournit également une assistance alimentaire et monétaire dans certains villages de l’Assaba grâce à différents programmes financés notamment par BMZ, la coopération allemande.

Fin juillet, la plupart des restrictions liées au Covid-19 ont été levées en Mauritanie où l’épidémie semble stabilisée depuis mi-octobre. Dans les villages de l’intérieur, le commerce a repris progressivement, mais les ménages restent lourdement endettés. « Ils ne pourront commencer à rembourser leurs dettes qu’en 2021 après les prochaines récoltes qui sont prévues en décembre et janvier, explique El Hacen Kane, chef de bureau du PAM à Kiffa. Grâce à une bonne pluviométrie, elles s’annoncent heureusement bien meilleures que celles de l’an dernier. »

Sauf si des nuages de criquets pèlerins viennent s’abattre sur les plantations de mil, de sorgho ou de niébé. La menace semble loin pour l’instant mais, à Limragha et dans les autres villages de l’Assaba, on scrute prudemment le ciel.

Pierre Lepidi (Kiffa, Mauritanie, envoyé spécial)





Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


Commentaires : 0
Lus : 1617

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (0)