17-11-2020 01:00 - Hommage à Madame Baudoin* / Par Maître Taleb Khyar*

Hommage à Madame Baudoin* / Par Maître Taleb Khyar*

Maître Taleb Khyar - Cet hommage à madame Baudoin, naguère mon professeur de français au lycée Xavier Coppolani, est aussi un hommage à la langue française, langue des lumières, à laquelle d’aucuns voudraient porter ombrage par des arguments obscurantistes.

Il est toutefois recommandé à ceux qui en ont les prédispositions, le goût et le loisir, de s’interroger, avant d’entamer la lecture dudit hommage, sur la portée de cette citation de R.Debray, extraite d’un article intitulé « République et démocratie ? » publié le 30 novembre 1989 dans les colonnes du Nouvel Observateur :

« En République, il y a deux lieux névralgiques dans chaque village : la Mairie, où les élus délibèrent en commun, du bien commun, et l'École, où le maître apprend aux enfants à se passer de maître. Ou encore, pour faire image, l’Assemblée Nationale et la Sorbonne……. ».

Ceux qui auront compris que ce texte renvoie à la citoyenneté et à la liberté, pourront valablement entreprendre la lecture de cet hommage que voici, publié en 2016, mais que l’actualité a remis au goût du jour.

« Nous aimions tous madame Baudoin ; nous l’aimions, puisqu’elle nous a appris à naviguer avec aisance dans les profondeurs insondables qui séparent le mot de son sens, ses sens ; disséquer la phrase pour lui faire dire de manière claire, intelligible et compréhensible le message qu’elle contient.

De l’analyse grammaticale à l’analyse logique, en passant par la compréhension de texte, nous avons fini par percevoir que la conjugaison est la première forme de socialisation ; le « tu » par opposition au « je », le « vous » par opposition au « nous », « l’autre » par opposition à « soi » sont là pour nous rappeler que nul n’est le nombril du monde et que nul saurait l’être ; une belle leçon de vivre-ensemble que nous a apprise madame Baudoin.

Cette leçon de vivre- ensemble a marqué toute notre adolescence au lycée Xavier Coppolani qui était un pôle d’excellence, mais également un espace où les différences se conjuguent, comme l’étaient nos équipes de foot , basket, volley , handball , comme l’étaient les dortoirs où les lits étaient attribués sans distinction de races, d’origine sociale ou régionale, comme l’était le réfectoire où l’on s’asseyait côte à côte, toutes origines confondues, pour dévorer avec appétit les plats du « cuistot Cheddad », sobriquet affectueux que l’on attribuait au cuisinier principal , comme l’était le camion que conduisait avec talent et tact, le virtuose « Vieux Sidibé », qui venait chercher les externes habitant à sept kilomètres du lycée , aux points de ramassage et nulle part ailleurs.

Ce vivre-ensemble s’illustrait également à travers l’égalité des chances, rigoureusement observée au cours des interrogations, compositions de fin d’année, chacun acceptant sans rechigner, la note qui lui était attribuée, convaincu qu’elle reflète son niveau ; les meilleurs élèves bénéficiaient sous les applaudissements des autres, de prix d’excellence, tableaux d’honneur ou d’encouragements.

Avec madame Baudoin, nous avons appris que nous nous exprimions en prose, laissant d’autres vivre dans l’ignorance de cette évidence toute leur vie ; qu’à côté de la prose, il y a une autre manière de traduire ses pensées, bien plus musical, plus harmonieuse que l’on attribue aux poètes, une espèce humaine qui dit les choses différemment, mais avec une intensité immuable.

La versification n’avait plus de secret pour nous ; nous savions que les rimes pouvaient être plates ou croisées, redoublées ou embrassées………. qu’il fallait calculer le nombre de pieds qui composent un vers pour savoir s’il s’agit d’un alexandrin, quatrain, octosyllabe, décasyllabe… ; qu’une syllabe comptait pour un pied et que la lettre muette n’avait pas d’incidence sur la longueur d’un vers.

Avec Madame Baudoin, nous avons appris que dans chaque mot, il y a la vie et la mort, le dit et le non-dit, l’harmonie et le désordre, la musique et le bruit, l’espoir et le désespoir…que chaque mot porte en lui une dualité que l’auteur est capable, en fonction de ses sensibilités, d’illuminer de toutes les couleurs de la vie ou d’assombrir de toutes les pâleurs de la mort.

Ce serait vain de vouloir s’étendre, dans le cadre de cet hommage, sur les qualités intellectuelles, pédagogiques et humaines de Madame Baudoin.

On retiendra qu’elle a confisqué le printemps de sa jeunesse, celui de son valeureux époux, en quittant au moment des trente glorieuses, sa douce France, dans la période d’après-guerre, considérée à nos jours comme la plus faste, pour s’en aller enseigner aux enfants d’une contrée lointaine et reculée, les secrets de la langue française, sa richesse, ses couleurs, ses nuances, son humanisme ».

*Taleb Khyar ould Mohamed Mouloud.

Avocat à la Cour.

Ancien membre du Conseil de l’Ordre

-----

*Madame Baudoin enseignait le français au lycée Xavier Coppolani de Rosso. Son époux, ingénieur de formation, scrutait de manière inlassable le niveau du fleuve Sénégal, surveillait en maints endroits la résistance et le niveau de la digue qui ceinturait Rosso, veillait au fonctionnement régulier des écluses du barrage situé en amont de la ville, pour éviter qu’elle ne soit engloutie sous les flots d’une inondation dont la menace était considérée comme un péril imminent.





"Libre Expression" est une rubrique où nos lecteurs peuvent s'exprimer en toute liberté dans le respect de la CHARTE affichée.

Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.


Commentaires : 11
Lus : 2343

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (11)

  • beydutam (H) 20/11/2020 15:51 X

    Ce qui est intéressant dans le texte de taleb Khayar, au delà de la langue française qui donnait la chance à toute cette jeunesse mauritanienne de l'époque; c'est cette symbiose qui existait entre les élèves (d'où qu'ils venaient) au niveau des salles de classe, des dortoirs, des réfectoires et des espaces sportifs et culturels. Ce LYCÉE légendaires a formé des tribums et des sportifs qui alliaient études et sports! quelques noms au passage pour illustrations: Moulaye O/ Boukhreis, Ndiaye Ndiack, Sidibé Toumani, Diallo Yacoub, Dia Cheikh, Tahara I, Bezeid, Pacheco, Boueyba, Larousse, El Goth, Dia Ibnou, Mbouki, Bohoum, Waiga, Françoise Beaumont, Lemrabott, Kane Lamine, Jaber, Maroufa, Tatoum, ... Voilàn quelques noms qui me reviennent! Il en reste bien d'autres! AAHHH! QUELLE BELLE ÉPOQUE!

  • Doyen2020 (H) 20/11/2020 09:25 X

    Ce texte riche et coloré est un appel à la citoyenneté ; si cette valeur est assumée, observée, enseignée, il n’y aura plus de maures, de soninkés, de wolofs, de toucouleurs, mais des citoyens mauritaniens égaux en droits et en obligations.

  • mvswd69 (H) 19/11/2020 17:47 X

    J’ai été surpris par l’article de ce Monsieur qui fait l’éloge d’une langue qui n’est pas la leur. Sachez Monsieur l’honorable laudateur de français que cette langue, malgré le fait qu’elle soit un vecteur de communication et un véhicule d’idées, est classée loin derrière les grandes langues internationales. Je pense qu’elle est classé au 7ème rang derrière le Chinois, l’Anglais, l’Espagnol, le Russe et l’Arabe. Même si vous avez été formé dans cette langue, il faut faire dans la dentelle et savoir que cette langue, et tout ce qu’elle véhicule, n’a pas grand-chose à voir avec nos valeurs et quoique vous disiez et fassiez, cette langue restera toujours étrangère. Elle n’est pas ma langue ni la vôtre et ses locuteurs à l’Hexagone savent la défendre mieux que vous et il n’appartient ni à moi, ni à vous, de confirmer ou d’infirmer son rayonnement au-delà de l’Hexagone. Les provocations, maintes fois, répétées par Emmanuel MACRON sur l’islam et sa position sur les caricatures offensantes du prophète de l’Islam (PBL) m’amène à ma conviction que l’Occident (et particulièrement la France) n’a aucune considération pour les autres civilisations et qu’elle se considère le seul dépositaire des grandes références universelles. Nous avons nos lois et nous en sommes fiers. Nous avons notre système social qui est diamétralement opposé à celui de l’Occident et nous en sommes fiers. Nous appliquons la loi du Talion et nous en sommes fiers. Nous pendons (appliquons la peine capitale) et nous faisons de la polygamie et nous en sommes fiers. Nous chérissons nos symboles religieux et nous respectons la différence et la diversité et nous sommes très tolérants et nous l’avons prouvé par le passé au temps du 2ème Calife de l’Islam. La langue française est comme toutes les autres langues étrangères et nous avons le choix de la langue qui nous convient le mieux et ce n’est pas assurément le français.

  • SAF-B.F.L. (F) 19/11/2020 17:09 X

    HÉÉÉ!!! BONNET YOOO!!! Mon Maari me dit tout ce qu'il pense; et même ce qu'il ne pense pas il me le transmet par osmose! Génial NON! @@@@@-Terrier (H) Vous parlez du même lieu mais à des époques différentes (Collège Coppolani / Lycée de Rosso)! Pour rappel mon Maari dit que cet établissement a été dirigé jusqu'en 1966 par un principal Français nommé Beaumont (il avait trois filles bien intégrée dans le milieu scolaire de l'Établissement: Françoise, Anne et Sylvie)!?!? Après vint Seck Mame Diack comme proviseur du Lycée de Rosso et c'est en ce temps-là que sont arrivés une vague de professeurs (Gorlier Charles, Gérard Combes, Goudalier, Racine Pierre, Rauque, Audouin, Chinnel, Gridel Patrick, Lapoz, Tatoum (Fall Abdourahmane), Youla Abraham, Auguste Comte, Rold, Milcent, ... la liste est loin d'être exhaustive! Donc cette madame Baudouin a bel et bien enseigné au Collège Coppolani?!?!@ HÉÉÉÉ BONNET YOOO!

  • habouss (H) 18/11/2020 15:32 X

    Merci Maître, Allah aime les reconnaissants ! Si seulement le petit, inculte, éhonté député pouvait correctement lire ce beau texte, jamais de sa vie il n'allait manquait de tact et de respect dans l'assemblée nationale de la République Islamique de Mauritanie qui est devenue une réalité grâce à l'engament des personnes comme madame Bédouin.

  • moukhabarat (F) 18/11/2020 11:35 X

    Un appel du pied pour la rosette (Légion d'Honneur)! La langue française est certes très belle mais en Mauritanie elle est l'enfant d'un viol culturel très violent subit par un des peuples les plus érudits du monde (terre du million de poètes). Pour mémoire l'Arabe compte 12 millions de mots contre 250 000 pour le Français...

  • henoune (H) 17/11/2020 11:53 X

    Merci Maître de nous glorifier de cet hommage, Oh ! Combien sublime et qui donne une idée de la beauté de la langue de Molière. Nous qui avons vécu cette époque de "lumière" où se croisaient Beaumont, Goudalier, Madame Bodouin et j'en passe, "toubabs", venus des contrées lointaines, pour nous apprendre à nous ouvrir sur le monde et nous amener à ce que nous sommes aujourd'hui.

  • pyranha (H) 17/11/2020 09:03 X

    Et dire que cette langue a toujours été agressée par des francophobes ici par des soi disant arabes .cet avocat est une illustration que ce pays recèle de vrais cerveaux francophiles.merci maitre...

  • Bertrand (H) 17/11/2020 07:19 X

    Ne soyons pas faux pour des desseins si près. Personne n’en veut à la langue française ou chinoise. Si le français a été la langue des « Lumières » elle est aujourd’hui la langue de la xénophobie, de l'islamophobie, comme hier elle était la jangle du colon qui a fait des genocides , des razzias, des crimes contre l’humanité et j’en passe. La question posée aujordhui reconnaît bien que le français est bon pour les français. L’arabe est bon pour les arabes et les peuples musulmans sauf pour ces derniers de parler et d’écrire leurs propres langues ou dialecte.. les France n’a jamais rien à donner sauf la perpétuation du colonialisme à travers une acculturation et un néocolonialisme défendue localement par de rares personnes qui reçoivent ou espèrent recevoir des subsides en contre-partie. Arrêtons les mensonges et d’hypocrisie. La langue française douée avoue le même statut que l’allemand, le russe ou le chinois. Elle mériterait moins mais la colonisation a ses enfants naturels issus d’un clonage avec certains locaux ...

  • Terrier (H) 17/11/2020 06:05 X

    Moi j’ai fait le lycée de Rosso mais je me rappelle pas de cette madame Baudoin enseignant la langue Française dont il est question ici ! Plutôt un certain Gérard Jeunehomme...très doué par ailleurs en littérature et était égal à lui-même !

  • Ahmedabdallah (H) 17/11/2020 01:55 X

    Texte succulent, beau, formidable! Les jaloux rétrogrades anti-langue française n'ont qu'à crever! Bravo Maître TALEB KHAYAR! Un grand n'est pas un petit, et ce sont les fossoyeurs de l'unité nationale, et de la diversité linguistique et culturelle qui sont des petits!