18-12-2020 23:15 - Sahara : la contre-offensive des lobbies algériens à Washington

Sahara : la contre-offensive des lobbies algériens à Washington

Jeune Afrique - Les réseaux d’Alger dans la capitale américaine n’ont pas manqué de réagir à la reconnaissance, par Washington, de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

Lorsque l’Algérie lui a renouvelé son contrat de lobbying en mai 2020, pour une somme avoisinant les 30 000 euros par mois, le lobbyiste américain David Keene n’imaginait sans doute pas que l’administration Trump ferait, quelques mois plus tard, un choix particulièrement défavorable à son client en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

Une décision accompagnée d’une promesse d’investissements au Maroc à hauteur de 3 milliards de dollars et de la livraison d’équipements militaires américains pour 1 milliard de dollars.

Sans compter l’annonce diplomatique de Rabat, qui a décidé dans la foulée de normaliser ses relations avec Israël. De quoi faire du royaume le partenaire privilégié des États-Unis en Afrique du Nord. À n’en pas douter une mauvaise nouvelle pour Alger, dont le lobbyiste américain est chargé de promouvoir le rôle régional dans la capitale américaine.

Un accord « immoral »

Concrètement, le travail de David Keene se focalise sur deux principaux aspects : convaincre les Américains de l’importance de l’Algérie dans le domaine de la défense, et contrecarrer l’influent lobbying marocain à Washington. Dans ce contexte, Keene a attendu quelques jours avant de réagir à la reconnaissance de l’administration américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.

Dans le conservateur Washington Times, il attaque ouvertement Donald Trump, le secrétaire d’État Mike Pompeo et Jared Kushner « pour un accord immoral, honteusement cynique qui ternit l’héritage du président ». On l’aura compris, la rupture entre le pourtant républicain David Keene et le président sortant est consommée. Il marche ainsi sur les traces de son principal allié dans le dossier algérien, l’ex-conseiller à la sécurité nationale John Bolton, proche de David Keene et en conflit avec Trump depuis qu’il a été limogé en septembre 2019. S’il n’est pas lui-même directement un lobbyiste de l’Algérie, John Bolton a longtemps soutenu la tenue du référendum d’autodétermination et a participé à l’élaboration du plan James Baker II en 2003, lequel prévoyait la mise en place d’une autorité provisoire autonome.

Suite à l’annonce de la reconnaissance américaine, les deux hommes sont montés au créneau pour expliquer en quoi elle était une erreur. Pour Bolton, s’exprimant dans Foreign Policy, « elle met fin à trois décennies de soutien américain à l’autodétermination par le biais d’un référendum lui permettant de décider du futur statut de son territoire ».

« La meilleure chose à faire pour Biden, argumente l’ancien conseiller de Donald Trump, serait d’annuler la décision relative à la souveraineté marocaine (…) Si Biden veut faire un revirement de 180 degrés, il devra le faire immédiatement après son installation, cela minimisera les dégâts. » John Bolton déplore notamment le fait que ni l’Algérie ni la Mauritanie n’ont été consultés, et assure que la décision de Donald Trump constitue une menace pour la stabilité de la région.

« Les droits du peuple sahraoui ont été échangés »

David Keene, lui, s’en prend plus directement au Maroc, qui « dépense des millions de dollars auprès de lobbyistes afin d’empêcher les États-Unis de se ranger du côté des Sahraouis. Leur théorie étant que si le roi tient bon suffisamment longtemps, le monde finira par lâcher cette dernière colonie d’Afrique ». Dans une tribune publiée le 11 mai, toujours dans le Washington Times, David Keene faisait d’ailleurs l’éloge du président Abdelmadjid Tebboune, dont il qualifie les réformes de « courageuses » et « pleines de bons sens ».

Outre le dossier du Sahara, Keene œuvre pour faire entendre la voix algérienne dans le domaine de la défense. Ce vrai conservateur, qui fut aussi le président de la National Rifle Association (NRA, l’influent lobby des porteurs d’armes), jouit toujours d’une aura certaine après son fait d’armes de 2013, lorsqu’il avait réussi à faire rejeter par le Sénat le projet de loi fédéral sur le contrôle des armes à feu.

Au Sénat, David Keene pourra aussi compter sur le soutien du sénateur de l’Oklahoma, Jim Inhofe. L’homme, critique acharné des politiques de contrôle des armes, a qualifié de « choquante et profondément décevante » la décision de Donald Trump sur le Sahara. « Je suis attristé du fait que les droits du peuple sahraoui ont été échangés » a-t-il réagi le jour de l’annonce du président américain.

Inquiétude sur l’activisme russe

En février 2019, le sénateur s’était rendu en Algérie, où il avait, à la tête d’une délégation de congressistes américains, rencontré l’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia, avant une visite dans le camp de réfugiés sahraouis, situé à Tindouf. Surtout, Jim Inhofe est le président du Comité des forces armées du Sénat américain, une position qui lui permet de mettre en avant la coopération américano-algérienne en matière de défense.

Dans ce domaine, les États-Unis ont salué l’Algérie comme « un partenaire engagé dans la lutte contre le terrorisme » lors de la visite, à Alger fin septembre, du général Stephen Townsend, le commandant de l’Africom. Inquiète de l’activisme de la Russie dans la région, les États-Unis tenteraient ainsi de détacher quelque peu Alger de Moscou. Cette approche ne devrait pas changer avec l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, selon une source proche du Pentagone plaidant pour une poursuite des échanges avec l’Algérie.

Reste que sur la question du Sahara, il semble peu probable que le nouveau président fasse machine arrière. De ce point de vue, les tribunes des lobbyistes hostiles à la décision de Trump résonnent comme un chant du cygne.

Par Pauline Karroum - à Washington





Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


Source : Jeune Afrique
Commentaires : 1
Lus : 2023

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (1)

  • activiobservat (H) 19/12/2020 11:56 X

    Notre coopération avec ces pays frères et voisins de la région (Algérie, Maroc…) doit obéir à des règles de fraternité mais aussi de prudence, surtout quand on va conclure des accords de coopération avec ces pays il vaut mieux toujours le faire en présence d’un partenaire international (une grande nation comme la France, les Etats-Unis…) qui peut garantir l’exécution loyale de ces accords. Ces pays frères et voisins sont beaucoup plus forts que nous sur le plan militaire et économique et leur l’histoire passée et récente nous prouve toujours qu’ils n’hésitent pas à avoir des visées sur notre souveraineté et sur nos ressources.

    Le même raisonnement est valable pour notre coopération avec les autres pays frères arabes plus lointains. Tous ces pays sont certes nos frères mais ils n’arrivent pas encore à être capables de se respecter mutuellement sans une intervention du système international. Cela viendra avec le temps et la bonne éducation démocratique.

    Il faut voir la réalité en face. La France est l’ancien colonisateur, haïe quand on se souvient de l’histoire coloniale d’avant 1960, aimée quand elle vient sauver les meubles lorsque notre souveraineté est mise en danger à notre naissance même en 1960 par un pays frère et voisin qui ne veut pas nous reconnaître. La France est aimée lorsqu’elle vient au secours de notre souveraineté mise en danger plus tard en 1977 par un autre pays frère et voisin qui, pour avoir un accès à l’océan Atlantique, soutient le Polisario dans une maudite guerre fratricide, haïe et regrettée avec nos frères sahraouis.

    La France est aimée quand on se souvient de l’apport en modernisation dont le pays a bénéficié dès le début de la pénétration française, peut-être pas autant que d’autres pays en ont bénéficié, mais cela a ses causes qui sont surtout notre rejet de l’apport du colon, même son apport de modernisme du fait de notre fierté de patrimoine civilisationnel arabo musulman que toutes nos communautés (arabophone, peulh, soninké, wolof) ressentaient à l’époque.

    C’est la France qui a « dessiné Â» nos frontières actuelles, comme pour d’autres pays limitrophes, et jusqu’à présent, jusqu’à preuve du contraire, c’est la France qui en est le vrai garant, de fait, en cas de crise aux frontières. Si nous restons quelques jours seulement sans la garantie de la France, ou d’une autre grande puissance (encore à rechercher), nous serons une simple pâture, une promenade de santé à la merci des forces du Maroc ou de l’Algérie, ou de tout autre pays arabe qui a des intérêts sur ce lopin de terre (par exemple la Libye au temps de Kadhafi), notre armée est certes valeureuse mais elle n’est pas capable toute seule d’assurer notre souveraineté

    La France ne nous protège pas nous, mais elle protège les frontières qu’elle avait tracées, bien sûr dans son intérêt. C’est normal. On ne peut lui reprocher de sauvegarder ses intérêts dans la sous-région, sinon une autre puissance remplira le vide. La nature a horreur du vide. Il parait que la France est la seule puissance qui a des intérêts permanants ici et qu'officiellement l'intérêt vital déclaré par la France est le Banc d'Arguin.

    Il revient donc à l’entité ainsi créée, la Mauritanie, de bien gérer ses intérêts en négociant avec tout le monde y compris la France. La présence française fait partie de notre histoire. Nous ne pouvons et nous ne devrions le nier. Nous ne pouvons et nous ne devrions l’effacer. Nous sommes comme tous les peuples et toutes les nations qui ont eu dans leur histoire des passages d’invasions, de conquêtes sous diverses formes, armées ou commerciales ou sous forme de missions religieuses. Ces passages laissent toujours des traces dans le patrimoine physique et culturel d’une nation ; C’est même le cas de la France elle-même qui a des traces de diverses cultures venues d’ailleurs à travers l’’histoire, y compris des traces d’apports venus de notre monde arabo musulman. Ils ne s’en complexent pas.

    Nous aussi, ne devrions pas avoir de gêne à coopérer avec tout le monde, et surtout avec la France en profitant de l’opportunité que nous avons en communiquant en Français. Nous sommes situés au milieu même d’une sous-région entièrement francophone depuis les bords de la Méditerranée jusqu’en Afrique centrale et même au-delà, sans parler du reste de la francophonie plus éloigné (Madagascar, Canada…) Le Français n’est pas nécessairement une menace pour notre langue arabe. Plus nous seront capables de communiquer en Français (langue pratiquée dans notre administration et dans notre sous-région) et ensuite en Anglais, plus nous seront ouverts sur le monde extérieur, et par conséquents plus nous seront développés et capables de promouvoir notre langue arabe (notre langue de Coran) et aussi nos autres langues nationales.

    En 1977, l’invasion mauritanienne du Sahara au côté du Maroc avait déstabilisé le pays. La France avait décidé d’intervenir militairement avec l’envoi d’une force interarmes d’environ 350 hommes principalement des forces aériennes équipées d’appareils ultrasophistiqués pour l’époque : des avions de combat Jaguars, des ravitailleurs C-135F, des Brequet Atlantic en guise de PC volant, des transports aériens DC8, Transall et des Nord 2 501.

    Face aux attaques du Polisario appuyé par l’Algérie, les forces de l’armée française engageaient des ripostes avec des SEPECAT Jaguar qui étaient basés à Dakar au Sénégal, sur la B.A. 160 Ouakam et détruisait les colonnes motorisées dans le désert qui devaient battre en retraite.

    A l’origine de cette maudite guerre fratricide, haïe et regrettée avec nos frères sahraouis, il paraît que feu Moctar Ould Daddah était dans l’embarras, entre le marteau et l’enclume. D’un côté, les forces encombrantes du Maroc et de l’Algérie qui s’observent dans cette affaire en chiens de faïence, et de l’autre côté, les frères Sahraouis qui, sous l’influence de l’Algérie, ne voulaient aucunement accepter l’accord tripartite -traité de Madrid de novembre 1975- par lequel l’Espagne transférait l’administration du Sahara au Maroc et à la Mauritanie, tout en souhaitant que les populations du Sahara puissent accéder plus tard à l’autodétermination. Le Polisario appuyé par l’Algérie était alors entré en guerre contre les forces du Maroc et de la Mauritanie.

    Dans cette situation, le Polisario aurait pu s’épargner un front dans cette guerre, le front de la Mauritanie et de faire preuve historique du lien spécifique entre les deux peuples et considérer que cette partie du Sahara est sous administration de leurs frères mauritaniens en attendant des jours meilleurs, comme le dit d’ailleurs l’accord tripartite, pour accéder plus tard à l’autodétermination. Ils n’ont pas agi de la sorte. Pourtant cela était la bonne stratégie pour préserver la dignité et le sang sahraoui et mauritanien, mais ils ne pouvaient le faire car ils étaient déjà complètement entre les griffes de l’Algérie.

    Et c’est dommage que ces populations, pourtant de vocation guerrière et capables de sacrifices, ne pensent toujours pas à ces options stratégiques. Cela viendra avec temps. Avec le temps, ces populations de part et d’autres comprendront les dangers qui les entourent et la communauté de destin qu’ils ne peuvent ignorer. Avec le temps, on peut espérer que le Maroc et surtout l’Algérie vont se lasser de jouer avec le sang, la chair et l’honneur de ces nobles populations.