23-10-2023 00:00 - Secteur des pêches : quand les objectifs inavoués l’emportent sur ceux affichés (suite)

Secteur des pêches : quand les objectifs inavoués l’emportent sur ceux affichés (suite)

Dans un premier écrit publié dans Cridem le 15 octobre courant sous ce même titre, il a été dit que les objectifs affichés dans les stratégies du secteur pêche étaient -et resteront certainement pour longtemps- « gérer durablement les ressources halieutiques nationales dans l’intérêt de la collectivité nationale » et « tirer le maximum de profits économiques et sociaux de l’exploitation de ces ressources ».

Alors, neuf constats ont été présentés pour montrer combien et pour quel but les gestionnaires s’éloignent-ils souvent, dans la pratique, des objectifs spécifiques affichés dans les stratégies sectorielles et leurs plans d’action.

Ce deuxième écrit, vise à faire le même travail mais pour le grand objectif « tirer le maximum de profits économiques et sociaux de l’exploitation des ressources halieutiques nationales ».

Dans le cas idéal, ceci consiste en une maximisation des retombées économiques et sociales et à mettre, préalablement, la Mauritanie en mesure d’assurer (i) la pêche de tout son potentiel halieutique permissible annuel par ses propres moyens (navires et équipages mauritaniens), (ii) la transformation locale de toutes les captures réalisées dans la ZEEM, (iii) l’accès des produits exportés aux marchés les plus rémunérateurs et enfin, (iv) l’exploitation de toutes les opportunités offertes par les écosystèmes aquatiques maritimes et continentaux (promotion de nouvelles pêcheries, de l’aquaculture, du transport maritime et fluvial, etc.).

Les quelques exemples ci-dessous, liés à ce deuxième grand objectif stratégique, illustrent le message porté par le titre « quand les objectifs inavoués l’emportent sur ceux affichés ».

1. Flotte nationale performante : l’affrètement sous toutes ses formes, le régime national d’accès à la ressource et le statut de société de droit mauritanien tels qu’appliqués actuellement, les accords de pêche, les conventions d’Etablissement et autres, sont incompatibles avec les objectifs de domicilier les activités du secteur, d’intégrer ces activités à l’économie nationale et de rendre le pays indépendant vis-à-vis des étrangers en ce qui concerne l’exploitation de son patrimoine halieutique. Ce sont là des manœuvres destinées indirectement à faire sortir du secteur les vrais Mauritaniens et à les remplacer progressivement par de faux mauritaniens ou carrément par des étrangers (accords de pêche bi et multilatéraux, conventions, licences libres et autres).

En ce qui concerne la pêche hauturière (industrielle), le monde du secteur jure qu’elle est, en réalité, majoritairement étrangère à travers des pratiques non orthodoxes : usage des dérogations, consécration d’actes administratifs falsifiés et autres jeux astucieux.

Au niveau de la pêche côtière (artisanale et semi-industrielle), on constate que la Société CNM a dévié des objectifs ayant été à la base de sa création, c’est-à-dire moderniser la pêche artisanale et promouvoir la pêche côtière pour en faire un segment davantage semi-industriel. En d’autres termes, les CNM ont échoué dans la production de navires assez confortables et adaptés pour répondre aux exigences socio-culturelles des Mauritaniens et satisfaire les conditions de pêche des ressources côtières, notamment les petits pélagiques et espèces voisines (les petits thonidés).

A cause des avantages que présentent leurs navires, les CNM encouragent aujourd’hui la pêche du poulpe et l’augmentation excessive de l’effort de pêche sur d’autres espèces surexploitées ou menacées de surexploitation.

Enfin, la définition donnée à chacun des 2 segments, les engins et techniques de pêche, les zonages et les espèces à cibler de préférence par segment, n’arrivent pas encore à aller dans le sens d’assurer la domiciliation des activités de la pêche côtière artisanale et de la pêche côtière semi-industrielle (http://www.lecalame.info/?q=node/12703).

2. Main d’œuvre maritime nationale : le déficit est énorme en nombre et en qualité. Les compromis et les dérogations non justifiées, font que les équipages étrangers dominent illégalement dans presque tous les segments de la pêche. A propos, la pêche a perdu la formation maritime dans le cadre de la politique de création de postes paraciviles ou paramilitaires pour les hauts gradés militaires. Pour d’autres raisons, elle a aussi perdu les ports parmi les structures ou outils de sa politique.

3. Transformation des produits : comme l’état des différentes composantes de notre ressource ne permet plus d’accroitre la production maritime avec l’augmentation de l’effort et l’amélioration des performances (mécanisation et qualification des équipages), l’orientation vers tout ce qui crée ou promeut la valeur ajoutée devient un choix stratégique obligatoire. Mais, malheureusement, les réalisations dans ce domaine sont lamentablement précaires : une (1) seule conserverie pour les petits pélagiques, ( ) usines de traitement des produits et 44 usines de farine agréés dont 34 en activité ; celles-ci ont une très faible valeur ajoutée au regard surtout le volume de la part de la richesse entrant dans le circuit économique national, du nombre de contrats de travail par unité et de celui des employés inscrits au niveau de la CNSS.

4. Accès des produits de pêche aux marchés extérieurs :

Malgré les progrès réalisés sur le plan infrastructures et ressources humaines, les impacts de ces progrès en matière d’amélioration de la qualité commerciale et hygiénique des produits de pêche sont restes limités à cause surtout de la corruption et d’un système de commercialisation dont le mode de fonctionnement est le premier responsable de la non atteinte des objectifs du gouvernement. Pour certains observateurs, la solution ne serait pas dans l’ouverture du capital de la SMCP devant de nouveaux lobbies, mais plutôt dans l’éradication du mal causé par le rôle des classificateurs étrangers sur place imposés par les acheteurs et le comportement tant des responsables et administrateurs de la SMCP que des promoteurs privés impliqués dans certaines instances de la société.

5. Contribution de la pêche à la sécurité alimentaire :

L’analyse des quantités distribuées annuellement par la Société Nationale de Distribution de Poisson (SNDP), du nombre des localités bénéficiaires au niveau national et enfin, des critères du choix des localités ainsi que les moments ou circonstances des distributions, fait voir que le caractère politique a toujours primé sur toute autre considération. Aussi, l’analyse fine des quantités cédées à la SNDP sous forme de redevance en nature et de celles annuellement distribuées aux populations, montrerait l’explication de l’écart, en matière de réalisations, entre les objectifs affichés et ceux cachés ou inavoués (https://cridem.org/C_Info.php?article=754191 et https://cridem.org/C_Info.php?article=754474).

6. Accès des différentes catégories sociales aux ressources halieutiques nationales :

Implicitement et parfois explicitement, peut-on lire une volonté des pouvoirs publics quant à encourager et faciliter l’accès de toutes les catégories sociales de nos citoyens aux ressources halieutiques en tant que patrimoine et capital national commun aux générations actuelles et futures (https://cridem.org/C_Info.php?article=730028).

Dans ce domaine, aucun chercheur ne s’est hasardé à faire un inventaire détaillant combien d’arabes (blancs et noirs) et de negro-mauritaniens sont propriétaires de navires, d’usines de traitement/transformation et de parcelles du domaine public maritime ou détenteurs de contrats de consignation, de livrets maritimes, de carte de mareyeur, etc.

Tels sont des propos adressés, encore une fois, au Président de la République Mohamed Cheikh Al-Ghazouani pour informer Son Excellence sur où en est-on en ce qui concerne l’objectif de maximisation des retombées économiques et sociales et d’intégration des activités du secteur à l’économie nationale.

Attention ! Toute mesure à prendre pour inverser les tendances, devra tenir compte du contexte actuel caractérisé par le renouvellement en cours du protocole de l’accord de pêche RIM-UE, les cris des pêcheurs de St-Louis/NDAR sur leur Président, le mécontentement des Mauritaniens au sujet de l’accord de pêche avec le Sénégal jugé trop désavantageux pour la partie mauritanienne, les élections présidentielles en perspective et une crise politique sous-régionale et internationale dont les conséquences sont imprévisibles, notamment sur les plans économique, de sécurité alimentaire et des rapports entre les pays (concepts de "coopération", de "partenariat" et de "relations internationales" devant connaitre de profonds changement).

Au niveau du secteur des pêches, toute étude visant le solutionnement de tels défis devra s’inscrire dans une vision prospective hautement stratégique et tenir ainsi compte, dans ces termes de référence, des enjeux déjà existants ou pouvant découler de tout changement inopportun, forcé ou imposé pour des raisons éventuellement inavouées. A bon entendeur, salut !

(Suite et fin).

Dr Sidi El Moctar TALEB HAMME





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