17-03-2014 21:40 - Une styliste mauritanienne raconte le monde impitoyable de la mode à Paris
Le Courrier du Sahara - Venue à Paris pour se faire une place dans le milieu très select de la mode, la Mauritanienne Kadiata Diallo (photo ci-dessus @Yuna Kersalé) nous dévoile l’envers du décor. Un monde extrêmement fermé et souvent impitoyable. Mais aussi passionnant pour les jeunes créateurs qui ont su conserver leur indépendance.
Interview - Début mars, Paris a vécu au rythme de la Fashion Week automne-hiver 2014-2015. Cet événement, qui réunit tous les plus grands couturiers de la ville lumière, est une étape incontournable pour qui veut percer dans le monde de la mode. De nombreux jeunes créateurs sont sur les rangs.
Parmi ces talents en devenir, Kadiata Diallo, une Mauritanienne venue à Paris il y a 5 ans pour se faire une place dans ce milieu très fermé. Après avoir côtoyée les grandes marques, cette styliste diplômée a finalement choisi de faire sa carrière en toute indépendance.
Elle a conçu sa propre ligne de vêtements et s’apprête à la commercialiser dans un concept store du 3ème arrondissement de Paris. Inspirée par les tendances repérées en Asie, la jeune femme commence à séduire les Japonais et les Coréens, de plus en plus nombreux à fréquenter sa boutique lors de leurs séjours à Paris. Pour Le Courrier du Sahara, cette styliste en devenir lève un coin de voile sur ce métier impitoyable, loin du strass et des paillettes des défilés.
Une Mauritanienne dans le monde de la mode à Paris, ça détonne. Les gens vous interpellent?
On me surnomme l’hybride. Je parle très bien le français et d’autres langues aussi. Je connais très bien la culture occidentale mais aussi la culture africaine. Les gens sont un peu perdus quand ils me voient. Ils n’arrivent pas à me mettre dans une case. Je leur réponds que je suis simplement le produit de la mondialisation.
Vos origines mauritaniennes, ça suscite des interrogations?
Pour la plupart des gens que je côtoie dans ce milieu, la Mauritanie n’existait pas avant que je les rencontre. Ça les dépasse totalement. Je leur explique que c’est entre le Maroc et le Sénégal. Et ils me disent : Ah bon, il y a un pays entre le Maroc et le Sénégal, je ne le savais pas. Je leur explique que j’ai vécu dans le désert, que là -bas on peut vivre comme à Paris, acheter son dernier iPad comme sur les Champs-Elysées.
Quel genre de vêtements dessinez-vous?
J’ai monté une collection entière. Il y a de longues vestes qui ressemblent un peu à des kimonos mais aussi des jeans et des blousons (photo ci-dessous - The Biker Jacket @Manuel Obadia Will). Ma touche, ce sont les t-shirt ou les pulls courts devant et longs derrière. Je joue beaucoup sur les détails et la matière, c’est ce qui fait la différence, surtout au Japon. Actuellement, j’en suis au stade de la production.
c’est ce qui fait la différence»
Je vais bientôt mettre la collection en vente dans le magasin que je dirige avec mon associé. C’est un concept store nommé Coïncidence. Et la marque s’appelle Niuku. Niuku, c’est le nom de ma grand-mère paternel. C’est un mot pulaar très ancien qui veut dire, réservé mais en même temps ouvert. C’est vraiment entre les deux. Je ne te montre pas mes sentiments mais tu seras toujours bien accueilli chez moi. Et ça me définit très bien en fait.
Vous vous inspirez de ce que vous avez vu en Mauritanie?
Non, pas pour cette collection là car tous les vêtements sont en noir. En revanche, je travaille au développement de ma propre marque qui s’appellera Niuku Djawal et qui sera faites avec des imprimés africains. Je veux utiliser les voiles mauritaniens et le bazin comme nous le connaissons en Mauritanie. Je vais m’inspirer des techniques utilisées par mes cousines au village. Elles font elles-mêmes la teinture.
En Mauritanie, les femmes sont très créatives mais malheureusement elles n’ont souvent pas les moyens de développer cette créativité, c’est dommage. Il y a des choses magnifiques au marché, c’est même souvent mieux qu’à Paris. Les femmes utilisent une technique bien connue au Japon et qu’on appelle le chibori. Quand je montre ça aux Japonais qui passent dans ma boutique (photo ci-dessous) et que je leur explique que ce sont des femmes du village qui font ça, assises à même le sol, sur le sable. Ils n’en reviennent pas.
Avez-vous déjà rencontré de grands couturiers? Sont-ils facile d’accès?
Non, bien au contraire. Ils ne sont pas du tout facile d’accès. J’ai pu en rencontrer quelques-uns en backstage, quand j’étais habilleuse, comme Hussein Chalayan ou Azzedine Alaïa. Mais ce n’est pas facile de parler avec eux. Ils n’ont pas de temps pour les enfants (rires).
Comment sont ces créateurs?
Ils sont très durs. Prenez Karl Lagarfeld, il est impitoyable, c’est connu. C’est quelqu’un d’extrêmement dur. J’ai plein d’amis qui ont travaillé avec lui chez Chanel et qui sont repartis en pleurant. Il faut vraiment un mental d’acier pour résister.
Travailler pour ces grands couturiers implique de suivre à la lettre leurs consignes. Il n’y a pas de place pour la créativité. Il est très difficile d’exprimer son talent ou son originalité et c’est bien dommage.
Le monde de la mode, c’est un milieu très fermé?
C’est compliqué de faire sa place. Il faut connaître certaines personnes qui vont nous mettre en relation avec d’autres. C’est comme ça que ça marche, on n’a pas le choix. En janvier dernier, j’ai eu la chance de rencontrer un designer africain, Mickael Kra. Il nous a expliqué son parcours. Il a côtoyé Andy Warhol aux Etats-Unis. Il a eu une vie de «ouf». Il m’a donné beaucoup de conseils et s’est intéressé à mon parcours. Il m’a dit de tenir dans ce monde de blanc.
Un monde de blanc, que voulez-vous dire par là ?
C’est un monde où il n’est pas facile de faire sa place quand on est noir. J’ai vraiment beaucoup souffert, notamment à l’école de mode. Dans les grandes marques, peu de noirs parviennent à percer. Les portes restent la plupart du temps fermées.
A vous entendre, c’est un milieu très dur, loin du strass et des paillettes des défilés?
Effectivement. Et c’est un milieu qui peut être aussi très dangereux. Il faut faire super attention aux gens que tu fréquentes. On peut facilement se faire de mauvaises fréquentations. Il y a beaucoup de gens qui sombrent dans l’alcool ou la drogue avec de nombreuses sorties en boîtes de nuit. Bref, la mode.