28-06-2014 22:11 - Manuscrit d’auteur : « Ils travaillent pour manger et ils mangent pour travailler » (4)
Adrar-Info - Classements théoriques et discours sur les artisans (m’allemîn) de la société bidân de Mauritanie
Activités économiques
Examinons à présent les activités économiques et sociales des m’allemîn. Leurs travaux s’effectuent en suivant une division sexuelle bien définie. Les hommes travaillent le fer, l’or, l’argent et le bois, alors que les femmes travaillent le cuir et s’occupent des activités de couture, de tissage des nattes et de teinture des tissus —qui, importés de l’Inde et d’Europe depuis le XVème siècle, ont supplanté les vêtements indigènes en cuir (Dubié 1953 : 207).Le lettré bidâni Mokhtar Ould Hamidoun (1952 : 50-51) synthétise leurs activités de la manière suivante :
“Avec les essences végétales (…) l’artisan fabrique divers objets : socles d’enclumes, manche d’outils, piquets pour dresser la tente, objets d’ameublement, malles, ustensiles à traire (tadit, adrès, mehlab, etc.), récipients pour manger ou boire, mortier et pilon pour piler le mil (dans les régions du Sud en particulier), objets de harnachement :
selles d’hommes (rahla) et de femme (arâguen) pour chameaux, pour le cheval (serz), différents bâts (msama, kteb, ajof, aflawa, etc.) ; des traverses pour les puits, des planchettes pour les écoliers, et différents objets dont se servent les éleveurs pour empêcher les jeunes bêtes de téter (ftâm pour les veaux, chbâba et tadarça pour les ovins et caprins, aloukch pour les ânons et khlâl pour les chamelons).
En fer, le forgeron fait tous les outils dont il peut avoir besoin dans ses différents travaux : travaux de couture (des étoffes ou des cuirs, aiguilles, carrelets, poinçons, allènes, etc.) ; outils à couper (couteaux, poignards : objets pour les éleveurs (anneaux de nez pour le chameau, boucles pour les sangles, chaînes à entraver, etc.) ; objets d’ameublement (cadenas ordinaires ou à combinaisons). Autrefois le forgeron fabriquait des lances, mais cet article a complétement disparu.
Le forgeron doit être également bijoutier ; en argent il fabrique de bagues, des bracelets, des anneaux de pied et en or, des boucles d’oreilles, des pendentifs et différents bijoux pour colliers. Quant au fer lui-même, c’est surtout les forgerons du Brakna qui le fabriquait. Le forgeron gagne sa vie par son travail journalier. Autrefois, la coutume avait fixé la valeur de chaque objet fabriqué par lui ou celle des réparations. Une poulie de puits était évaluée à trois mudd de mil (le mudd valant 2 kg.).
Et un proverbe dit : “Autant de gorges (pour la poulie), autant de mudd”. Pour les récipients en bois, le paiement en était leur contenance en mil ou le double en lait. Pour fabriquer une selle de chameau pour femme, le forgeron recevait un chameau de deux ans et un boubou {vêtement masculin}; pour celle destinée à un homme, le prix en était la poitrine d’un chameau égorgé. La fabrication d’une hache revenait à une brebis ayant déjà agnelé, et celle d’un poignard pour couper la laine, à un mouton d’un an.
Pour l’aiguisage d’un outil ou d’un instrument, il recevait la tête d’un mouton ou d’un boeuf égorgé; etc.” Pour ce qui est des activités féminines Ould Hamidoun (1952 : 52-55) signale la cordonnerie, la teinturerie, la couture et le tissage : “Cordonnerie. C’est l’activité des épouses des forgerons qui travaillent les différentes peaux. a) Peaux de vaches ou de chameaux : elles servent à fabriquer les tiziyâten (très grands sacs) et à habiller les selles.
Avec les peaux des bovidés tannées et non déchirées, on fabrique des mezwed (grands sacs à grain). b) Peaux de moutons : tannées et épilées, on en fait des coussins, des sacs de voyage (tasoufra), des farwa (tentes en cuir) et toutes sortes de sacs à grain (awitar, dhabîa, etc.). Non épilées, les peaux de brebis sont employées à la fabrication des farou (couvertures).
Avec les peaux de chèvres tannées et non épilées, les cordonnières fabriquent les outres à eau (guerba), à beurre (okka), etc. Teinturerie. a) Pour la teinture des cuirs, on se servait des plantes du pays, par exemple : pour le jaune des feuilles de talawleky; pour le rouge de l’écorce de l’ekçeiba (variété de mil), pour le bleu de l’écorce de l’indigotier. b) Pour la teinture des vêtements, on utilisait les cendres de certaines essences végétales, telles que le touf el henna, l’aghessâl (salsola), le teïzékrellé, etc.
La teinturerie est le travail des cordonnières; la valeur est estimée avant le travail, soit en mudd de grain, soit en tissus. (…) Le crépissage est le travail des manoeuvres, et, à Walâta, les décors muraux sont exécutés par des femmes.” outure. La couture est un métier de femmes ; la couture ordinaire n’est pas rémunérée; cependant, à Walâta les femmes font aux encolures des vêtements d’hommes de jolies broderies qui sont payés. (…) Pour le travail de tentes, la couturière reçoit comme salaire un certain nombre de coudées de tissu et de mudd de mil; pour la couture des outres, elle a son souper, plus un mah’red (quartier de devant d’un animal de boucherie) de mouton.
Quand on abat une bête, le carré (mah’red) est ce qu’on donne à la femme de ménage chargée de la corvée d’eau. Tissage. On en distingue deux genres, tous deux sont le travail des femmes : a) Tissage des nattes : on en fabrique à différents prix, suivant les matières employées, le dimensions, les motifs décoratifs, etc. (…) b) Tissage de la laine : on en fait des bandes de tente de différentes longueur et largeur. (…).
Depuis la guerre de 1939/1945, les Français ont introduit le tissage des tapis, qui était inconnu autrefois, la matière première est le testif. Le premier atelier fut monté à Atar, et des tisseuses venues spécialement du Maroc par la diligence de la Société de Prévoyance de l’Adrar, initièrent quelques femmes du pays qui furent encouragées par l’administration.
les tapis qui sortirent de leurs mains acquirent vite une grande vogue et d’autres ateliers se montèrent à Boutilimit, Méderdra, Tidjikja. D’une grande sobriété, ces tapis n’ont rien de commun avec les Zrâbi (tapis à décors colorés), ou henbel (tapis à rayures) du Maroc.” Dans cette description des activités des m’allemîn l’on voit bien que leurs activités étaient centrées autour de la vie nomade et pastorale.
A l’époque où ce récit fut écrit, les années 1950, la grande majorité des Bidân continuait encore à vivre sous la tente et les besoins matériels étaient dépendants de ce mode de vie. La grande majorité des familles m’allemîn suivait les déplacements saisonniers des “patrons” et était donc nomade (Poulet 1904 : 8, Gerhardt 1911 : 464, Dubié 1953 : 136, Lériche 1955 : 176, Miské 1968 : 136, Ould Cheikh 1985 : 405, Bonte 1998 : 857).
D’après Ahmed Baba Miské (1970 : 99), “en général chaque campement comptait au moins une tente de m’allemîn si précieux et pourtant si méprisés”. Enfin, selon Dubié (1953 : 211), il existait aussi un commerce ambulant dans les campements à l’époque de récolte, mais il ne donne pas de détails sur les commerçants eux-mêmes; il est cependant probable qu’il s’agissait de m’allemîn pratiquant cette activité commerciale de manière saisonnière.
La mobilité spatiale
Les m’allemîn nomadisaient avec leurs familles protectrices, ils étaient ainsi rattachés à des qabâ’il religieuses —où il semble qu’ils étaient mieux considérés (Norris 1968 : 24)—, et/ou guerrières. Sur ce dernier point, Paul Dubié (1953 : 136) rapporte une information intéressante recueillie dans le campement de l’émir du Trârza au début des années 1950.
A cette époque, il trouva environ dix tentes de familles m’allemîn groupées en direction tell-sharg (est) par rapport à la tente de l’émir, à environ 100 mètres derrière, et au-delà des tentes des gendres et autres parents proches de ce chef guerrier (environ vingt tentes). A la gauche des tentes des m’allemîn se trouvaient installées environ trente tentes des parents pauvres de l’émir, dits tinshafren (sg. tamshifart) —mot berbère signifiant “voisin” mais aussi “parasite”.
La répartition spatiale des tentes s’organisait donc en fonction du rang et du statut des groupes formant le campement émiral, soit au total environ soixante-dix tentes. Ils n’avaient pas des troupeaux. Il faut préciser également que si les m’allemîn étaient majoritairement nomades, certains étaient également sédentaires (Norris 1968 : 24). Un certain nombre de familles de m’allemîn habitait en effet dans les anciennes villes bidân, dont Shingîti, Tîjikja, Tîshît, Wadân, Néma et Walâta.
Les données les plus détaillées sur les m’allemîn de Mauritanie ont été d’ailleurs recueillies par Jean Gabus, lors des missions qu’il entrepris à Walâta (Gabus 1955, 1958, 1976 : 19-56). Ces informations concernent cependant les techniques utilisées par les artisans, notamment les bijoutiers (Gabus 1982), ainsi que les croyances associées et ne donnent que peu de renseignements sur le rôle social ou les relations clientèlaires des m’allemîn.
Services et rôles sociaux
En dehors des travaux de transformation de la matière (fer, métaux précieux et bois pour les hommes; cuir pour les femmes), ou de création artistique (bijouterie pour les hommes; couture, teinturerie et tissage pour les femmes), le m’allemîn effectuaient et effectuent toujours d’autres activités que l’on peut classer dans la rubrique “services”.
D’après Gabus (1976 : 19) : “Ils sont parfois méprisés et craints, mais ils sont aussi considérés comme des gens sages, qui jouent un rôle de conseiller, d’informateur, d’intermédiaire pour les mariages, par exemple. Ils sont un peu magicien, médecin, pharmacien, chirurgien, “amgaridh” (“celui qui rapporte les paroles”, donc agent de renseignement), “mourakbin” (“celui qui monte un chameaux”), c’est-àdire “messager”.
Les hommes —notamment les bijoutiers— peuvent également remplir le rôle de circonciseurs, d’autres sont des coiffeurs, et les femmes peuvent être des “perlières” considérées aussi un peu magiciennes (Gabus 1976 : 24, 26, 52). D’autres auteurs citent les métiers de bûcherons ou de musiciens —en l’absence de familles îggâwin sur place (Miské 1970 : 99, Ould Cheikh 1985 : 406)—, ou enfin de maçons (Gabus 1976 : 22). Certains m’allemîn peuvent aussi développer des activités rémunérées plus nobles, omme la calligraphie ou l’enseignement religieux; d’après Gabus, les Ahl Ahar du Trarza étaient célèbres autant par leur travail sur le bois que par leur connaissance du Coran et la beauté de leur calligraphie (Gabus 1976 : 20).
Sur un autre registre, les m’allemîn remplissaient et continuent à remplir des rôles sociaux d’intermédiation importants. Dans le domaine domestique d’abord, les m’allemîn jouent souvent le rôle d’organisateurs de mariages. Gabus (1976 : 24) cite l’exemple d’un bijoutier de Walâta, Mohamedu Ould Mohamed Neffa, des Mehajib, “qui s’occupe des préliminaires et porte les cadeaux du fiancé chez la fiancée”.
De son côté, Ahmed Baba Miské (1970 : 98-99) note que les m’allemîn jouaient certains rôles habituellement dévolus aux musiciens-poètes. “A défaut des véritables réunions mondaines qui se tenait dans la tente-salon des ‘iggâwan, la tente-atelier des m’allemîn offrait plus modestement des occasions de rencontres plus ou moins fortuites aux jeunes gens et aux jeunes filles : tout le monde avait besoin du m’allâm pour une raison ou une autre, et tous les prétextes étaient bons pour aller chez lui : un bijou à faire, un conseil à demander à la m’allâme sur la meilleure manière d’enfiler un collier, un fusil à réparer, une selle en chantier depuis des mois, etc.”.
Dans le domaine politique les m’allemîn jouaient également un rôle crucial d’intermédiation. Georges Poulet (1904 : 21-22) et Gerhardt (1911 : 464-465) citent l’exemple des “Oulad Ergueig” des Trârza, des m’allemîn qui ayant abandonné leur profession, avaient réussi à changer leur statut social et devenir des guerriers grâce à leur activités politiques comme conseillers, courtisans, messagers et percepteurs de l’émir de cette région.
D’après Poulet (1904 : 22) : “Ils constituent aujourd’hui une tribu guerrière peu nombreuse qui n’est assujettie à aucune contribution. Ils vivent des redevances que leur apportent leurs tributaires et de la part qui leur est abandonnée sur les amendes que le roi les charge de recouvrer, car ils sont avant tout les messagers et les percepteurs de l’émir.
C’est parmi eux qu’Ahmet Saloum, le roi actuel, a pris son premier ministre, Mohamed Ould Brahim, au grand mécontentement des princes parmi lesquels autrefois on choisissait ce dignataire.” Dans le Brâkna voisin, Poulet (1904 : 62) cite également le cas des m’allemîn Awlâd Amar, devenus des gardes du corps de l’émir.
Enfin, P. Bonte (1998 : 858) rapporte un passage d’un récit recueilli auprès de Mokhtar Ould Hamidoun (cité par Lériche 1953), selon lequel le groupe “Aulad Rgeyyeg” (les “Oulad Ergueig” de Poulet et de Gerhardt) était autrefois rattaché aux guerriers Brabish. Or, pillés par les Awlâd Dâwd, ils “furent obligés de se disperser pour subvenir à leurs besoins”. Ils devinrent donc des m’allemîn, certains spécialisés dans la bûcherie, d’autres dans la forge alors que d’autres conservèrent leurs armes.
Parmi ces derniers groupes, les “Oulad Ergueig”, ainsi que les Ahl Attar, devinrent des conseillers des émirs de Trârza. On remarquera que l’exemple des “Oulad Ergueig” illustre bien la grande fluidité statutaire possible dans la société bidân, alors que les données apportées sur leurs origines “guerrières” illustre la naissance d’un groupe de m’allemîn comme conséquence de leur affaiblissement social.
Dans les deux cas, les “origines généalogiques” ne sont pour rien dans la promotion statutaire et/ou dans l’émergence de ces groupes. De fait, l’hypothèse d’une grande mobilité sociale concernant non seulement les groupes nobles et libres, mais aussi les groupes non-nobles et libres (les îggâwin et les m’allemîn) avait été déjà étayée dans l’ouvrage Estudios saharianos de Caro Baroja (1955 : 49-51).
Quelle explication peut-on donner à cet état de choses, autrement dit, comment rendre compte du fait que des groupes et des individus libres mais non-nobles, développant des activités manuelles jugées “impures” ou “salissantes”, puissent jouer simultanément un rôle social d’intermédiation domestique et politique si importants? Comme j’ai l’ai déjà suggéré, je pense que l’on peut expliquer ces faits par la nécessité pour la société de compter sur un groupe qui, justement, n’étant pas censé respecter le code de l’honneur des nobles peut se permettre de négocier au nom des nobles-patrons (un mariage, une alliance politique) “sans perdre la face”.
Leurs qualités —attribuées et adoptées— de “beaux parleurs”, et de personnes qui peuvent se permettre de “tout dire”, sont dans ce cadre indispensables pour mener à bien ces rôles d’intermédiation. Cette explication, qui reprend les visions endogènes courantes, est par ailleurs identique à celle du monde touareg (Claudot-Hawad, communication personnelle) 8. Aujourd’hui, la situation des m’allemîn s’est quelque peu transformée comme résultat des changements structuraux de la société bidân toute entière.
Contrairement au cas d’autres groupes péripatétiques, ils sont loin d’être en voie de disparition et leur situation économique n’est pas aussi misérable et dramatique que celle, par exemple, des groupes serviles de cette société. Certains parmi eux peuvent être des riches et d’influents personnages politiques, mais aussi des universitaires, des journalistes ou des avocats, tous reconnus comme des Bidân quasi-nobles ayant des “lointaines origines m’allemîn”.
Cependant, de nos jours les m’allemîn traditionnels —majoritares— habitent prioritairement dans les villes, où ils continuent à offrir leurs services spécialisés. A ce propos, Miské (1970 : 103) notait : “C’est ainsi que l’emplacement de la tente-atelier dans les campements est de plus en plus vide : les m’allmîn sont allés, par milliers, s’installer dans les nouvelles agglomérations urbaines, ayant découvert tout le parti qu’ils pouvaient tirer, dans une ville, de leur précieuse industrie, de leur habilité et de leur ingéniosité remarquables, de leur habitude du travail.”
Aux travaux traditionnels s’ajoutent actuellement d’autres métiers issus du monde moderne et des changements climatiques. D’une manière générale, les m’allemîn diversifient leurs activités économiques. Ainsi, en milieu rural, nombreux sont ceux qui —comme dans le cas de l’oasis de Kurudiel (Villasante-de Beauvais 1992)—, se sont constitués des petits troupeaux, qui s’occupent des cultures maraîchères et qui tiennent des petits commerces au détail.
En milieu urbain, les m’allemîn sont devenus des mécaniciens de voitures, des réparateurs d’appareils électroménagers (réfrigérateurs, cuisinières, ventilateurs…), des coiffeurs et les plus démunis peuvent servir comme employés de maison, manoeuvres, dockers, et autres petits métiers citadins — développés majoritairement par les groupes serviles. Les femmes offrent couramment leurs services comme employées de maison (“bonnes”), ou comme coiffeuses et tiennent souvent des salons de beauté où elles s’occupent surtout du maquillage des mains et des pieds au henné.
Néanmoins, cette éclatement apparent de la vie économique citadine n’empêche pas le maintien des relations privilégiées entre les m’allemîn et leurs qabâ’il d’origine. Il est courant de voir dans des villes comme Kiffa, Kaédi ou Nouakchott que lorsque les nobles ont besoin des services des m’allemîn, ils vont chercher les “leurs” chez eux.
C’est-à-dire, les familles m’allemîn rattachées à leurs tribus et plus spécialement à leurs familles. J’ai observé cette situation aussi bien pour l’achat (payé en monnaie) des biens traditionnels (coussins, nattes, outils en fer ou en bois, bijoux), ou pour la demande des services domestiques (employés de maison, traitements de beauté, coupe des cheveux), ou pour la réparation des biens modernes.
Ou enfin, pour la demande d’intermédiation dans le domaine du privé (rencontres des jeunes, fiançailles, négociation de la dot des mariages), ou dans le domaine public (négociations d’alliances politiques, service de “messageries” secrètes entre hommes ou femmes politiques…). De fait, l’ouverture d’un régime démocratique en Mauritanie semble avoir contribué à l’essor de ce dernier type de services d’intermédiation qui est très développé de nos jours.
L’endogamie préférentielle
Dernier trait à signaler, les pratiques matrimoniales chez les m’allemîn restent préférentiellement endogames (au sein du groupe). Il existe en effet une sorte de “marquage social” assez fort qui influence directement les pratiques de mariage dans ce groupe péripatétique de la société bidân. Plusieurs facteurs semblent concourir.
Disons ’abord que les familles des m’allemîn sont peu nombreuses, ainsi, leurs “noms patronymiques”, très particuliers dans le milieu social bidân, représentent de véritables “marqueurs sociaux” d’insertion statutaire (il en va de même chez les musiciens-poètes îggâwin et chez les groupes serviles). Ainsi par exemple, chez les Ahl Sîdi Mahmûd, la plupart de fractions sédentarisées dans des villages de l’Assaba compte une ou deux familles de m’allemîn installées de manière permanente. Néanmoins, la confédération compte également des groupes de m’allemîn plus larges, ayant des métiers spécialisés.
Les principaux groupes sont : les Ahl Ayssa (spécialisés dans la transformation du cuir et de l’or), les Ahl Meyssa (spécialisés dans la fabrication d’outils agricoles en métal et en bois), les Ahl Yewegatte et les Ahl Aleyate (spécialisés dans la bijouterie en or), les Ahl Mutare (spécialisés dans la fabrication de montures de cheval) et enfin les Ahl Alylahmare (spécialisés jadis dans la fabrication de fusils et d’armes à feu en général) (Mohammed Mahmoud Ould Mohamed Radhy, communication personnelle).
Leur spécialisation professionnelle joue en effet un rôle très important pour la fermeture relative des mariages. Leurs connaissances du monde naturel et surnaturel les place en effet dans une sphère particulière, non profane et initiatique, de transmission des savoirs très proche des “sociétés secrètes”, des “confréries de forgerons” ou des “guildes des travailleurs des métaux” évoquées par Mircea Eliade (1977 : 86-87). Dans ces conditions, il est aisé de comprendre que les membres du groupe des m’allemîn —
A suivre… /
Mariella Villasante Cervello. Dr en anthropologie sociale (EHESS, Paris). Chercheuse associée/ Investigadora asociada Instituto de democracia y derechos humanos de la Pontificia Universidad Católica del Perú (IDEHPUCP), Institut Français d’études andines (IFEA, Lima, Pérou), Centre Jacques Berque (Rabat, Maroc)
Articles précédents : http://cridem.org/C_Info.php?article=657721 ;
http://cridem.org/C_Info.php?article=657746; http://cridem.org/C_Info.php?article=657782
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8 Claudot-Hawad (1998) propose une hypothèse théorique plus large, qui paraît s’appliquer également à la société bidân, selon laquelle la gestion du politique se fonde sur la nécessité de la pluralité et de la complémentarité des parties. La fonction politique implique ainsi deux termes d’une opposition qui se décline sous divers registres : le noble (pouvoir guerrier) et le protégé (contre-pouvoir, pouvoir spirituel…), pouvant assurer les fonctions de médiateur (incarné dans diverses figures possibles). L’analyse détaillée de cette question mérite cependant une étude à part que je ne peux pas développer ici.