07-02-2016 16:33 - Culture : Le face à face pluriséculaire avec l’Europe ( Conquete de l’Adrar) Par Mohamed Saïd Ould Hamody (Suite et fin))
Adrar-Info - Le temps des Prétoriens (1900-1910) – (III)
C’est le 9 janvier 1909 à deux heures de l’après-midi que les forces de la colonne Gouraud, parties du Tagant en décembre 1908, entrent à Atar après une progression de plusieurs semaines ralentie par les attaques et coups de main d’une résistance audacieuse.
Dans cette dernière partie de sa relation du « temps des prétoriens », l’historien Mohamed Saïd Ould Hamody fait revivre les événements qui ont suivi la chute de la citadelle de l’Adrar.
Le même jour les Awlad Entade et Ehel Amar Ould Hawm (deux fractions Ideïchilli) habitant les environs occidentaux d’Atar, proclamèrent leur soumission aux français, mais la situation n’est pas pourtant stabilisée.
Comme le reconnaît Gouraud, « l’Emir Ould Aïda et les irréductibles Ouled Gheilane et Trarza dissidents sont maintenant installés près de notre ancien poste d’Akjoujt ».
Le 21 juillet, un engagement a opposé dans le « Akle » de Nijane le capitaine Bablon et un groupe d’Ideichelli.
Auparavant, les Smassides et les Awlad Akchar avaient proclamé leur soumission le 18 janvier à Gouraud.
Le 22, c’est la soumission des Torch (fraction des Awlad Ghailane) et de trois fractions Ideichelli du Dhar Adrar : Moucher, Megroud et Awlad Sassi.
Le 30 janvier, les Ehl Mohamed Fadhel Ould Abeidy, habitants et marabouts de Jraif (entre Atar et Chinguetti), demandèrent l’ »Aman ».
Le 21 février, c’est au tour de l’ensemble des Awlad Akchar.
Le 28, des gens de Ouadane (Kounta et Idawelhadj) firent leur soumission.
Le 1er mars 1909, les Awlad Ghailane et les Awlad Amoni présentèrent leur soumission. Le 27 mars, les français confisquèrent 27 tonnes de blé et d’orge en guise d’ »impôt » sur la production de l’oasis d’Atar, ajoute Gouraud étonné.
Et malgré la préoccupation des tribus pour la soumission, la paix n’est pas acquise pourtant.
En une attaque surprise, le 23 avril 1909, à Ghassremt, les Français perdent 3 hommes dont le Capitaine Bablon. Le 2 mai Sid Ahmed Ould El Mokhtar est définitivement installé comme Emir. Le 21 juin, les résistants attaquent Tincheiba au Tagant, occasionnant chez les fiançais 6 tués et plusieurs blessés. Utilisant à leur tour les méthodes du « razzi », les Français envoient le Capitaine Dupertuis enlever aux Awlad Ghaïlane à Oumlellek 1200 moutons et 300 chameaux.
Le 9 juillet, un fort parti d’Ehel Sahel est signalé et recherché. Il est constitué de Tekna, Awlad Bousba, Awlad Dleïm, R’Geybatt et Telamide d’Ehel Cheikh Melaïnine.
Le 28 juillet, Sid Ahmed Ould Ahmed Aïda, l’Emir déchu, attaque Ksar Torchane : 5 morts (dont le Lieutenant Violet) et plusieurs blessés. Ce combat de Ksar Torchane qui viendra renforcer formidablement le moral des « Mouhajeria » suit d’un jour la prise de Chinguetti le 27 juillet 1909 et précède celle de Ouadane le 31 juillet 1909.
Pourtant, l’opinion en France semble s’alarmer en raison des difficultés de la conquête de l’Adrar et du nombre croissant des morts chez la partie française.
Une revue en juillet 1909 qui pourtant ouvre son article par « … Bonnes nouvelles : arrivées pendant ces dernières semaines de la colonne de l’Adrar » essaye de justifier le coût humain de l’opération :
« … Pourquoi faut-il qu’elle ait donné lieu à tant de pertes qui explique lu hardiesse d’un ennemi admirablement entraîné à la pratique de l’attaque inopinée et du rezzou », se demande l’auteur avant de poursuivre, optimiste : « … au moins ce sang n’aura pas été versé en vain. Nous sommes arrivés, en effet, à la période de l’organisation » ; l’article conseille encore « qu’on ne s’effraie point de ce mot … » avant d’énoncer une contre-vérité :
« … Ni le ministère des Colonies, ni le Gouvernement Général de l’AOF n’ont jamais eu la pensée de faire suivre la pacification d’une occupation étendue et complète… » (sic).
Plus loin, l’auteur assure qu’il faut trouver « … les modalités qui imposeront les conditions spéciales du pays maure et les velléités de résistance de Ma El Aïnine » car, prétend-il, cette politique « rendra permanents les résultats de l’une des plus sérieuses actions militaires de notre histoire africaine … » (l’occupation de l’Adrar).
En réalité, il s’agit bien d’une « occupation étendue et complète » et d’une conquête militaire qui n’a rien à voir avec la pacification. Elle paye en tout cas le prix fort ; le 15 août, bataille à Tourine où les Français, adoptant pour la deuxième fois leur tactique aux méthodes d’action de razzi maure, enlevant aux R’Geybatt 2.000 chameaux, poussant ces redoutables combattants et pour un quart de siècle du côté de la résistance.
Mi-août également, soumission des Awlad Ghaïlane dans leur très grande majorité.
Mi-août également, soumission de l’intrépide guerrier des Lemhayssen (Ideïchilli) Alewa Ould Safra.
Après ces soumissions, Gouraud, fort judicieusement, entame une politique de séduction et de retournement des guerriers de l’Adrar (contre les Awlad Ghaïlane) contre leurs alliés d’hier.:
« Il n’a paru, dit-il, ni équitable, ni de bonne politique d’enlever à ces gens tous leurs fusils, ce qui aurait été les livrer, du fait de leur soumission, au pillage des tribus du Nord : Oulad Bousba, Regueibat, Oulad Dleïm, et Oulad Lab… ».
Et machiavélique et inspiré, il a trouvé la solution : « …. le but au contraire, une fois leur soumission réglée, est de chercher à les lancer, par amour du pillage, contre les tribus du Nord et les détourner par là même des expéditions dans la Mauritanie du Sud… » (sic et resic).
21 août, demande de soumission des membres de certaines tribus : Legwacen et Awlad Moussa (R’Gueïbat), quelques Oulad Bousba et gens de l’Adrar.
Le 12 septembre, la Kédia d’Idjil, pointe septentrionale de l’Adrar historique, est conquise.
Le 8 octobre, Gouraud découvre que les Telamides de Cheikh Melaïnine étaient cachés des semaines durant chez les Smassides ; ces derniers payent une amende de 2.000 F.
9 octobre, en grande pompe, Gouraud organise une réception pour recevoir la soumission complète des Awlad Ghaïlane. La Djemaâ reçue est représentée par les Naghmoucha, Awlad Silla, Torch et Awlad Selmoun.
Fin octobre, toutes les tribus de l’Adrar sont soumises sauf Ehel Ehjour.
Gouraud, le 1er novembre 1909, arrive à Chinguetti.
Le 4 novembre, Ehel Chiaa Ould Mansour (Awlad Dleïm) font leur soumission.
La mission du Colonel Gouraud se terminait le 24 novembre 1909, malgré un pincement au cœur qu’il ne pouvait cacher : « cet Adrar qui m’a causé teint de soucis, qui m’a coûté si cher me tient au cœur ».
Au Commandant Claudel qui prend le commandement des troupes en Adrar le 15 novembre, le Colonel Gouraud donne les instructions suivantes :
- « … Nous voulons non seulement châtier les coupables, mais rétablir la paix sur des bases durables, en donnant au pays des chefs choisis et acceptés par les tribus … ».
- « … que tous sachent bien que nous avons la ferme intention de nous établir dans le pays tout le temps qui sera nécessaire pour obtenir ce résultat… ».
- » … nous n’avons pas l’intention de lever les impôts tels qu’ils existent dans les autres parties de Mauritanie ».
- » … il faut arriver à l’établissement dans l’Adrar d’un système de protectorat… ».
- » … l’on ne peut se flatter de transformer à brefs délais la mentalité et les habitudes … ».
- » … vous continuerez, donc, à orienter vers le Nord l’activité des guerriers : c’est le meilleur moyen de creuser le fossé entre eux et leurs alliés d’hier … ».
- « … je n’entre pas dans le détail des tribus … ».
- » … il faut continuer à les apprivoiser avec prudence … ».
Somme toute, de ces instructions se dégagent des idées fortes :
1) L’occupation sera longue, mais non indéfinie.
2) La colonisation sera indirecte, un système de protectorat ne devant pas bouleverser l’organisation sociale et exercé par l’intermédiaire de chefs dévoués mais acceptés par leurs contribules.
3) II faut diviser les gens de l’Adrar de ceux du Sahel, pour pouvoir régner plus facilement.
4) L’attitude générale à l’égard de l’Adrar sera différente de celle constatée en d’autres régions du pays. Avant son départ, Gouraud a la satisfaction d’apprendre la soumission des Awlad Dleïm, mais aussi les avances de Mohamed Ould El Khalil des R’Gueïbatt, Awlad Moussa faites aux Français à Atar et la soumission effective de Ahmed Ould Deïd à Boutilimit le 17 septembre 1909.
Et « l’Adrar donnera 100.000 tonnes de dattes » cette année là suivant les précisions consignées dans les notes de son conquérant.
II restera à Gouraud une dernière mission pour le gouvernement général de l’AOF concernant les liens entre « l’occupation de l’Adrar et la conquête en cours au Maroc » et aller en ce dernier pays vérifier ses propres suppositions.
II note avoir rencontré le Gouverneur Général de l’AOF le 6 janvier 1910 : « … je lui avais dit que les rudes combats de l’Adrar venaient beaucoup du fait que l’adversaire était armé de fusils à tir rapide comme nos troupes et que je pensais que ces armes provenaient du Maroc ».
Dans son rapport général, le 28 janvier 1909, le Commissaire du Gouvernement pour la Mauritanie écrit au Gouverneur Général de l’AOF : « … mes recherches m’ont fait, une fois de plus, toucher du doigt le lien existant entre le Maroc et la Mauritanie par l’entremise de Ma el Aïnin… ».
Dans le même document, il formule une requête qui, semble-t-il, est importante pour la conclusion de sa mission : « … II ne sera pas inutile que je m’arrête, en rentrant, à Mogador et à Tanger (et de)… rendre ce service à la Mauritanie en mettant nos agents au Maroc au courant des échos en Mauritanie… ». Il précise, par ailleurs, qu’il voudrait assurer cette mission « incognito ».
En effet, le 25 février, il visite le Général Moincei dans la chaouia, visite Mogador où il rencontre le consul français d’»origine Levantine » et rentre en France en mars 1910. Ainsi, le futur résident général du Maroc, le futur gouverneur militaire de Paris pour 14 ans, le pacificateur du Djebel Druze et le commandant en Indochine termine ainsi le « temps des Prétoriens » en occupant pour la France le Nord Mauritanien. « L’Adrar, écrira-t-il dans ses mémoires, sera la plus dure de mes campagnes ».
Mais, et on le verra plus tard, le contrôle complet du pays est loin d’être acquis. Il appartiendra aux « pacificateurs » près d’un quart de siècle de sacrifices pour sécuriser un régime qui expérimenta (comme on le verra plus tard) la révolte sporadique, les coups de main armés, la désobéissance sous toutes ses formes et ce jusqu’en 1934.
N° : 299 du 03 avril 2002