03-05-2017 22:00 - J’avais 10 ans en Mai 68 à Zouérate / Par THierry ARNOULD ( Zouerathie)
Adrar-Info - Les dramatiques événements du 28 Mai 1968, où il y eut mort d’hommes, intervenus suite à une révolte des travailleurs Mauritaniens de MIFERMA (Snim actuelle) , n’ont pas été traumatisants que pour les autochtones . THierry ARNOULD, un jeune français qui vivait avec ses parents dans la cite minière, avait vécu à 10 ans ce drame malheureux. Il raconte sa souvenance dans un récit émouvant :
« Le soir où tout à changé
Les jours de grève précédents, nous allions à l’école normalement, mais ce soir là , ma mère nous annonça que nous n’irions pas en classe le lendemain » Les Mauritaniens sont en grève et en colère, ils sont plus nombreux que nous et ici ce n’est pas pareil, ce n’est pas comme en France nous dit elle , comme si elle était désolée . » et pour que l’on comprenne mieux ses propos , elle nous dit que le car des français qui partaient en vacances avait était caillassé en passant devant l’économat et que cela devenait dangereux.
Et en effet , dès la nuit tombée, j’ai compris qu’elle avait raison.
A cette époque , nous habitions en face de l’ancienne polyclinique, et vers 20 heures un fourgon Renault SG1 de la manutention à du forcer le barrage des grévistes à l’entrée de Zouérate.
Il était conduit par un jeune français de la manutention que Michel Breda a bien connu, brun et des yeux spécifiques, globuleux , je n’ai plus son nom en tête. Dans le SG1, ils étaient deux dans la cabine de la camionnette et ils sont arrivés chez nous très angoissés, les vitres du SG1 étaient toutes brisées, mais ils étaient heureux et soulagés d’avoir pu passer le barrage.
Plus tard vers minuit , ma mère a vu descendre de Tazadit , plusieurs voitures tous feux allumés qui se dirigeaient vers F’Derick. Mon père a eu cette remarque : « ils sont fous, ils ne sont pas discret, ils vont avoir des problèmes.»
En effet, les européens rentraient du poste de l’après midi et descendaient de Tazadit en roulant plein phare en direction des Services Généraux pour contourner les 3 collines du château d’eau et rentrer dans Zouérate en passant par la décharge, par le terrain de football et la piste de karting afin d’éviter les grévistes qui se trouvaient à l’entrée de la ville au niveau de la barrière du gardien.
Mon Père venait à peine de terminer sa phrase que les mauritaniens quittaient déjà le sépis du gardien à l’entrée de Zouerate et firent mouvement en traversant la cité par le quartier Mercurochrome et se dirigeaient vers le terrain de football . Je me souviens que mon père nous fit rentrer immédiatement dans la maison et qu’il y eut des cris sur le passage des grévistes et des cailloux jetés contre les portes et fenêtres de notre ESA et sur ceux des voisins .
A l’intérieur de notre domicile , pour faire face , mon père avait son manche de pioche , Guy Breda qui était le boucher de l’économat avait ses grands couteaux de boucher et chacun avait son arme dérisoire pour se défendre .
Pendant ces quelques minutes, le temps parut long, ma sœur et moi même étions apeurés .
Puis le calme revint et les adultes se sont risqués à l’extérieur . C’est alors que surgit de nul part , M. GANCE essoufflé et terrorisé , il avait dû abandonner sa Land Rover en pleine nature entre la piste de karting et les ESA pour se sauver en courant et il nous raconta dans sa peur que les mauritaniens étaient des centaines …
Environ une trentaine de minutes plus tard, arriva à son tour M. CATINOT (je crois) qui s’était sauvé et caché lui aussi un long moment avant de rentrer. Il raconta lui aussi à nos parents les mêmes faits que M. Gance.
Ensuite, bien que les adultes leurs avaient proposés , par sécurité , de rester et de passer la nuit avec eux , ils ont décidé de repartir tous les deux de rentrer chez eux pour rassurer leurs familles . Je ne sais pas par ou ni comment ils ont fait pour arriver à leurs domiciles mais ce qui est sûr , ils sont rentrés sain et sauf .
Puis le reste de la nuit se déroula avec les tours de garde des adultes, vraiment très anxieux et inquiets de la situation. Ma sœur Ariane était traumatisée par les cris et les youyous des femmes mauritaniennes qui venaient du quartier maisons blanches et d’ailleurs par la suite, ces cris et « youyous » s’élèveront tous les soirs venant et très longtemps ces « youyous » ont résonné dans ma tête.
Le lendemain matin, les adultes prirent la décision de barricader les maisons, tout pouvait servir . Ils décidèrent de vidanger l’essence des véhicules et de retirer les batteries, d’organiser notre défense et de neutraliser les véhicules pour qu’ils ne puissent plus rouler et servir de voiture « bélier ».
Les commentaires des adultes allaient bon train, qu’allons nous faire, les autorités compétentes sont elles informées, l’armée va t elle intervenir, etc etc …
Puis le soir de nouveau des cris de la foule mauritanienne et une rumeur , les frères BREDA bien connus dans la Cité, un certain BOBOSSE et je suppose d autres personnes étaient devant la Mif-Hôtel avec des gourdins ou autres armes face à la foule mauritanienne . Provocation de leur part, ou défense de l’entrée du Mif-Hôtel je ne sais pas et je n’ai jamais eu la « vrai » réponse mais heureusement tout cela s’est bien terminé .
De notre côté , lors de cet épisode, Guy Breda qui était notre voisin , voulait rejoindre ses frères mais sa femme ne voulait pas . Tu as une famille reste ici avec nous lui disait elle sans arrêt, elle était au bord des larmes et de la crise de nerf il me semble même qu elle pleurait .
Heureusement cet épisode du Mif-Hôtel s’est bien terminé, mais le soir quand mes parents nous ont couché, en haut de l’escalier il y avait de drôles de bouteilles de Pschitt avec un morceau de chiffon qui en sortait .
Je demandais à mon père de quoi il s’agissait , il était tout embêté pour me répondre et c’est ma mère qui me répondit : » ce sont des cocktails Molotov, c’est pour se défendre . Si les mauritaniens tentent d’ouvrir la porte, on allume le chiffon et on les lance par les fenêtres pour qu’ils explosent .
C’est Papa qui s’en chargera et pendant ce temps avec ta sœur tu passeras par la fenêtre de ta chambre et vous irez vite vous réfugiez chez les RIGOTS sans vous occuper de nous . C’était la consigne de mes parents .
Cette nuit là , j’ai passé une nuit très agitée. Mes parents ne dormaient pas, ils venaient très souvent nous voir, inquiets pour nous mais très réconfortants .
Le lendemain matin, ma mère posa la question suivante, est ce que quelqu’un savait pour l’eau ? En effet, son souci était de savoir si les Mauritaniens pouvaient isoler la cité ou des quartiers pour nous couper l’eau , ou pire l’empoisonner. Elle nous dit que cette idée d’empoisonnement de l’eau lui vint à l’esprit quand elle trempait son pain dur dans l’eau pour le ramollir avant de le passer au four.
Comme personne ne pouvait savoir si les mauritaniens grévistes allaient empoisonner l’eau , tout le monde décida de faire des réserves et de se servir de tout ce qui pouvait servir de réservoir … C’est ainsi que même la brouette de mon Père à été rempli .
Le jour suivant , nous n’avions plus rien ou presque à manger . C’est alors que GUY BREDA, JACQUES RIGOT et mon père YVON décidèrent d’entreprendre une folle expédition, c’est à dire aller à l’économat de nuit et prendre la nourriture et toutes les vivres possible et de rentrer les distribuer.
Les femmes du quartier n’étaient pas d’accord sur cette expédition mais Guy Breda, Jacques Rigot et mon Père Yvon le firent quand même. C’est la première fois que j’ai pleuré pendant ces événements, mon père et ses copains allaient partir et avec tous les risques que j’avais entendu de la bouche des femmes, c’était trop pour moi.
Alors à la nuit tombée, ils prirent le fourgon tôlé de GUY BREDA et ils y allèrent . Leur expédition dura une heure ou plus alors qu’il ne fallait que 5 minutes en temps normal pour aller et revenir des économats .
Ce fut beaucoup d’angoisse et de je le dis de chagrin pour moi mais ils ont réussis.
A leur retour, ils ont relatés leur périple à l’adulte qui nous avait gardé (qu’il m’excuse j’ai oublié son nom mais pas son visage) car cet adulte était resté avec nous et il avait la lourde responsabilité de nous protéger , je l’en remercie.
Puis enfin, le lendemain ou sur lendemain , si je me souviens biens , les paras de l’Armée mauritanienne sont arrivés . Des parachutes dans le ciel de Zouérate, c’étaient les militaires mauritaniens. Ce fut un mélange de joie et de peur. Joie d’être semble t’il sauvé, mais immédiatement mon Père nous fit rentré moi et ma sœur dans la maison car il craignait des mouvements de foule en colère, et une dernière « vengeance » de la part des grévistes .
Après les tacs tacs tacs des armes automatiques, les derniers cris de la foule et le balai incessant des ambulances à la polyclinique le calme revint enfin ! C’était comme une libération mais malheureusement nous avons appris qu’il y avait eu des morts parmi les grévistes ce qui malgré notre soulagement nous attrista énormément , tout cela n’aurait jamais dû arriver .
Pour terminer, bien des années plus tard, je me suis posé cette terrible question très personnelle mais je n’ai pas la réponse. Et si tout cela avait mal tourné, qu’aurait fait mon père concernant ma sœur et moi, comment l’aurait il fait et est-ce qu’il en aurait eu le temps ?
Ce sont mes derniers souvenirs de MAI 68 de l’enfant de 10 ans que j’étais.
Pour terminer, croyez-moi, chaque année à date anniversaire, je repense à Mai 68 et j’ai toujours cette pensée sincère et émue, une prière pour celles et ceux qui ont perdu un Père, un parent, un ami. Je n’ai pas non plus oublié ce drame ».
A ma Ville de Zouérate, à mes amis, à ma famille.
Thierry ARNOULD , Ould ZOUERATHIE 10 ans à Zouérate en Mai 68.