11-10-2020 14:01 - Il faut donner un sens à sa vie

Il faut donner un sens à sa vie

Moussa Fall - Nous venons d’enterrer au cimetière du Ksar après une prière à la mosquée Ibn Abass qui a rassemblé une foule d’une densité inédite notre ami Mohamed El Moustapha Ould Bedredine.

Bedredine se savait malade mais refusant la fatalité, il livra un combat titanesque contre la maladie. Faisant preuve de courage et de détermination au moment des remissions, de stoïcisme durant les rechutes. Il refusait de baisser les bras, était sûr de triompher de la maladie et planifiait à chaque fois un avenir d’un combat, toujours militant. Je le suivais avec admiration.

Ni le soutien des autorités supérieures de l’État, ni celui de ses amis, ni celui de ses enfants, ni l’acharnement de ses médecins à le guérir n’ont pu arrêter la progression du mal qui le rongeait. La mort finit toujours, malheureusement, par avoir le dernier mot et c’est ce qui se produisit dans la nuit du 7 octobre 2020 en Algérie.

La trajectoire de vie de Bedredine, parce que sortant de l’ordinaire, apparaît en surlignage sur huit dernières décennies de l’histoire du pays. Il m’est arrivé de la croiser à plusieurs reprises, lui, restant constant dans son engagement, moi, comme certains aiment à le dire, en tant que « compagnon de route ».

La première fois que je vis Bedredine ce fût à la fin des années soixante. Il venait de faire une conversion salutaire pour l’histoire politique du pays, lui et un groupe de ses amis enseignants arabes, initialement nationalistes, que rien ne prédisposait à ouvrir un dialogue entre syndicalistes représentatifs des différentes composantes nationales du pays. Ce dialogue fondateur avait défini les bases d’une unité nationale qui a donné naissance à un renouveau politique, idéologique et sociétal en Mauritanie. Le groupe des compagnons de Bedredine de l’époque se composait de : Mohamedou Naji Ould Mohamed Ahmed, Ahmedou ould Abdel Kader, Mohamed Ainina Ould Ahmed El Hadi, Mohamed Lemine Ould Erebih, Mohamed Yahya Ould Ahmed El Hadi, Mohamed Horma ould Jid et d’autres. Des personnalités respectables pour leur intégrité morale et leurs convictions assumées tout au long de leur vie. Qu’Allah préserve ceux qui sont encore parmi nous et qu’Il accorde sa bénédiction à ceux parmi eux qui nous ont quittés. Ce groupe de personnalités a donné une caution socio-culturelle qualitative à la nouvelle école de pensée qui continue de marquer la scène politique nationale. La contribution de ce groupe de personnalités à l’évolution de la pensée politique nationale vers plus d’unité mérite, par reconnaissance, d’être inscrite dans l’histoire officielle du pays.

La deuxième rencontre se produisit à l’occasion du schisme entre ceux qui prônaient l’intégration au PPM qui devaient plus tard créer l’AMD et ceux qui la rejetaient et qui ont récupéré le label du MND. Ces divergences étaient apparues dans un contexte marqué par d’importantes réformes engagées par le gouvernement de feu le Président Moctar Ould Daddah et aussi par la préparation puis l’entrée dans la guerre du Sahara. Ce schisme devait créer des inimités haineuses qui allaient perdurer sur plus d’une décennie. Qui avait tort ? Qui avait raison ? Mohamed Ould Maouloud, Bocar Moussa Ba, Daffa Bakari, moi puis Bedredine, après une courte tergiversation, avions constitué le noyau dur du front du refus d’intégrer le PPM. Durant cette période Bedredine et moi avions nos habitudes dans un logement situé à la BMD et attribué à notre ami commun Mahjoub Ould Boye. Grâce à Mahjoub on côtoyait, sans nous y impliquer, le mouvement du 10 juillet. Par la suite des liens plus étroits se sont créés à l’occasion d’un séjour clandestin forcé regroupant à Guedewaye, une proche banlieue de Dakar, Mohamed Yehdih Ould Breidleil et Memed Ould Ahmed d’un côté et Bedredine, Mohamed Naji, Sid’Ahmed Ould N’Deile et moi.

Nos chemins se sont croisés une troisième fois au lendemain des évènements de 1989 et durant les premières années de la décennie des années 1990. Bebaha et moi étions venus voir Bedredine qui était à l’époque directeur de l’école de formation des instituteurs et le principal dirigeant du MND en place pour lui proposer de se joindre à la coalition qui devait former l’UFD (l’Union des Forces Démocratiques). Après avoir pris connaissance de l’identité des composantes de cette formation parmi lesquels se trouvaient d’anciens ministres de feu Moctar Ould Daddah, sa réponse fut : « Vous me demandez d’intégrer une deuxième fois le PPM ! Eh bien qu’à cela ne tienne, allons-y ! ». C’est aussi là un trait de caractère de Bedredine. Toujours humble et disponible dès qu’il s’agit d’une question d’intérêt national. Il s’engagea avec nous en dépit de ses responsabilités administratives et son engagement sans faille, faisant à chaque fois preuve d’ouverture d’esprit et de bonne entente avec l’altérité, fût déterminant par la suite à l’UFD, dans la campagne présidentielle de 1992 et dans la lutte que livra l’UFD/Ère-Nouvelle contre l’exclusion et les discriminations.

Le dernier parcours partagé avec Bedredine est celui qui vient de s’achever. Il a commencé avec le coup d’État de 2008 contre le président démocratiquement élu Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Nous nous engageâmes dans le FNDD (Front National pour la Défense de la Démocratie), puis dans la COD (Coordination de l’Opposition Démocratique) qui devait se s’elargir a d’autres composantes pour donner naissance au FNDU (Forum National pour la Démocratie et l’Unité). Un long chemin de plus de dix ans de lutte. L’UFP (Union des Forces du Progrès) avait vu le jour entre temps avec sa hiérarchie. Bedredine en compagnie de Kadiata Malick Diallo excellait dans les débats parlementaires. Ce furent les vedettes de l’Assemblée Nationale. Il aimait dire qu’« il adore parler » et qu’ « il adore la démocratie parce que, avant on l’emprisonnait pour ses opinions alors qu’en démocratie on le paye pour les exprimer ». Il est vrai que ses prises de parole sont délicieuses et argumentées. Il brillait aussi dans ses émissions dans les médias qu’il préparait avec minutie et application. Peut-être était-il le seul dirigeant de sa génération à le faire. En parallèle, et en dépit de son âge avancé, il aimait s’engager à chaque fois dans les campagnes de sensibilisation auprès des masses populaires. Il le faisait toujours avec conviction et abnégation. Les quartiers qui lui étaient confiés enregistraient des taux de mobilisation parmi les plus élevés. Il aimait ces milieux et y était aimé.

Les choix de vie sont innombrables. Mais seuls certains choix donnent un sens à celle-ci. Bedredine a fait le meilleur d’entre eux, celui de l’engagement pour le bien du plus grand nombre. Cet engagement s’est traduit par son empathie pour les minorités et les franges les plus défavorisées de la population. Il a fait de leurs causes des marqueurs sacrés de son combat. Cette recherche du bien pour le plus grand nombre l’a amené à avoir la plus grande des ambitions pour le pays. Toute sa vie, il l’a consacrée à la lutte pour l’unité nationale, l’émancipation sociale, le progrès et le développement du pays. C’est ce combat qui a donné à Bedredine toute l’aura dont il jouit actuellement.

La nation ne manquera pas de reconnaitre en Mohamed el Moustapha Ould Bedredine l’un de ses illustres bâtisseurs.

Son parcours est un exemple qui doit inspirer tous ceux qui sont encore en âge d’en tirer les leçons pour donner un sens à leur vie.

J’adresse mes condoléances les plus attristées à sa famille, tout d’abord, pour laquelle il laisse en héritage un nom prestigieux et une source de fierté. Mes condoléances vont aussi à ses compagnons de plus de cinquante ans de lutte qui ont perdu l’un de leurs leaders les plus emblématiques. Elles vont aussi à tous ses amis et à la classe politique dans son ensemble qui perd, elle aussi, l’une de ses personnalités les plus marquantes.

وإنا لله وإنا إليه راجعون.

Nouakchott, le samedi 10 octobre 2020

Moussa Fall





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Source : Moussa Fall
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