01-12-2020 21:00 - Secteur des Pêches : le voyage à Mahmouda, un message à décoder

Secteur des Pêches : le voyage à Mahmouda, un message à décoder

Sidi El Moctar Taleb Hamme - Le Ministre des Pêches et de l’Economie Maritime vient d’effectuer un voyage à Mahmouda, une mare permanente au Hodh El-Charghi, à l’extrême Est de la Mauritanie.

Normalement, ce voyage est une simple activité entrant dans le cadre des festivités du 60ème anniversaire de l’indépendance nationale comme la visite, effectuée par Son Excellence, il y a quelques jours à Nouadhibou, pour lancer un programme de modernisation de la pêche artisanale maritime.

Dans ce cas, peut-on dire que Monsieur le Ministre voudrait rappeler aux Mauritaniens que la pêche est, à la fois, maritime et continentale. Autrement dit, à côté de la mer, notre pays dispose d’importantes ressources hydriques continentales, à savoir le Fleuve et une multitude de cours et plans d’eau entre permanents et saisonniers.

N’eût été l’exclusion du sous-secteur continental de la nouvelle stratégie pêche, « Stratégie d’Aménagement et du Développement Durable et Intégré des pêches maritimes 2020-2024 », ce voyage à Mahmouda, au fin fond Est du pays, aurait été un fait normal, voire banal. Serait-ce là une raison pour dire que le déplacement à Mahmouda, serait plutôt pour tranquilliser les populations concernées que la pêche et l’aquaculture continentales, restent bien une préoccupation des pouvoirs publics comme elles l’ont surtout été dans le Cadre Stratégique de Gestion du secteur des Pêches et de l’Aquaculture 2008-2012 et la Stratégie Nationale de Gestion Responsable et de Développement Durable de la pêche 2015-2019.

L’importance accordée à ces domaines dans la contribution du secteur pêche au Programme Prioritaire Elargi du Président de la République, est une preuve éloquente à ce sujet.

Cette occasion est saisie pour rappeler que la pêche continentale se pratique historiquement par des groupes sociaux autochtones de tradition pêcheurs dans le Fleuve et de nombreux plans d’eaux identifiés dans 8-11 Wilayas du pays. Ce sous-secteur continental, est resté longtemps absent dans les politiques et stratégies du secteur jusqu’au moment où a plané le risque de disparition de cette activité avec tout un patrimoine socioculturel fort intéressant et ce à cause d’une sécheresse prolongée, de la précarité des moyens des acteurs et de l’insuffisance de l’aide de l’Etat.

Avec l’adoption du CSLP en 2001 et durant ses trois phases (2001-2015), on va rompre avec la politique d’initiatives disparates et discontinues et finir par mettre en place un programme d’aménagement et de développement de la pêche continentale et de l’aquaculture, axé sur l’exploitation des énormes potentialités qu’elles offrent en matière de création de richesse et des opportunités d’emplois, et puis dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et la pauvreté. Dans le domaine de l’aquaculture dulcicole, ledit programme était presque exclusivement axé sur la pisciculture ou l’élevage du seul groupe taxonomique "poisson".

Le résumé des réalisations accomplies depuis cette date, montre qu’en Mauritanie ont été provisoirement répertoriés 35 cours et plans d’eau permanents et environ 70 non permanents, tous répartis entre 8-11 Wilayas du pays. Parmi les plans permanents, les plus importants du point de vue volumes, productivité et intensité des activités sont le Fleuve, la retenue d’eau de Foum Legleita et les lacs de Kankossa, de Mahmouda, de Vedra, de Tough, de Tamourt Naaj et de Rkiz (ce n’est pas par ordre d’importance).

Selon une enquête réalisée par l’ONS en 2017, 21.000 pêcheurs, en majorité ressortissants des pays voisins, se livrent à la pêche continentale et la production, dans tous les sites enquêtés, est estimée à 23.000 tonnes/an.

Il y a eu également, entre 2015-2018, la construction et/ou réhabilitation de plusieurs infrastructures dans le Gorgol (Mbout, Maghama, Kaédi) et le Trarza. Les détails de telles réalisations peuvent se résumer dans :

- L’aménagement de trois (3) mares dans le but de les pérenniser et d’accroitre leur production piscicole ainsi que la durée de pêche ;

- La construction d’une écloserie destinée à produire les besoins en alevins et à permettre ainsi de repeupler les différents plans d’eau et de réintroduire les espèces ayant disparues les dernières années dans certains sites ;

- La mise en service du Centre de pêche de Tékane et la réhabilitation du celui de M’Bout ;

- La construction de cinq (5) étangs piscicoles devant permettre à la recherche d’expérimenter l’élevage d’autres groupes d’espèces de grande valeur commerciale ;

- L’organisation de sessions de formation de renforcement des capacités dans le cadre des projets "PGIRE" et "Programme de Renforcement de la Résilience à l’Insécurité Alimentaire et Nutritionnelle au Sahel". Aujourd’hui, cette pêche continentale et cette aquaculture dulcicole demeurent, au regard des réalisations ci-dessus, des créneaux offrant d’énormes opportunités dans des domaines prioritaires pour l’Etat : accroissement de la production, emploi des jeunes, sécurité alimentaire, génération de revenus, etc.

Actuellement les vides juridiques et l’absence de services de pêche sur place, empêchent les autorités administratives et municipales locales d’intervenir pour organiser l’activité et sanctionner des réfractaires constitués généralement de ressortissants des pays voisins ayant de vieilles traditions dans la pêche.

A mon humble avis, le programme ministériel devra aussi comprendre l’élaboration d’un rapport clair sur l’état de valorisation des réalisations accomplies par les projets de la JAICA/JAPON, de l’OMVS/PGIRE et de la BAD, la liste et la situation des sites où s’effectuent actuellement, de manière quotidienne, la pêche et/ou l’aquaculture (populations bénéficiaires ou pouvant bénéficier des produits du site, nombre effectif de pêcheurs et des embarcations, volume de la production. besoins, etc.)/

Sur cette base, l’Etat saura les différentes formes d’appuis à accorder à ce genre de populations de pêcheurs vivant généralement dans la précarité : embarcations, engins et matériels de pêche, moyens de transports et de conservation adéquats pour écouler leurs produits dans les zones environnantes et limiter les pertes post-captures, infrastructures de production d’électricité, de glace, de stockage, d’étalage et de vente de produits conformes aux normes d’hygiène et de qualité, etc.

Afin de tirer le maximum de résultats de tels soutiens, il serait préalablement impératif de recenser les pêcheurs, les mareyeurs, les transformateurs et les distributeurs et d’organiser, par site, ces métiers en coopératives et comités de pêches dans la perspective de les initier à la cogestion en collaboration avec les services déconcentrés.

Dans ce programme, une autre priorité en constitue certainement la promotion d’une recherche technologique et scientifique appliquée : techniques d’élevage et suivi des opérations et leurs impacts sur l’environnement, nature des aliments et l’industrie de leur fabrication, technique de conservation et transformation des produits, étude des milieux, détermination des espèces qui s’apprêtent le plus à l’élevage en Mauritanie : aspects systématiques et trophiques, options techniques, évaluation des stocks, etc.

Pour répondre à l’ensemble des soucis de l’Administration, cette recherche devra développer des programme dans les domaines de l’hydrobiologie, de la limnologie et changement climatique.

Sous ses différentes composantes, la recherche dont on rêve devra œuvrer pour :

- Compléter l’inventaire des cours et plans d’eau et leur caractérisation (permanent, non permanent, volume, surface, productivité, activités, etc.) ;

- Actualiser le catalogue des poissons d’eau douce de Mauritanie de 1982 afin de pouvoir suivre l’impact des changements climatiques sur leur évolution (biodiversité). L’opération d’actualisation de l’inventaire taxonomique des groupes d’espèces, devra être accompagnée par l’identification des risques des changements climatiques sur ces écosystèmes continentaux et sur les populations qui profitent –ou devant profiter- de leurs services.

- Actualiser la liste des espèces qui se prêtent le plus à l’aquaculture dans notre pays en fonction des milieux, des saisons et des régimes trophiques, etc.

- Identifier, caractériser et cartographier les sites appropriés pour l’aquaculture en vue de leur aménagement et viabilisation à la charge de l’Etat et l’incitation des populations et des promoteurs privés à leur valorisation (aquaculture villageoise) ;

- Définir des types/techniques d’aquaculture les plus indiqués dans les eaux mauritaniennes douces et marines ;

- Evaluer la vulnérabilité de ces écosystèmes continentaux au changement climatique et les impacts actuels et potentiels de ce changement climatique, de la pêche et de l’aquaculture sur lesdits écosystèmes ;

- Encadrer les opérations de désensablement des cours et plans d’eau et d’empoissonnement de ceux appauvris, et ce en vue de les pérenniser et d’améliorer leur productivité.

La formation de cadres et techniciens hautement qualifiés dans les techniques d’élevage d’organismes aquatiques/aquacoles et de maintenance des équipements utilisés, serait un préalable à la réussite et à la pérennité de cette activité à promouvoir.

Il est alors de la responsabilité de l’Etat de former, dans une première étape, une centaines de cadres moyens spécialisés dans les différentes techniques d’élevages des organismes aquatiques, en général et des groupes d’espèces devant être les plus ciblés par les promoteurs privés locaux, en particulier.

La présence sur place des services de la pêche (y compris la recherche) pou assurer une gestion de proximité, constituerait une garantie de plus pour une meilleure mise en oeuvre des programmes actuels et futurs et pour l’atteinte des résultats escomptés.

Dans ce cadre, la priorité est à la création de représentations dotées des infrastructures nécessaires dans les principaux sites de la pêche continentale; le choix de sites-pilotes dont les expériences pourront être généralisées, serait éventuellement une option à étudier.

Même s’il est souvent absent des esprits des concepteurs des politiques et stratégies ou considéré comme une contrainte à la croissance économique par les décideurs, l’environnement ne peut que figurer, connaissant la vision de Monsieur le Ministre, dans le présent programme de promotion de la pêche continentale et de l’aquaculture dulcicole et marine.

Qui ignore que la sécheresse et l’intensification du phénomène de l’évapotranspiration accompagnant l’augmentation de la température, provoquent, au niveau des écosystèmes continentaux, l’ensablement des cours d’eau (y compris le Fleuve), le tarissement des plans d’eau non permanents, la baisse du volume de ceux permanents et, en conséquence, la baisse de la productivité.

Qui aussi peut nier qu’il s’agit là de quelques impacts d’un changement climatique qui risque bien de faire des ravages si rien ne change dans notre manière de voir, d’agir et d’anticiper dans le cadre d’une stratégie nationale qui intégrerait, dans, une une première phase, les secteurs les plus vulnérables à un tel phénomène de portée planétaire.

Telles sont quelques préoccupations d’un vaste programme d’aménagement et de développement de la pêche continentale et de l’aquaculture que le Ministère de tutelle espère faire davantage avancer grâce à l’appui politique et financier du PPEP. A propos, sait-on que ce la pêche continentale et l’aquaculture puissent particulièrement contribuer au programme de distribution du poisson par la SNDP et à l’approvisionnement des cantines scolaires, prévues dans le cadre du fameux programme de "l’école républicaine".

Par ailleurs, cet écrit s’inscrit dans le cadre d’une campagne de communication destinée d’un côté, à vulgariser la bonne version de ce programme auprès des populations cibles, des autorités administratives et municipales et puis des partenaires techniques et financiers du secteur et de l’autre, à faciliter l’adhésion de toutes ces parties à la mise en œuvre dudit programme et à la contribution éventuellement au financement de ses autres composantes.

Dr Sidi El Moctar Taleb Hamme




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