05-05-2021 23:00 - Mariem Daddah, la co-fondatrice (1)/par Bertrand Fessard de Foucault
Le Calame - Admis en Décembre 1964, à l’Ecole nationale d’administration (française), vouée à la disparition, à partir de Janvier 2022, je devais accomplir le service national, alors obligatoire et de dix-huit mois, éventuellement en coopération franco-africaine. Je fis le choix du Centre de formation administrative de la République Islamique de Mauritanie.
L’indépendance avait à peine plus de trois ans trois mois d’âge. Les cours : je fus chargé du français, de l’histoire, de la géographie et de l’économie, et j’enseignais donc de Février 1965 à Avril 1966 à des jeunes filles et garçons de 15 à 20 ans (les sténo-dactylographes) et à des administrateurs d’autorité, « jouant » la fin de leur carrière.
Cela se passait dans le hangar où avait été proclamé l’indépendance, où s’était d’abord établie l’Assemblée nationale et qui reçut les Archives nationales, à une centaine de mètres du bâtiment initial, en pierre d’Atar, de la présidence de la République. Le 28 Novembre 1965, le C.F.A. devint l’Ecole nationale d’administration de la Mauritanie.
En quelques jours, à mes 22 ans, je compris qu’enseigner les acquis de mon pays de naissance à ce qui allait devenir mon pays d’adoption, ne préparerait pas une indépendance mentalement approfondie. Je cherchai donc les données mauritaniennes. L’épouse du président de la République enseignait, quant à elle, le droit constitutionnel.
Aucun manuel… faire ma thèse de doctorat sur la Mauritanie. Impossible de me documenter sans que s’ouvrent les archives courantes de l’administration, de l’Assemblée nationale, du Parti unique. Il me fut conseillé (par des « conseillers techniques » français) de demander au président Moktar Ould Daddah l’autorisation que beaucoup me soit ouvert. Je parvins à son audience grâce à l’ambassadeur mauritanien à Paris qui m’avait, par avance, introduit à son pays, avant mon départ (feu et regretté Ould Daddah).
Mardi 27 Avril 1965. 21 heures 30 – J’ai été reçu en audience, par le Président de la République, M° Moktar Ould Daddah, lundi 26 Avril 1965, à 12 h. pendant trois quarts d’heure.
Très grande simplicité. Impression de quelqu’un de très attentif, de très détendu, de très enfant, de sincère, de jeunesse. Feu vert pour ma thèse. Il faudra simplement que je délimite mon sujet avec sa femme, Mme Moktar, qui va faire quelque chose sur le Parti (c’est le seul point noir. Si Mme Moktar est trop gourmande, que ferai-je ?).
Cela fait, il rédigera une circulaire, dont j’aurai la copie qui me donnera accès à tout.
Il accepte de me voir quand je le voudrai.
But de cette thèse à ses yeux : choc intellectuel dans les conceptions occidentales de la démocratie, et des systèmes politiques.
D’accord sur le fait que tout tourne autour du congrès de Kaédi.
Bureau vaste. Fond de boiserie. Bureau vaste et assorti. Encyclopédie musulmane sur un meuble bibliothèque. Impression de calme et de détente et de jeunesse du Président. Comme me l’avait laissé attendre, Jean-Marie : je suis sous le charme.
Madame Moktar Ould Daddah me reçut à la Résidence peu après. Elle renonçait déjà à son propre projet, de plus en plus requise par l’implantation et l’animation du mouvement des femmes : immense défi, mais cheville ouvrière de tout dans un pays qui commence sa version moderne. Entreprenant de faire connaître en Europe un type nouveau de dialectique et d’institutions politiques, j’entrais donc aussi dans l’amitié de beaucoup de hauts responsables mauritaniens, et progressivement dans l’histoire nationale, puis les échéances parfois dangereuses de la fondation de 1957 à 1978.
Accompagnant le couple présidentiel, à son retour d’exil, le 17 Juillet 2001, la plupart vivant encore et de très bonne mémoire, me firent comprendre cet exercice du pouvoir, vraiment collégial, par comparaison avec ce qu’il est advenu – depuis – de la Mauritanie.
Ce sont les mémoires du Président qui m’ont fait travailler avec Mariem, pour leur auteur et pour le pays, et donc mieux la comprendre : elle, me recevant chez eux, très souvent dès leur retour d’exil et après le décès de son époux. La Mauritanie, contre vents et marées – les mémoires ont paru (éditions Karthala . 669 pages . également disponibles en arabe) le jeudi 15 Octobre 2003, juste au lendemain de sa mort : Dieu a voulu cette coïncidence décisive, et jusqu’à présent, Moktar Ould Daddah – que Dieu l’accueille en Son Paradis – n’a pas encore d’analogue : un ancien chef d’État arabe et africain, écrivant lui-même l’histoire et le bilan de son exercice du pouvoir. A telle enseigne, qu’ils vont être traduits, publiés et diffusés en Chine.
Mémoires dont j’ai connu deux versions. La première encore inédite, est orale. A l’arrivée du Président en exil, à Paris, en Octobre 1979, je jugeai prudent de l’enregistrer au magnétophone aussi complètement que possible : nous passâmes ainsi cinq jours (en Décembre 1979) à la fin de sa convalescence, vécue dans un hôpital militaire à Toulon.
Je reçus deux confidences : la première confirma mon impression de dix ans, Mariem n’avait pas été appréciée de ses compatriotes de naissance et les Français, notamment leur ambassade, la regardaient comme l’inspiratrice gauchiste de Moktar Ould Daddah. La seconde m’apprit l’extraordinaire compréhension du Président : pieux musulman s’il en fut, il acceptait de faire bénir son mariage avec une jeune magistrate française, catholique de gauche, militante progressiste, Marie-Thérèse Gadroy, dans la foi chrétienne de celle-ci.
Ce fut l’archevêque de Besançon qui refusa de bénir la disparité des cultes alors que le droit de l’Église la prévoit. Tout se dénoua en 1973 quand Mariem embrassa l’Islam, pas principalement pour mieux se fondre parmi ses compatriotes par mariage, mais vraiment par conviction. J’eus l’occasion d’en parler avec elle et de le comprendre.
Le Président d’une certaine manière, a persisté en préférant que s’érige le diocèse catholique de Nouakchott, plutôt que d’établir une relation diplomatique directe avec le Vatican.
Passionnée et intransigeante
La seconde version fut ma lecture du manuscrit de ces mémoires, leur premier « jet ». Deux journalistes notoires, l’un français, l’autre marocain, avaient été pressentis par le Président et sa femme : mais l’un s’inféodait au plus durable des « successeurs » militaires de Moktar Ould Daddah, et l’autre voulait toucher le gros lot.
Ce sont nos échanges à trois pendant deux ans, à Nouakchott, en lisant ligne à ligne ce qui est devenu le livre, moyennant l’ordonnancement des rédactions faites en vrac et des ajouts pour que soient traitées des points essentiels comme les décisions révolutionnaires des années 1972 à 1975.
Mariem était passionnée, intransigeante et le Président convenait avec nous, que toute vérité était à dire. Je poussais aussi celui-ci à s’expliquer sur ce qui n’avait pas paru évident dans le moment de certaines décisions.
C’est Mariem qui suggéra le titre de la plupart des chapitres et trouva – avec bonheur – le titre de l’ensemble. Les derniers mois de la vie du Président, amené à Paris pour lutter encore mieux, grâce aux médecins qui l’avaient déjà accueilli en Octobre 1979, en très mauvaise condition après quinze mois de prison à Oualata.
Une intimité – peu ordinaire et encore moins fréquente à notre époque – déjà nouée par de très nombreuses conversations avec le Président en tête à tête, au pouvoir ou ensuite, fortifiée et illustrée en l’accompagnant lui et Mariem dans plusieurs tournées à l’intérieur du pays, se transforma en une responsabilité de témoin.
Grâce à l’accueil du Calame, j’essaye de l’exercer depuis le cinquantième anniversaire du premier gouvernement mauritanien, qui se réunissait déjà Nouakchott mais sous la tente.
Laissons d’abord le président Moktar Ould Daddah nous présenter son épouse, et plus encore le rôle – essentiel – qu’elle a joué avec lui et ses co-équipiers.
Ce fut à Grenoble que Marie-Thérèse, venue me rendre visite, et moi, décidâmes de nous marier dès que nous aurions commencé à gagner notre vie. D’autre part, je souhaitais informer moi-même mon père de ce projet. Il me fallait donc attendre mon prochain voyage en Mauritanie. Dans ce contexte, nous ne pouvions pas fixer une date exacte.
p. 145 … la décision
Au retour de ce voyage (aux Etats-Unis), je me suis arrêté à Paris pour épouser Marie-Thérèse Gadroy, que j’appelais déjà Mariem. (4 Novembre 1958 à la Grande Mosquée de Paris, Moktar Ould Dadah épouse Marie-Thérèse Gadroy, avocat au barreau de Paris)
Mariem était une condisciple de la Faculté de Droit de Paris. Nous avions fait connaissance en Décembre 1954, dans les circonstances que voici. Un jour, en « amphi. »(1), entre deux cours de 3ème année, je suis abordée par celle qui se présenta comme étant « Marie-Thérèse Gadroy, 3ème année, membre du groupe catho. de la Fac. (2)». Elle m’invita gentiment à une soirée organisée par son groupe en faveur des étudiants étrangers et d’Outre-Mer de la Fac., soirée dont elle m’expliqua brièvement le but que je trouvais louable.
Permettre auxdits étudiants étrangers de faire plus ample connaissance avec leurs camarades français et vice-versa. J’acceptai avec plaisir. Alors, ajouta-t-elle en substance, après m’avoir demandé de quel pays j’étais : « nous demandons à ceux de nos invités qui peuvent venir en costume national, de le faire… » Malgré mon peu de goût pour l’exotisme, je donnais mon accord.
Pendant cette soirée, je fis la connaissance du Professeur Massignon, qui y fit une conférence fort intéressante sur les rapports entre l’Islam et la Chrétienté, sujet qui semblait avoir complètement passé par-dessus la tête de la quasi-totalité des auditeurs. Grâce à ma derrâa et à mon haouli, il m’avait remarqué et m’aborda. Durant quelques minutes, j’ai pu répondre à ses questions et lui poser les miennes sur le Machrek dont il revenait, si mes souvenirs sont exacts.
Et, après cette soirée, Mariem et moi avons continué à nous voir, à la Fac. et en dehors de celle-ci, les années 1955 et 1956 : je parlerai plus loin de cette dernière année. En Octobre 1956, à Grenoble, nous décidâmes de nous marier.
Jusqu’à cette date, je n’avais pas l’intention d’épouser une étrangère. Et pourtant, le 4 Novembre 1958, le grand tournant de ma vie personnelle : Mademoiselle Marie-Thérèse Gadroy devint Madame Moktar Ould Daddah, Mariem Daddah pour les Mauritaniens.
Mariage civil, à la mairie du XIVème arrondissement (dont dépendait le domicile de Mariem), à la Mosquée de Paris, pour le mariage religieux. Alors catholique pratiquante, Mariem se convertira à l’Islam en 1977. A la mairie, nos témoins étaient mes amis Yvon Razac et Jean Gondre.
A la cérémonie religieuse, nos témoins étaient les témoins attitrés de la Mosquée. En la circonstance, mon ami Sidi El Moktar N’Diaye était le wakil – tuteur(3)– de Mariem ; Mohamdel Moktar dit Marouf, mon condisciple à la médersah de Boutilimit, était également avec nous, à la Mosquée.
Nos amis et promotionnaires, Bernard Lauze et Jérôme Pujos ont participé à toutes les cérémonies, dont ils étaient les photographes ! Au déjeuner, notre très cher professeur Henri Solus, nous fit pleurer, la maman de Mariem, Mariem et moi-même, en prononçant un petit discours particulièrement émouvant et gentil pour « ses étudiants Marie-Thérèse et Moktar… ».
Deux années plus tard, nous fûmes très heureux et fiers – comme il l’a été lui-même – de le recevoir, le 28 Novembre 1960 à Nouakchott, en qualité de mon invité personnel aux festivités marquant la proclamation de notre indépendance.
Etait également émouvant et délicat, le mot prononcé par Amadou Diadié Samba Dioum, doyen de mon Gouvernement. A la réception de l’après-midi, il y avait davantage de monde : plusieurs camarades communs de la Fac., des amis de l’un et de l’autre et tous – ou presque – les étudiants et stagiaires mauritaniens en France, à Paris surtout, moins de la vingtaine pourtant. Voyage de noces réduit à sa plus simple expression, à cause du manque de temps et, surtout, d’argent : trois jours à Antibes, chez mes amis Ravaux.
Ce fut pour Mariem le baptême de l’air, et, pour moi, la première fois de prendre la Caravelle ; sur les lignes africaines, il n’y avait encore que les D.C.-4, -6 et -7. En Janvier 1959, je revins à Paris pour y chercher mon épouse que je ramenai avec moi à Nouakchott, via Dakar.
Quel changement pour cette jeune parisienne qui quittait « la ville-lumière » pour aller vivre dans la « ville-panneaux » comme certains appelaient ironiquement Nouakchott ! Avec beaucoup de courage et une volonté inébranlable, Mariem s’est adaptée aux conditions de vie nouvelles si difficiles : conditions matérielles, mais aussi morales.
Un dépaysement total pour cette jeune étudiante devenue, sans transition, « la première dame » d’un pays qui était – c’était vrai - l’image de sa capitale encore réduite, dans sa plus grande partie, à des panneaux plantés sur l’emplacement des futurs bâtiments administratifs, ou de quartiers d’habitation.
Comme il avait bien plu cette année-là dans la région, les troupeaux de chameaux paissaient, le jour, au milieu des maisonnettes. Les chamelles et chamelons venaient « se gratter » contre les murs des petites villas.
Le soir venu, les chacals rôdaient autour de nous et, parfois, nous narguaient par des cris et des aboiements qui effrayaient les non-initiés à la vie de brousse. Pour se procurer le moindre objet – une boîte d’allumettes par exemple – les quelques dizaines d’habitants de la capitale devaient aller au Ksar (distant de quatre kilomètres). Heureusement, nous avions tous des voitures : principalement des « 2-CVs » , dont la mienne que je conduisais moi-même.
Dans un tel contexte et d’innombrables difficultés de toutes sortes, Mariem devait « installer sa maison » et, surtout, s’improviser comme restauratrice ! En effet, la présidence du Gouvernement étant définitivement installée à Nouakchott, où les affaires les plus importantes du Territoire étaient traitées, j’étais souvent appelé à recevoir des étrangers de passage et même des nationaux, dont des collaborateurs habitant encore Saint-Louis.
Le Président de l’Assemblée Sidiel Moktar N’Diaye et les quelques ministres, résidents comme moi, devaient en faire autant. Sinon, nos visiteurs n’auraient eu où aller pour se nourrir. Ces circonstances pratiques nous faisaient nous arranger pour que nos hôtes ne restassent à Nouakchott que quelques heures, dans la journée, avant de repartir pour Rosso ou pour Saint-Louis.
Malgré cet environnement si peu parisien, si peu citadin, si hostile aussi bien sur le plan moral que sur le plan matériel, Mariem ne s’est jamais découragée. Au contraire, elle a tenu à faire face à sa nouvelle situation. Elle s’est très bien adaptée.
A suivre
Bertrand Fessard de Foucault
alias Ould Kaïge
(1) - abréviation estudiantine d’amphithéâtre, ou salle de cours de grande dimension
(2) - abréviations courantes à Paris pour le groupe catholique des étudiants à la Faculté de droit
(3) - il confirme le consentement de la future épouse, la protège au besoin
(Tous témoignages et toutes critiques bienvenus au journal
ou b.fdef@wanadoo.fr)