07-08-2024 21:00 - Si la Mauritanie m’était contée

Si la Mauritanie m’était contée

Financial Afrik - «On avait fourré dans sa pauvre cervelle qu’une fatalité pesait sur lui qu’on ne prend pas au collet ; qu’il n’avait pas puissance sur son propre destin ».

Ceux qui me lisent souvent savent que cette révélation d’Aimé Césaire sur l’aliénation du Noir est une référence essentielle dans ma quête de réécriture d’une nouvelle identité nègre. Le colonialisme avait fourré cette triste image de lui-même dans la tête du colonisé noir et par un suicidaire exercice d’essentialisation, il l’a adoptée.

AAujourd’hui encore en Afrique noire, ceux qui ont réussi sont les nouveaux blancs, héritiers de ces évolués que le colon cooptait et à qui il accordait un statut supérieur à celui du colonisé type. Aujourd’hui en Afrique noire, le Blanc est encore l’unité de référence pour tout, la beauté, la richesse, l’intelligence.

Aujourd’hui en Afrique noire, il n’est pas rare d’entendre nos élites politiques ou intellectuelles, dire que l’homme blanc est fort, que l’homme blanc nous dépasse. Beaucoup n’imaginent même pas que nous ayons la folie prétentieuse de substituer nos «patois» à la langue de Molière, de Cervantes ou de Shakespeare.

Parmi les métastases que le cancer du colon – pour emprunter cette expression à mon jeune ami Martial Bissog – a semées dans nos esprits, la plus maligne est sans conteste la supériorité existentielle du Blanc. Cette idéologie prend souvent des formes inattendues. Dans un certain domaine, la Mauritanie en est la victime la plus consensuelle. Il est admis par tous que dans ce pays, les Maures noirs ont été et sont les esclaves des Maures blancs.

Société complexe s’il en fut, ce peuple est composé de plusieurs groupes ethniques, Maures, Pullars, Soninké, Wolofs. Les Maures majoritaires sont grossièrement repartis en deux groupes chromatiques, les noirs et les blancs, même si la répartition est bien plus complexe que cela.

Qu’importe si toutes les sociétés africaines ont pratiqué l’esclavage. Qu’importe si cette pratique se fondait sur une hiérarchie sociale prédéfinie, avec des castes bien distinctes. On ne retiendra que la domination colorielle du beïdane, le Maure blanc sur le harratine, le Maure noir. Tout le monde s’engouffre dans cette brèche providentielle facile, le Blanc pour exorciser ses propres démons coloniaux, le Noir pour pleurer sa chronique malédiction chromatique.

Et en embuscade l’ambitieux qui rêve de politique ou d’un destin messianique quelconque, va exploiter à fond ce filon qui lui ouvrira les cénacles humanistes occidentaux et le couloir del’activisme noir.

Alors, l’on appréciera la Mauritanie par ce seul bout de la lorgnette

Imaginons un instant que l’on applique ce modèle aux amis occidentaux qui épongent les larmes des activistes anti esclavagistes mauritaniens. Au hasard, nous allons commencer par le plus grand, les États Unis d’Amérique. Imaginons que leur société soit analysée sur le seul rapport coloriel.

On pensera à l’extermination des peaux rouges et à la mise dans des réserves, comme des animaux, des quelques spécimens rescapés du génocide. On parlera des peaux noires, de la traite, de l’esclavage et de la ségrégation raciale qui perdure.

Résultat, les USA, la première puissance mondiale deviendra le dernier des pays du monde. Faisons un tour en France et admirons la cavalcade du Rassemblement national qui devient le premier parti de ce pays.

Ajoutons-y le mépris souverain que son président Emmanuel Macron manifeste pour l’Afrique dont il ira jusqu’à traiter les relations avec un parfait inconnu dans la foire de Paris, à qui il dévoile ses entretiens avec leprésident camerounais et toutes les pressions qu’il prétend exercer sur lui ; qui choisit un musicien camerounais pour traiter du plus lourd dossier colonial de l’Afrique noire, les massacres perpétrés par la France pendant la guerre d’indépendance au Cameroun ; qui dit qu’il n’a pas d’excuse à faire à l’Afrique pour le colonialisme auquel il n’a pas pris part, alors que tous les jours il s’excuse auprès d’Israël – ok – mais aussi de l’Arménie ( !!!). On peut terminer le podium avec le Royaume-Uni qui a soutenu jusqu’à la nausée, le régime inique de l’apartheid.

La Mauritanie, un autre regard sur l’histoire récente

Après ces interminables prolégomènes, parlons maintenant de la Mauritanie, ce pays tout à fait spécial qui fait le lien entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, en particulier sa partie occidentale, notamment le Sénégal et les Mali avec lesquels il partage les frontières et les peuples.

Rappelons que quand la France quitte la Mauritanie au lendemain de son indépendance en 1960, le taux de scolarisation est quasi nul, comme partout ailleurs en Afrique. Soulignons que la situation est aggravée ici par le nomadisme de ces peuplades dispersées sur un immense territoire. Le premier conseil de ministres animé par le leader Moktar Ould Daddah se déroule sous une tente.

N’allez pas penser qu’il s’agit d’une coquetterie du Bédouin attaché à sa culture. Le colon n’a tout simplement pas laissé un bâtiment capable d’accueillir cet événement. La Mauritanie coloniale était administrée à partir de Saint-Louis du Sénégal. D’ailleurs longtemps les spécialistes français déconseilleront la construction de bâtiments de plus de quatre étages. Ignorance, intention malveillante, aujourd’hui, des gratte-ciels se projettent sous le firmament nouakchottois.

Sur le plan politique, longtemps, le seul modèle connu d’alternance à la tête de l’état restera le coup d’état. Mais ici aussi, ce peuple jouera de sa singularité. Alors que dans toutel’Afrique, les putschs sont organisés à partir des capitales occidentales, le Mauritanien revendique crânement la paternité des siens. « Nous organisons nos coups d’état nous-mêmes », proclame-t-il, non sans fierté.

Ce peuple est fier jusqu’à la rigidité. The Sunday Times du 04 aout cite mon ami Mbarek Ould Beyrouk « l’écrivain le plus éminent du pays » qui affirme que « l’élite de son pays rêvait de sable et de palmiers, pas de Paris ou de Londres ». Là où l’élite africaine ne rêve que de Paris, de Londres, des Alpes, de la Côte d’azur, de la City et de Los Angeles.

Aujourd’hui la Mauritanie.

Avec la même fierté, le pays brandit aujourd’hui sa monnaie, le Ouguiya créé en 1973, dans un univers où les autres pays de l’ancien empire français d’Afrique utilisent toujours le CFA, cette inattendue, iconoclaste et anachronique monnaie coloniale. La Mauritanie a tourné le dos à la langue française – il n’y a pas de nation sans langue nationale propre. Le hassanya et l’arabe sont les langues officielles les langues de l’éducation.

Il y a un peu moins de vingt ans, je découvrais ce pays au lendemain du coup d’état de 2005 qui avait renversé le régime Ould Taya. L’homme fort d’alors, le colonel Ely Ould Mohamed Vall de regrettée mémoire, dirigeait le gouvernement de transition qui s’était donné deux ans pourassainir l’horizon siclai, revoir les institutions et organiser des élections générales. J’ai rencontré cet homme.

Le chef de la transition a réussi à me convaincre comme dans une révélation mystique, que le pays avait décollé et que le retour en arrière n’était pas possible. De cette rencontre j’ai tiré le livre intitulé Les hirondelles du printemps africain : ma rencontre avec Ely Ould Mohamed Vall, le père de la démocratie mauritanienne, publié aux éditions J.C. Lattès.

Tout le monde m’a ri au nez. J’étais le seul à y croire. Le rire a explosé sardonique et s’est répercuté en interminable écho, quand deux ans après l’élection du nouveau président, le colonel Mohamed Abdel Aziz l’a renversé par un coup d’état. À ce jour, les progrès fulgurants réalisés par la Mauritanie me donnent pleinement raison.

L’actuel élu tout en ayant poursuivi les reformes tous azimuts, a particulièrement renforcé le volet social. Et la moindre des réformes dans ce domaine n’est pas cette assurance maladie universelle à destination des plus démunis, qui permet, cas unique en Afrique, que toute la population soit couverte, les travailleurs du privé et du public étant pris en charge par leurs employeurs.

Allez donc jeter un coup d’œil à la merveille de campus universitaire, au bas mot, l’équivalent de Yaoundé 1 et 2 réunis, qui est sorti de terre en un an – une petite année. « Les ouvriers travaillaient nuit et jour », explique naïvement le ministre de tutelle, comme si cela allait de soi.

Et si l’adage qui prétend que « quand le bâtiment va tout va » dit vrai, alors, tout va bien au pays des Mourabitoune, l’équipe nationale de football. Comme tout les autres secteurs de ce pays, cette équipe jadis dispensatrice de points et de scores fleuves, a crevé l’écran ces dernières années avec ces participations à la phase finale de la CAN, dont la première était au Cameroun.

Nous voulions juste mettre en lumière quelques éléments symboliques du progrès social dans ce pays qui ne connaît plus ni coupure d’eau, ni d’électricité. Point n’est besoin de reparler de sécurité qui a été rétablie dans ce pays du G5 Sahel, longtemps secoué par le terrorisme. Nous n’allions pas présenter la bonne santé de l’économie, l’augmentation des recettes fiscales, la baisse du déficit budgétaire tout comme celle de la dette publique.

La Mauritanie de Gazouani.

Vous savez mon amour tyrannique pour l’Afrique. Vous savez mon combat pour la renaissance africaine. Mais vous savez surtout mon optimisme indéboulonnable. Enfin vous savez mon bonheur à valoriser ceux des miens africains qui font notre fierté. Et des personnages comme le président mauritanien viennent renforcer ma conviction que l’Afrique est bien partie.

L’homme est vraiment spécial. Il dégage cette calme assurance que l’on retrouve souvent chez les bédouins. Ce trait de sa personnalité me frappe à chacune de nos rencontres. Je me souviens de ce farouche opposant qui disait ceci de lui. «As’en tenir aux dires concordants de ceux qu’il reçoit, l’aptitude au consensus l’habite et façonne son tempérament.

La vox populi le répute peu enclin à l’avidité matérielle, affable, àl’écoute et profondément réfractaire à la violence. Il n’hésitepas à rendre service aux anonymes et, je puis en témoigner,ne leur réclame pas de contrepartie.

Le culte de la personnalité le dérange mais il le supporte, par courtoisie envers le laudateur. Il fuit le scandale davantage qu’il n’incline à la réparation résolue des erreurs et fautes de sa cour ». Qui dit mieux ? Qui ne rêverait pas de voir son pays dirigé par une telle personnalité ! Et ici, rappelons-le, la description n’est pas d’un thuriféraire, mais d’un opposant farouche. Et je n’ai qu’un regret !

Que notre aliénation à un certain modèle occidental nous fasse penser que la limitation des mandats est le summum de la démocratie, alors qu’il n’en est rien ! Le peuple a le droit de plébisciter autant qu’il le désire, celui qui le dirige bien, comme cela se passe dans les pays nordiques, les plus « démocratiques » d’Occident.

Le président Mohamed Ould Ghazouani, prend le pouvoir en 2019, en pleine crise du Covid19. Je penche à croire que ce bouleversement du monde a accentué l’orientation sociale de son action. Les secteurs sur lesquels il axe ses priorités sont la sécurité sociale pour tous – nous l’avons dit -, mais aussi l’accès à l’eau potable, à l’électricité, à l’éducation, au minimum vital pour tous les Mauritanien.

Sur un autre volet, pour le Sunday Times, Le président « a imposé le calme après des décennies de turbulences » et résultat de ce succès, « le monde a besoin de la Mauritanie ». Et le monde entier afflue vers la Mauritanie de Mohamed Ould Ghazouani : la France, l’Union européenne, l’OTAN, la Chine, la Russie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar et la Turquie. Si bien que, poursuit le journal, l’année dernière, le magazine américain Foreign Policy titrait : « Pourquoi tout le monde courtise la Mauritanie ».

Le 1er août, je me trouvais dans la foule immense qui affluait vers le tout nouveau palais des congrès de Nouakchott, sur cette autoroute rectiligne de trente kilomètres qui conduit à l’Aéroport, lui aussi flambant neuf.

Bordée de belles agglomérations flambant neuves… Derrière nous, la capitale méconnaissable de progrès rapide avec son urbanisme à l’américaine en damier, ses larges avenues… le peuple de ce temple profane, inondait les portiques autant pour acclamer son élu que pour réserver un bon accueil à ces têtes couronnées qui s’étaient données rendez-vous ici. Dans un discours sobre et percutant, l’homme dédiait le nouveau mandat à la jeunesse. Le lendemain, il nommait un jeune premier ministre quadragénaire.

Nous avons vu le bout du petit maton de la parturition mauritanienne. L’hirondelle qui en est sortie s’envole allègre vers le grand soir. Voici venu le temps des vœux pour ce peuple frère. Nous n’entendrons plus ni les cris ni les rires. Nous pouvons prophétiser la ville belle car ce peuple est indubitablement armé de la foi sauvage du sorcier des sables, avec sa puissance de modeler son futur.

À propos de l’auteur

Gaston Kelman est l’auteur en 2003 de l’essai “Je suis noir et je n’aime pas le manioc”, dans lequel il dénonce certains préjugés envers les Noirs. Son livre “Les hirondelles du printemps africain” publié en 2007 est une sorte d’anticipation sur les bouleversements politiques et économiques qui traversent le continent en ce moment.

Par Gaston Kelman*



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Commentaires (4)

  • bilbassy (H) 09/08/2024 12:15 X

    Diffficicile de justifier son gagne pain, le retour des opportunistes..

  • abatcha (H) 08/08/2024 18:04 X

    Que du n'importe quoi. En retour, qu'est-ce que le gouvernement de Gazo t'a récompensé pour poster ce texte par procuration :-). Je ne suis pas étonné venant de toi, tu veux ressurgir après tant d'années de disette.

  • bndiaye (H) 08/08/2024 11:41 X

    Ne voilà-t-il pas que notre (non) amateur de manioc nous revient-- pour qu'on lui rît au nez une fois de plus--abondamment ! Pas le temps de lui "conter" la (vraie) Mauritanie qu'il continue d'ignorer si pitoyablement, et d’idéaliser celle en trompe-l’œil. Clairement, il n'a pas séjourné à Basra ou dans les quartiers similaires pour affirmer que l'eau et l'électricité coulent à flot. Ne parlons de ses autres affirmations dithyrambiques sur l'économie et le reste. Pas d’autre opposant à Ghazouani à citer ? Rappelons, en passant, que le coup d'état de Ould Taya a été concocté à l'Élysée, pas sous une tente. A l'image de son auteur, l'article est trompeur, il semble commencer si bien, et …flop. Aimé Césaire voudrait recouvrer la citation. Sa raison ? Usage factice. Que vive le Manioc!

  • patriote1978 (H) 08/08/2024 07:52 X

    Le nouveau François SOUDAN de Ghazouani . Malheureusement il est noir .Il va essayer par sa contribution,sa francophonie de nous effacer définitivement du pays de nos ancêtres comme le pouvoir beydanes et ses complices français. Ce monsieur ami et soutien politique de SARKOZY a le culot de nous parler de l’indifférence de Macron face au colonialisme et ses actions néfastes mais il oublie ou veut nous faire oublier la plus grande insulte que l’homme noir ait subit à travers son Mentor SARKOZY qui avait jugé que l’homme noir n’était pas entré dans l’histoire… De la même manière qu’il « oublie » ses accointances avec SARKOZY soutien infaillible d’Israel ,il oublie de nous parler de son Cameroun natal . En Mauritanie monsieur KELMAN il y’a des peuples (arabes,gratin ,pulsar ,soninke ,wolof) En Mauritanie nous sommes fiers de notre pays mais contrairement à ce que tu veux faire croire nous n’avons pas la seule langue arabe bien que nous sommes tous musulmans et chérissons cette langue . Nous revendiquons l’officialisation du pulaar ,du soninke ,du wolof . On comprend que vous n’en parlez pas …