11-05-2025 09:15 - Vente des écoles et bradage des hôpitaux : ankyloser le cerveau et gangrener le corps d’un peuple. Par Pr. ELY Mustapha

Vente des écoles et bradage des hôpitaux : ankyloser le cerveau et gangrener le corps d’un peuple. Par Pr. ELY Mustapha

Pr. ELY Mustapha -- Un citoyen, faible d’esprit, dans un corps affaibli est plus facile à soumettre.

Un peuple sous perfusion de misère : voilà le projet silencieux d’une oligarchie mauritanienne qui, depuis deux décennies, orchestre méthodiquement l’étiolement de l’esprit et du corps de ses citoyens. Après avoir saboté l’école publique – ankylosant les cerveaux par la privatisation mercantile –, le pouvoir s’attaque désormais aux hôpitaux, gangrénant les corps d’une population déjà exsangue.

Imaginez un pays où 58,4 % des habitants survivent dans une pauvreté multidimensionnelle, pendant que l’État brade écoles et hôpitaux au profit d’une caste militaro-économique. Un pays où 424 mères meurent pour 100 000 naissances, où 70 % des accouchements se font sans médecin, mais où le budget militaire dépasse 277 millions de dollars en 2025.

Sous couvert de « modernisation », une privatisation toxique se déploie : le Centre Hospitalier National (CHN) de Nouakchott, pilier théorique de la santé publique, est désormais contraint de financer 65 % de son budget sur le dos de patients dont 40 % vivent sous le seuil de pauvreté. Pendant ce temps, des écoles publiques vendues à des promoteurs immobiliers entre 2016 et 2018 ont privé 3 000 élèves de leur droit à l’éducation.

Cet article traite des mécanismes d’un hold-up systémique : corruption généralisée, détournement de fonds, opacité des marchés publics. Il expose aussi les alternatives ignorées pour sauver une santé publique agonisante.

Privatiser l’éducation, monétiser la souffrance : jusqu’où ira la logique de rente qui transforme des vies en marchandises ?

Un système de santé en déliquescence

La Mauritanie affiche des indicateurs sanitaires alarmants : taux de mortalité maternelle de 424 décès pour 100 000 naissances vivantes, mortalité néonatale à 22‰ et mortalité des moins de 5 ans à 41‰. Seuls 2,36 médecins sont disponibles pour 10 000 habitants, contre une moyenne mondiale de 17 et où 70 % des accouchements ont lieu sans personnel qualifié.

Les dépenses publiques en santé stagnent à 4,12 % du PIB, loin des 5,8 % recommandés par l’OMS. Seuls 40 % de la population bénéficient d’une protection sociale, tandis que 10 % des soins restent impayés. Les ménages supportent plus de la moitié des dépenses de santé, plongeant des familles dans la pauvreté.

En Mauritanie, où 58,4 % de la population vit en pauvreté multidimensionnelle (manque d’accès à l’éducation, à l’eau potable et aux soins), la Privatisation du CHN de Nouakchott est une menace pour l’accès aux soins dans un contexte de crise sociale. La privatisation risquerait d’exclure davantage les plus pauvres, alors que 40 % de la population dépend déjà de fonds publics pour les soins d’urgence

Après la vente des écoles, le bradage des hôpitaux

Après le bradage des écoles pour ankyloser les cerveaux, voici le bradage des hôpitaux pour gangrener les corps. Une gouvernance qui depuis 20 ans détruit l’éducation et qui, aujourd’hui, démantèle la santé . Réduire le peuple à une nation de bigots et de malades , par une gouvernance de l’ignorance et l’indigence. Un citoyen, à l’esprit faible dans un corps affaibli est plus facile à soumettre.

C’est ainsi que la privatisation déguisée des hôpitaux mauritaniens s’inscrit dans un continuum de dilapidation des biens publics initié sous Aziz. Elle enrichit une oligarchie militaro-économique, tandis que 60 % de la population renonce aux soins faute de moyens.

Aziz et le bradage éducatif : un précédent lucratif

Sous Mohamed Ould Abdel Aziz (2008-2019), six écoles publiques de Nouakchott ont été vendues à des promoteurs immobiliers entre 2016 et 2018, malgré l’opposition de la société civile.

La Commission d’enquête parlementaire de 2020 a révélé que ces établissements, situés dans des zones commerciales stratégiques, ont généré des « avantages financiers considérables » pour l’État, sans justification pédagogique. Cette logique mercantile a privé 3 000 élèves d’écoles publiques, transférant leur éducation vers des structures privées payantes.

Ghazouani et la privatisation sanitaire : une stratégie masquée

Le régime de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani poursuit cette dynamique dans le secteur santé.

• Autonomie financière toxique : Le CHN de Nouakchott, principal hôpital public, doit générer 60-65 % de son budget via des frais imposés aux patients, dont 40 % vivent sous le seuil de pauvreté.

• Détournement des fonds publics : Seuls 14,66 % du budget santé 2022-2025 sont alloués à la couverture maladie universelle, contre 11,86 milliards MRU (277 millions USD) pour l’armée en 2025.

Circuits opaques et bénéficiaires cachés

1. L’État : Économise 70 % des coûts de fonctionnement des hôpitaux via l’«autonomie » forcée, tout en captant 10 % du budget national via des « fonds spéciaux » non audités.

2. Soumissionnaires : Les contrats de construction des nouveaux hôpitaux (695 millions MRU) profitent à des entreprises proches du pouvoir, avec des surcoûts estimés à 30 % selon les standards régionaux.

3. Gestionnaires corrompus : 31 % des patients paient des pots-de-vin pour accéder aux soins, et 48 % des certificats d’indigence sont délivrés contre bakchich, alimentant un marché parallèle de 200 MRU par dossier.

4. Intermédiaires des marchés publics : Les « sous-fifres » des appels d’offres perçoivent 5 à 10 % des contrats sanitaires.

Priorités budgétaires contestables

En 2025, le budget militaire s’élève à 11,86 milliards MRU (277,2 millions USD), soit 2,7 % du PIB. Dans le même temps, les investissements publics en santé restent marginaux : seuls 14,66 % du budget 2022-2025 sont alloués à la couverture maladie universelle. Les "fonds spéciaux" et comptes d’affectation opaques absorbent 10 % des crédits publics, sans transparence sur leur utilisation.

Une gouvernance mercantiliste


Alors que 74 % des Mauritaniens jugent insuffisants les efforts gouvernementaux en santé2, l’État privilégie des projets d’infrastructures coûteux (transports, énergie) au détriment des hôpitaux. Le CHN, théoriquement "autonome", dépend de recettes propres issues de patients déjà précaires, transformant l’accès aux soins en marché lucratif plutôt qu’en droit fondamental.

Une Santé publique viable : alternatives ignores

1. Augmenter le budget santé à 5,8 % du PIB (recommandation OMS), ce qui libérerait 58 milliards MRU annuels supplémentaires.

2. Lutter contre la corruption via des audits indépendants, en s’inspirant du modèle marocain ayant réduit de 40 % les pots-de-vin dans les hôpitaux entre 2011 et 2023.

3. Restructurer la dette hospitalière : Le CHN accumule 10 % de créances impayées, mais une mutualisation des risques avec des assurances publiques couvrant 80 % des coûts (comme au Sénégal) sauverait 15 000 patients annuels.

4. Optimiser les partenariats internationaux : Le projet de télémédecine financé à 432 500 USD par la Suisse et l’UIT montre que des solutions low-cost existent pour désengorger les hôpitaux.

2. Modèles alternatifs pour une santé publique viable

a. Réinvestir dans le service public

Exemple du Sénégal :

• Mise en place d’une Couverture Maladie Universelle (CMU) financée par l’État et les collectivités locales.

• Résultat : 80 % des citoyens bénéficient d’une prise en charge partielle ou totale des soins de base (source : Ministère de la Santé du Sénégal, 2022).

• La mutualisation des risques permet de réduire la part des dépenses de santé supportée par les ménages (moins de 30 % contre plus de 50 % en Mauritanie).

b. Lutte contre la corruption et promotion de la transparence

Exemple du Maroc :

• Création d’une Agence nationale de lutte contre la corruption, audits systématiques et publication des résultats.

• Entre 2011 et 2023, le taux de corruption dans les hôpitaux publics a baissé de 40 %

c. Gestion participative et contrôle citoyen

• Impliquer la société civile et les syndicats de santé dans la gestion des hôpitaux.

• Instaurer des conseils d’administration avec des représentants des usagers, comme en Tunisie, pour surveiller les budgets et la qualité des soins.

d. Optimisation des ressources et innovations

• Développer la télémédecine et les partenariats internationaux pour désengorger les grands centres hospitaliers (projet pilote mauritanien avec la Suisse et l’UIT, 2023).

• Rationaliser les achats de médicaments via des centrales d’achat publiques, limitant les marges et les détournements.

La privatisation rampante des hôpitaux en Mauritanie n’est ni une fatalité ni une solution. Elle répond à une logique de court terme, profitant à une minorité bien placée, au détriment de la santé publique et de la cohésion sociale.

Les hôpitaux en ruine et les écoles fantômes ne sont pas des fatalités : ce sont les symptômes d’une gouvernance qui préfère vendre l’avenir de sa jeunesse plutôt que de renoncer à ses privilèges. Face à ce hold-up généralisé, une question s’impose : jusqu’à quand un peuple résigné acceptera-t-il d’être à la fois patient, victime et financeur de sa propre asphyxie ?

L’éducation n’est pas un business, la santé n’est pas un luxe – leur marchandisation signe l’acte de décès d’une nation. Mais en cette agonie programmée réside aussi l’étincelle du sursaut : car aucun peuple ne se laisse mourir sans combat quand il prend conscience qu’on ne privatise pas sa dignité.

Pr ELY Mustapha



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