14-07-2012 01:10 - Un photographe français souligne les confluences et contradictions de Peuls du Nord
‘’Fulbé Fuuta Tooro’’, l’exposition du photographe français Antoine Jomand met en exergue avec maîtrise les confluences culturelles des peuples peuls des deux côtés du fleuve Sénégal, soulignant en creux les contradictions de la construction des nations modernes africaines, à la lumière de l’exode plus ou moins forcé de populations fuyant les conséquences du conflit qui a éclaté dans cette zone en 1989.
L’exposition qui se tient à l’Institut français de Dakar (ex-CCF), use des possibilités ultimes du récit photographique pour rendre hommage à ces populations, devenues des réfugiées avec le conflit sénégalo-mauritanien, alors même que les logiques ancestrales annulaient les frontières pour des populations souvent apparentées, bien que vivant de part et d’autre du fleuve, délimitation de la frontière entre les deux pays.
Les photographies, représentant cette exposition, témoignent naturellement de la vie dure de ces éleveurs du Nord-Ouest du Sénégal, à travers une série de portraits, dont onze spécimens ornant majestueusement le hall de l’Institut français de Dakar. Ces premières images donnent le ton d’une plongée dans des séquences temporelles troubles, témoignage du déshonneur subi par des populations réputées pour leur extrême fierté.
Des portraits grandeur nature s’imposent ainsi au visiteur, ainsi que des regards magnétiques et puissants captés par un art consommé de la photographie. Le génie de Jomand se mesure peut-être par cette capacité de partir d’un drame collectif, politique plutôt, pour mettre en exergue des récits de vie individualisés et mettre en scène des personnes qui émeuvent par la mésestime de soi à laquelle elles se trouvent réduites au quotidien.
Comme Mamadou Diallo ou Aba Bâ, des éleveurs ou agriculteurs rencontrés par le photographe ont dû tout laisser derrière eux, à la faveur d’un conflit qualifié d’ethnique, né d’une mésentente entre agriculteurs soninkés sénégalais et éleveurs mauritaniens, en 1989.
Résultat : 70.000 Sénégalais et 160.000 Mauritaniens rapatriés, 50.000 expulsés Peuls-Mauritaniens au Sénégal, selon certains chiffres. S’y ajoute des centaines de morts, et 23 ans plus tard, des expulsés vivant des situations précaires, au Sénégal notamment.
L’exposition évoque en filigrane des années de souffrances suivant les rides offertes par des visages qui n’évoquent pas seulement par l’âge, mais dénotent aussi de l’ardeur de ces hommes au travail. Même dépouillés de tous leurs biens, ils ne reculent pour la plupart devant rien pour subvenir aux besoins d’une progéniture nombreuse, jusqu’à une dizaine d’enfants parfois.
C’est le cas d’Aba Bâ, né en 1954 dans la région de Khadiji (Mauritanie), marié à deux femmes et père de dix-huit enfants. Dans son récit, cet éleveur revient sur les péripéties de sa fuite, de la Mauritanie au Sénégal, après que des Maures ont capturé son troupeau un an après le conflit.
‘’Les Maures ont capturé mon troupeau. Ils sont revenus le lendemain pour attacher tous les hommes qu’ils ont emmenés dans la brousse. J’ai pu m’enfuir avant qu’ils ne tuent dix-sept personnes. J’ai perdu ma famille avant de fuir pour le Sénégal’’, témoigne-t-il.
Mamadou Deh, lui, est né à Podor en 1961. Il est donc relativement jeune, mais son visage, tel que rendu, paraît beaucoup plus vieux que son âge. Ce berger polygame (deux femmes) et père de 11 enfants ne possède pas de bétail. ‘’Je travaille pour des propriétaires", dit-il, "mais la vie est tellement difficile ici...’’ La simplicité de son témoignage n’est pas sans intérêt, rapportés aux cas les plus critiques.
Né en Mauritanie il y a 58 ans, Amadou Sow a dû, lui, se marier avec la fille de son oncle, après avoir été refoulé de son propre pays. Uni aujourd’hui à quatre femmes, il ne connait pas le nombre de ses enfants, mais se souvient en revanche parfaitement du jour où il a été embarqué dans un camion avant de s’enfuir pour se réfugier au Sénégal.
‘’Le quartier accueille des gens en détresse et des réfugiés, mais il n’y a rien pour nous ici. C’est trop difficile’’, se plaint Mamadou Diallo, né à Matam et père de treize enfants.
Alassane Sow, trois femmes et 29 enfants, présente un autre cas de figure. Sa fille Aissata raconte comment son père a failli devenir fou après avoir tout perdu. Parti en 1985 en Mauritanie pour chercher du travail, il sera attaqué par des Maures, selon le témoignage de sa fille.
‘’Ma famille a été décimée, nous avons perdu tous nos animaux et la maison a été pillée. Mon père doit aller aujourd’hui en justice pour des vaches qu’il n’a, soit disant, jamais payées. Il a perdu d’avance car, ici, les peuls subissent une discrimination permanente et la justice ne l’écoutera pas’’, raconte Aïssata.
Antoine Jomand, dans l’introduction de son exposition, explique qu'il a été amené à faire ce travail pour partager les témoignages de personnes qui lui ont fait part ‘’de la honte qu’ils ont d’eux-mêmes’’, relativement à ce qui leur est arrivé avec ce conflit. ‘’Je me devais de faire voyager leurs récits pour qu’ils puissent s’exprimer et témoigner de ce qu’ils désiraient partager’’, a-t-il dit.
Des témoignages d’autant plus importants, selon le photographe, que ‘’ce peuple est souvent rabaissé, inconsidéré ou même paradoxalement envié pour son bétail qu’il élève’’.
Passionné de photographie depuis plus de 15 ans, Antoine Jomand a mené des études de lutte contre la pauvreté via l’élevage et le maraîchage dans la vallée du fleuve Sénégal, dans la région de Matam plus précisément.
MF/BK/DND