12-06-2013 01:29 - Abrogation de la sous-traitance : Le tâcheronnat ne changera-t-il pas de visage tout en conservant ses habits ?
L’adoption par le Parlement du projet de loi portant Code du travail abrogeant le système du tâcheronnat a été salué par l’ensemble des journaliers du pays, notamment ceux travaillant dans le domaine minier, pétrolier et dans les BTP.
Les modifications apportées à la Loi 2004-017 du 6 juillet 2004 portant Code du Travail, notamment les articles 144 du Chapitre II jusqu’à l’article 152 portant Obligations de l’Entrepreneur principal permettront selon le gouvernement d’offrir à tous les travailleurs des meilleures conditions de travail et de rémunération tout en mettant fin au système d’exploitation sauvage jusque-là en vigueur.
En maintenant cependant les futures relations de travail dans le cadre d’entreprises formelles, le tâcheronnat traditionnel ne risque-t-il pas cependant de changer de visage tout en conservant ses habits ?
La crainte reste de rigueur, pour les syndicats de travailleurs qui restent conscients de la difficulté à priver les puissants lobbies du tâcheronnat d’un gagne-confort dont ils ne peuvent plus se passer.Les députés de l’Assemblée Nationale ont approuvé jeudi 6 juin 2013, le projet de loi 222/13 portant modification de certaines dispositions de la Loi 2004-017 du 6 juillet 2004 portant Code du Travail, notamment le système du tâcheronnat.
Les députés ont été unanimes à reconnaître l’intérêt d’un tel projet de loi qui permettra, selon le mot de la ministre de la Fonction Publique et de la Modernisation de l’Administration, Mme Maty Mint Hamady, de mettre fin à la souffrance des travailleurs journaliers.
Elle considère que ces franges sont restées longtemps sous le joug d’une exploitation perpétrée par certains intermédiaires qui ramassaient des fortunes sur leur dos en ne leur accordant qu’une portion congrue de leurs salaires, sans leur accorder les moindres droits ou garanties. Elle dira que le gouvernement est déterminé à traduire cette interdiction sur le terrain, à travers la mise en place d’un comité ministériel chargé d’appliquer les nouvelles dispositions.
Les modifications apportées ne mettent pas cependant fin au système de la sous-traitance. Celle-ci sera maintenue mais dans un cadre institutionnel et structurel plus strict. Seules des entreprises réellement constituées et spécialisées, avec siège et administration, bénéficieront selon la nouvelle législation, de contrats de sous-traitance.
Ceux qui se faisaient appeler « journaliers » deviendront des travailleurs sous CDD (contrat à durée déterminée), avec prise en charge à la caisse nationale de sécurité sociale, droit à l’assurance, à la couverture médicale, salaires et avantages au même niveau que les autres travailleurs.
Pour les députés de la majorité, l’adoption d’un tel projet de loi qui met fin au système traditionnel du tâcheronnat entre dans le cadre d’un certain nombre de mesures prises dans l’intérêt des travailleurs, comme l’augmentation récente des salaires, la suppression de l’ITS, le relèvement du SMIG.
Les précurseurs
La Société nationale industrielle et minière (SNIM) a été pionnière en matière d’amélioration des conditions de travail des journaliers. En 2010, conformément à la décision des autorités d’assainir la situation des travailleurs de la sous-traitance, la SNIM a été en effet la première entreprise mauritanienne à avoir pris des mesures pour la mise en œuvre du processus de régularisation des travailleurs journaliers, et cela à travers trois axes.
Fruit d’une concertation entre les pouvoirs publics, les syndicats professionnels et les employeurs sous-traitant, l’engagement de la SNIM dans un tel processus s’était traduit par la mise en place de cycles de formation, de recrutement des personnels qualifiés exerçant des emplois permanents, la professionnalisation et la spécialisation des entreprises de la sous-traitance ainsi que l’amélioration des conditions des travailleurs journaliers.
Ainsi, 171 agents journaliers ont été recrutés après des tests d’aptitude professionnelle, et 511 travailleurs ayant échoué aux tests, ont bénéficié d’un cycle de formation de perfectionnement dans les centres de formation de la SNIM pour se préparer aux prochains examens professionnels. La SNIM compte ainsi poursuivre ses tests de formation, qui ont déjà touché 80% des journaliers, jusqu’à l’assainissement définit de la situation. Depuis 2010, la SNIM avait arrêté le recours à la sous-traitance pour les emplois qualifiés permanents.
Ainsi, les dernières modifications apportées dans le Code du Travail ne feraient que reprendre en partie les clauses que la SNIM s’est déjà fait sienne dans ses rapports avec les sous-traitant, à qui elle impose désormais des critères, dont entre autres, celui de disposer d’un siège social et d’un personnel d’encadrement permanent, d’être en conformité avec le Code du commerce, avec le fisc, la sécurité sociale, de disposer de moyens de transport du personnel et de l’outillage individuel de protection et de sécurité.
Le tâcheronnat, une menace sociale
La persistance du tâcheronnat, codifié dans les articles 144 (définition), 145 (validité du contrat de tâcheronnat), 146 (forme du contrat), 147 (principe), 148 (interdiction), 150 à 152, Obligations de l’entrepreneur principal, a toujours été source de tensions sociales en Mauritanie. A Zouerate et à Nouadhibou, les débrayages et les grèves des journaliers, avaient atteint leur summum le 28 mai 2013 avec l’incendie des locaux de la Wilaya et de la station de Radio Mauritanie.
En 2012, lors de la grève des journaliers miniers de la MCM, un mort a été déploré lors des affrontements avec les forces de l’ordre. Certains journaliers ont même initié des marches, certains de Nouadhibou, d’autres de Zouerate, pour relier Nouakchott, où ils ont été reçus par le président de la République, avant de se retrouver pour d’aucuns, licenciés de leur travail à la fin des audiences. Pendant ce temps, les centrales syndicales multipliaient les protestations pour demander l’interdiction du tâcheronnat
Sur le plan international, le phénomène des journaliers avait même terni l’image de la Mauritanie, épinglé souvent par les organisations internationales des droits de l’homme. En mars 2013, l’organisation Sherpa de défense des victimes de crimes économiques avait publié un rapport critique sur le pays sous le titre : « Corruption en Mauritanie : au-delà des mots, une réalité préoccupante ».
L’organisation y dénonçait la « captation de la croissance par une poignée d’individus proches des cercles du pouvoir qui contrôlent, l’essentiel de la vie économique du pays. Comme exemple, Sherpa avait cité les marchés de sous-traitance, notamment dans le domaine minier.
En mettant réellement fin au système sauvage de sous-traitance tel que pratiqué jusque-là , l’Etat mauritanien désamorce une source réelle d’explosion sociale en Mauritanie, tout en redorant son blason sur le plan des droits de l’homme, aussi bien au niveau national qu’international.
Cependant, certains observateurs restent prudents, car la différence entre la loi et la pratique en Mauritanie a toujours été aussi vaste que l’espace qui sépare la terre et le ciel. Les dispositions juridiques sont une chose et la réalité une autre. D’aucuns craignent que les tâcherons ne s’adaptent au nouveau contexte pour se parer des paillettes de la nouvelle loi, tout en poursuivant in fine les pratiques qui sont les siens. Le chômage ayant atteint des niveaux records, il n’est pas exclu que des désespérés les aident à poursuivre leur exploitation, avec la complicité des autorités chargées de les contrôler.
Cheikh Aïdara.
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