22-12-2014 00:00 - Question et guerre du Sahara mauritanien (suite)
Le Calame - (Suite des publications de documents diplomatiques français, Voir Le Calame des 14 & 28 Décembre 2010 – 4 & 25 Janvier, 8 & 22 Février 2011 – 22 Juillet, 12 Août & 14.28 Octobre & 3 Décembre 2014)
Question du Sahara ou question du Maroc ?
La guerre pour le Sahara mauritanien n’a eu lieu que par un déplacement, en quelques mois, de lignes qui étaient intangibles depuis la décolonisation française.
Déplacement en fait du centre du jeu. De 1956 à 1969, c’est le Maroc est diplomatiquement et stratégiquement ce centre puisqu’il revendique tous azimuts ce que la colonisation lui a censément enlevé : l’ouest algértien depuis Oran, Tindouf au Sahara proprement dit, les divers territoires espagnols des présides à Ifni et au Rio de Oro ainsi que la Seguiet-el-Hamra, enfin la Mauritanie.
Le début des conversations faisant renoncer à Rabat toute rectification des frontières qui datent de l’Algérie française d’une part et la reconnaissance de la République Islamique de Mauritanie d’autre part devaient être compensées par les mains libres et même soutenues vis-à -vis de l’Espagne.
Celle-ci devient alors le nouveau centre du jeu diplomatique et stratégique tandis que les trois pays riverains ou « intéressés » font cause commune. L’accord de Madrid fait de la Mauritanie le centre d’un jeu qui n’est plus à quatre mais à trois.
Le peuple sahraoui n’est ni en 1969 ni en 1975 ni sans doute aujourd’hui partie à ce jeu malgré l’apparence des reconnaissances internationales et les épisodes dramatiques dont aucun ne lui procure un territoire en propre. La Mauritanie et ce peuple sahraoui, partie d’elle-même, seront les spoliés.
L’Algérie en est bien moins responsable que les militaires mauritaniens. Renversant le régime fondateur et empêchant jusqu’à présent la maturité démocratique et civique, les putschistes à répétition ont privé aussi leur pays des fruits d’une diplomatie exceptionnelle et de la séduction, elle aussi exceptionnelle, de Moktar Ould Daddah : l’exploitation à 50/50 des ressources minières et halieutiques de l’ancienne possession espagnole, une configuration sécurisée du nord-ouest.
Le jeu à quatre est ici décrit avant que ne changent les alliances, les antagonismes etles dialectique l’ayant déterminé une quinzaine d’années, longues années puisque les premières de l’indépendance pour chacun.
Bertrand Fessard de Foucault - Ould Kaïge
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Diffusion restreinte. 974
Maroc – Activités du miniustère de la Mauritanie et du Sahara
(déb.mai 68)
B/2
Certains hauts fonctionnaires du ministère de la Mauritanie et du Sahara se plaignent de l’inactivité quasi-totale de leurs services, inactivité qui, d’après eux, toucherait le ministère tout entier.
La cause de cette léthargie serait double :
- d’une part, il n’y aurait aucun programme d’action établi pour la « libération » des régions en litige. La politique royale est sur ce plan extrêmement versatile, oscillant selon l’évolution des rapports entre le Maroc et l’Espagne. Les déclarations d’intention périodiquement publiées à ce sujet ne sont destinées qu’à l’usage interne et ne trouvent aucune répercussion à l’échelon du ministère ;
- d’autre part, les velléités d’action sont paralysées à la base par le manque de crédits. Le budget du ministère est relativement important, mais la plus grande partie des fonds est utilisée à des fins personnelles par le ministre lui-même (très amateur de mobilier ancien…)
Finalement, l’activité de ce ministère se réduit à l’attribution d’un petit nombre de bourses d’études à des fils de personnalités de la zone contestée, au financement du journal « Notre Sahara » et à l’entretien de quelques émissaires chargés de la propagande auprès des notables et des intellectuels sympathisants des régions frontalières. Le responsable de ces derniers serait un Ma El Ainin, âge d’une quarantaine d’années.
Cette propagande ne viserait que le maintien et le développement des liens sentimentaux avec le Maroc, elle n’encouragerait aucunement un éventuel recours à la violence pour la libération des « territoires spoliés » (elle n’en a d’ailleurs pas les moyens financiers).
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Dépêche N° 5/AP du 6 Janvier 1969 – Rabat –
A/S des relations algéro-marocaines
Il est enfin, une question qui paraît tenir dans les préoccupations marocaines une place de plus en plus grande. C’est celle du Sahara Espagnol.
Rabat avait accepté de mettre une sourdine à ses revendications sur ce territoire en vue d’accélérer le retour d’Ifni à la mère-patrie. Un accord sur la restitution de l’enclave a été signé le 4 janvier. A dater de ce jour, le problème du Rio de Oro se pose en termes nouveaux.
Après avoir vu s’évanouir son rêve mauritanien, et au moment où il s’apprête peut-être à mettre un terme à ses revendications sur le territoire algérien, le Maroc peut difficilement admettre que le Sahara Espagnol lui échappe à son tour.
En continuant de se présenter devant les instances internationales comme « partie intéressée » à l’avenir de ce territoire, l’Algérie fait échec aux visées marocaines. Le Maroc s’est efforcé à plusieurs reprises d’engager sur ce point des négociations avec le gouvernement du Colonel Boumedienne.
En janvier dernier notamment, le Commandant de la région militaire d’Oran avait indiqué à notre Ambassasdeur à Alger que son pays ne soutiendrait plus les revendications de la Mauritanie sur le Rio de Oro, mais appuierait le point de vue marocain à condition que Rabat accepte de renoncer à sa prétention de réviser les frontières. Des indications recueillies ici un peu plus tard, tant de source marocaine que de source algérienne, ont confirmé l’existence d’un début de « marchandage » sur ce point.
A la veille des entretiens qui s’ouvriront à Rabat le 12 janvier, les préoccupations du roi paraissent finalement être de trois ordres : établir avec l’Algérie un modus vivendi susceptible d’assurer au Maroc la sécurité intérieure et extérieure ; accélérer ensuite le développement économique de son pays avec le concours d’un voisin dont le potentiel est supérieur au sien ; enfin, et à plus long terme, ménager l’expansion du Maroc vers une région dont l’accès lui est fermé du fait de l’entente actuelle entre Alger et Nouakchott.
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Les Etats-Unis, à en juger du moins par les réactions de leur Ambassade à Rabat, paraissent quelque peu pris de court par les initiatives de Hassan II. Il leur faudra choisir entre des impératifs contraires, sinon contradictoires.
D’une part, ils considèrent que le Maroc fait partie de la zone de défense de l’Occident et, à ce titre, pourrait éventuellement constituer une tête de pont dont l’intérêt est souligné par le développement soviétique en Méditerranée et la création récente d’un nouveau commandement de l’O.T.A.N. dans cette région. Ils pourraient, par conséquent, être tentés de prendre des gages au Maroc en vue d’y contrecarrer l’action soviétique.
A l’inverse, Washington a évité, jusqu’à présent, de jouer Rabat contre Alger et a toujours pris soin de doser soigeusement son aide militaire au Maroc. Nos collègues de l’Ambassade des Etats-Unis rappellent également que leur pays a toujours été favorable à la formation de grands ensembles géo-politiques en Afrique et constatent qu’un rapprochement algéro-marocain pourrait faciliter l’unification maghrébine. La constitution du Grand Maghreb avec la participation du Maroc, de la Tunisie et de la Libye, pourrait permettre, pensent-ils, aux Etats-Unis, d’améliorer leur position à Alger.
Les perspectives qui s’ouvriraient à cet égard détermineront vraisemblablement l’attitude des Etats-Unis.
Quant à l’Espagne, elle ne peut que s’inquiéter des initiatives marocaines. Jusici en effet, Madrid avait constamment joué de la rivalité des trois pays riverains du Sahara Espagnol pour y consolider son influence. La diplomatie espagnole avait réussi dans les instances internationales à dissocier de celle d’Ifni la question de ce territoire ; elle y était parvenue grâce à l’appui des gouvernements algérien et mauritanien dont les représentants à l’O.N.U. avaient vigoureusement combattu les thèses marocaines.
Un renversement des alliances maghrébines porterait un coup à la stratégie politique espagnole. En outre, on est en droit de craindre à Madrid que par suite d’un abandon des revendications territoriales du Maroc sur l’Algérie, la question du Sahara espagnol ne polarise l’irrédentisme marocain.
Les dirigeants espagnols ont d’ailleurs fait preuve, depuis quelques semaines, d’un empressement inhabituel pour régler l’affaire d’Ifni. La signature, le 4 janvier, d’un accord sur la restitution de l’enclave montre que l’Espagne désire avant tout ne donner au Maroc, dans les circonstances actuelles, aucun argument susceptible d’être retourné contre elle dans la question du Sahara espagnol.
Il n’est donc pas exclu qu’en cas de succès des pourparlers algéro-marocains, Madrid cherche à faire obstacle à la politique d’Hassan II.
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Ministère des Affaires Etrangères
Direction des Affaires Politiques – Afrique du nord –
Confidentiel
8 Janvier 1969
A/S. – Sahara espagnol
Au cours de la dernière session de l’Assemblée Générale des Nations-Unies, le Maroc a posé une nouvelle fois le problème de la dévolution des territoires sahariens occupés par l’Espagne.
Cette offensive diplomatique qui paraît avoir fait l’objet d’une longue mise au point, s’est développée en deux temps.
Devant la précédente Assemblée Générale, le Ministre marocain des Affaires Etrangères avait exposé la position de principe du Maroc. Prenant argument de la promesse de l’Espagne de conduire les territoires de la Seguiet el Hamra et du Rio de Oro à leur autodétermination, le représentant du Maroc avait souligné que « la libre expression des populations » ne pourrait être obtenue que si « préalablement » étaient réalisées certaines conditions : le retrait de l’administration et des troupes espagnoles, le retour des « réfugiés » originaires de ces territoires. Quant au territoire d’Ifni, le Ministre marocain avait demandé son retour pur et simple sous la souveraineté du Maroc.
Cette offensive a été reprise cette année devant le Comité de tutelle. Le représentant marocain s’est attaché à maintenir un parallèle entre le cas d’Ifni et celui du Sahara espagnol. En ce qui concerne Ifni, l’Espagne était invitée « à arrêter avec le Maroc les modalités de transfert des pouvoirs ».
En fait, les négociatioons entre les deux pays étaient engagées depuis longtemps. Le 4 Janvier dernier, elles ont abouti à un accord signé à Fès entre le Ministre marocain des Affaires Etrangères et l’Ambassadeur d’Espagne.
La minuscule enclave d’Ifni (1.500 kms²), occupée du reste depuis 1958 par des forces marocaines à l’exception de la « capitale », Sidi Ifni, ne présentait pas pour Madrid d’intérêt majeur et la longueur des négociations (qui ont porté notamment sur les conditions du maintien des privilèges de pêche côtière) s’expliquent plus par leur valeur de précédent que par l’intérêt économique ou stratégique d’un territoire qui était déjà occupé à 90% par les Marocains.
Le problème du Sahara espagnol est d’une autre ampleur. D’une superficie égale à la moitié de l’Espagne (266.800 kms²) avec une population sédentaire de 23.000 habitants (dont 5.000 européens) et de grandes tribus nomades (Tekna, R’Guibat et Maures), le Sahara espagnol possède au Sud-Est d’El Aïoun, dans la région de Bou Craa, des gisements de phosphates à fleur de terre qui s’étendent sur 1.200 kms². Il n’est pas exclu que le sous-sol saharien, encore mal connu, contienne d’autres richesses (fer, pétrole).
Ces ressources suscitent d’ardentes convoitises. Le Maroc, pour sa part, a constamment revendiqué le Sahara Espagnol. Devant la Commission de Tutelle, il a tenté de barrer la route aux postulants à la succession de l’Espagne. En vain, la Mauritanie ayant fait reconnaître l’intérêt qu’elle portait à ce territoire.
La résolution acceptée invite « la puissance administrante à arrêter le plus tôt possible, en conformité avec les aspirations de la population autochtone du Sahara espagnol et en consultation avec les gouvernements marocain et mauritanien et toute autre partie intéressée les modalités de l’organisation d’un referendum » sur l’autodétermination. La résolution stipule également qu’une mission spéciale de l’ONU aura pour tâche de veiller à l’application de ces dispositions.
Si ce texte apporte certaines satisfactions à la représentation marocaine dans la mesure où il engage plus avant l’Espagne dans un processus de consultation des populations dont Rabat espère une fin conforme à ses vœux, la reconnaissance de l’intérêt spécial de la Mauritanie et plus encore la mention de « toute autre partie intéressée » – qui vise en réalité l’Algérie – constituent des entraves sérieuses à ses ambitions. Cette résolution matérialise en fait l’intérêt nouveau de l’Algérie pour un territoire qui constitue à la fois un accès à la mer pour les ressources du Sud-Ouest algérien (fer de Gara Djebilet) et contrarie les ambitions territoriales du Maroc en direction du sud.
Le représentant de l’Algérie à la Commission de Tutelle a souligné « les liens historiques et géographiques incontestables de son pays avec le Seguiet el Hamra et le Rio de Oro », et seule l’intervention de la Tunisie a permis d’aboutir à un texte de compromis et d’éviter que les convoitises territoriales des trois pays intéressés n’apparaissent au grand jour.
L’Espagne voit sans doute sans déplaisir se développer les ambitions des divers Etats – qui tendent à s’annuler réciproquement – sur ses territoires. Elle paraît tenir pour acquis que les populations du Sahara espagnol se prononceront pour un statut qui lui permettra d’assurer sa présence. Les richesses en phosphates constituent un puissant stimulant.
La construction d’un port en eau profonde, la mise à l’étude d’un moyen de transport lourd entre le gisement et les points d’embarquement, la constitution prochaine d’une société d’exploitation, paraissent traduire les certitudes de l’Espagne quant à l’avenir. La présence de 10.000 hommes de troupe bien équipés – chiffre important par rapport aux populations de ce territoire – constitue, en outre, une garantie militaire, tandis que l’immigration espagnole dans ce territoire est encouragée.
Rivaux quant à la succession, les trois Etats africains pourraient cependant ne plus l’être quant à la nécessité de son ouverture. La prochaine rencontre (10 janvier) du Roi Hassan II et du Président Boumedienne où sera abordé le problème des frontières entre lex deux pays sans qu’apparaissent des possibilités sérieuses de solution, aurait plus de chance d’aboutir à un accord tacite sur le dépeçage d’un territoire étranger.
A cet égard, on relèvera avec intérêt le voyage à Nouakchott, signalé par notre Ambassade, d’un représentant personnel de M. Boumedienne, qui permet de penser que le point de vue mauritanien pourra également être évoqué au cours de ces débats.
Quoi qu’il en soit, l’avenir du Sahara espagnol paraît incertain.
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En ce qui nous concerne notre position politique a toujours été réservée. L’aide efficace que nos troupes ont apportée au commandement espagnol de novembre 1957 à mars 1958 pour réduire les dissidents des grandes tribus nomades du Sahara espagnol s’inscrivait à l’époque dans les préoccupations de sécurité des territoires qui dépendaient de la souveraineté française. Depuis l’indépendance de la Mauritanie puis de l’Algérie, nous avons toujours marqué notre neutralité dans cette affaire.
Sur le plan économique, cependant, un groupe français – la Cofimer – cherche à s’assurer une participation dans l’exploitation des gisements de phosphates d’El Aïoun. Compte tenu des aléas politiques et de nos liens avec les parties intéressées à ce territoire, cette prise de participation paraissait aventurée.
Cependant la société d’exploitation devait comporter 30% de capitaux américains, et il pouvait être souhaitable, en fonction de la part prépondérante des sociétés américaines de phosphates mondiale, d’avoir un droit de regard qui pourrait s’exercer auprès de nos associés, notamment du Maroc qui est l’un des principaux fournisseurs.
Mais les conditions générales de cette action ont changé. A l’occasion de son voyage aux Etats-Unis, le Roi du Maroc a mis en garde les sociétés américaines qui s’intéressaient aux gisements espagnols de phosphates, tandis que le Département d’Etat soulignait à l’intention de ces sociétés qu’elles ne pourraient obtenir « ni prêts s’agissant d’investissements dans un territoire contesté ». Ces avertissements paraissent avoir été entendus. Ainsi tour à tour, les huits sociétés américaines qui étaient en constitution, semblent avoir abandonné leur projet.
En conséquence, le groupe français paraît envisager de porter sa participation à 30%. Sans se prononcer sur l’intérêt d’une opération économique privée, il convient de relever que, si elle devenait définitive et publique, cette-ci aurait des répercussions sur l’ensemble de nos intérêts au Marocn et notamment l’Office Chérifien des Phosphates, organisme public que nous avons créé et qui cherche à poursuivre son développement avec des capitaux français d’origine publique et privée.
S’il apparaissait, en définitive, nécessaire d’encourager le groupe Cofimer dans ses entreprises, il conviendrait que tous les éléments de la situation soient évalués que la décision tienne compte des conséquences politiques et économiques de cette action. /.
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Ambassade de France au Maroc
Rabat, le 14 Avril 1969
N° 179/AP
a/s – Interview du Général Garcia Valino concernant l’avenir du Rio de Oro
Le Général Garcia Valino, qui a occupé de 1951 à 1957 les fonctions de Résident Général et de Haut-Commissaire d’Espagne dans la zone Nord du Maroc, a effectué ici un voyage privé dans les premiers jours de ce mois. Selon des indications puisées à bonne source, il a sollicité du Roi une audience qui ne lui pas été accordée, prétexte étant pris des obligations qu’entraînait, pour le Souverain, la présence de M. Podgorny.
Totalement ignorée des milieux officiels marocains, la visite du Général Valino a été, en revanche, montée en épingle par l’Istiqlal. M. Allal El Fassi a donné, en son honneur, une réception à laquelle avaient été conviés de nombreux dignitaires du Parti. Les journaux de l’Istiqlal qui firent une grande place à cet événement mondain, ne trouvèrent pas assez de mots pour vanter en l’ancien résident général l’homme qui avait eu « la sagesse et la perspicacité de croire à l’évolution irrésistible de l’histoire » et qui n’avait pas hésité, à l’époque, « à soutenir le parti nationaliste » !
Couvert de louanges et de présents – un poignard en argent pour lui et un tapis marocain pour son épouse – le Général Garcia Valino a-t-il succombé aux charmes d’une hospitalité trop chaleureuse ? Le fait est qu’il devait se laisser aller, le 7 Avril, à tenir des propos sans doute agréables à ses hôtes mais pour le moins aventureux.
Dans une interview accordée à l’agence MAP, et dont le Département voudra bien trouver copie en annexe, il prenait le contrepied des thèses de Madrid sur le Sahara Espagnol, n’hésitant pas à dire « qu’à son avis le droit était du côté du Maroc », que « dans un premier temps, un accord économique devrait être signé entre Rabat et Madrid en vue de permettre l’exploitation des richesses de cette région, … la question de souveraineté devant être réglée par la suite en faveur du Maroc ».
Cette déclaration a provoqué une vive irritation à l’Ambassade d’Espagne à Rabat qui l’a généralement présentée comme surtout dictée par la vanité d’un homme déçu dans ses ambitions. Le décret publié le 11 avril au Bulletin Officiel espagnol, et par lequel le Général Garcia Valino était démis de sa charge d’Inspecteur Général de la Mobilisation et du Recrutement de l’Armée, est venu confirmer le jugement abrupt porté par nos collègues espagnols sur le compte de cet ancien compagnon du Général Franco.
Il n’en reste pas moins – et l’hebdomadaire « Al Kifah al-Watani » n’a pas manqué de le relever – qu’en proposant « la conclusion d’un accord économique entre Rabat et Madrid » à propos du Sahara Espagnol, le Général Garcia Valino pouvait donner à penser que son pays cherchait, par un biais, à faire confirmer ses droits sur ce territoire. Il semble évidemment hors de question pour Madrid d’envisager pareille éventualité jusqu’à présent, les offres marocaines de participation à l’exploitation des phosphates du Rio de Oro, pour autant que l’on sache, se sont heurtées au refus de l’Espagne.
En revanche, il ressort des propos tenus par certains membres de l’Ambassade d’Espagne que l’on n’exclut peut-être pas à Madrid la possibilité d’un accord économique hispano-marocain susceptible de donner à Ceuta et Melilla, sinon un statut, au moins un rôle nouveau. Visiblement inquiets des conséquences qui pourraient découler, pour l’avenir de leurs territoires sahariens, du rapprochement algéro-marocain, nos collègues espagnols, dans les conversations, ne manquent aucune occasion de « canaliser » ainsi, vers les Présides, les ambitions marocaines. /.
Jean Claude Winckler, chargé d’affaires de France a.i.
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Ambassade de France en Espagne Madrid, le 17 octobre 1969
Direction Afrique du Nord
N° 1.129/AN
A/s. – des phosphates du Sahara espagnol.-
La presse espagnole a repris récemment une information publiée par a revue « Africa » signalant que M. Albarez de Miranda, le nouveau Président du Conseil d’Administration de la Société FOSBUCRAA y avait accueilli deux nouveaux membres, d’origine sahartienne.
Il s’agit de M. Seila Ould Abeia, Président du Conseil Provincial et de l’Assemblée Générale du Sahara et M. Suilem Ould Abeld Lale, Alcade de Villa Cisneros. Dans leurs discours de remerciement, les deux notables sahariens ont exprimé leur attachement à l’Espagne et leur reconnaissance pour tout ce que faisait la Métropole en faveur du Sahara.
A l’occasion de la réception des intéressés, le Gouverneur militaire du Sahara, le Général José Perez de Lema a tenu certains propos qui méritent d’être cités. « L’entrée au Conseil d’Administration de MM. Seila et Suilem signifie qu’ils y représentent le peuple saharien.
A bref délai commencera l’exploitation de ces phosphates ce qui entrainera un changement radical dans le niveau de vie de la population. Notre Caudillo l’a déjà dit souvent, et il me l’a dit, pour que cela soit du dernier berger saharien, le bénéfice de toutes les richesses découvertes ou qui le seront, resteront ici ».
Cette tendance à la « sahariennisation » de l’exploitation des phosphates de Boukraa est à considérer dans une perspective politique, celle de la préparation des populations sahariennes à la consultation que les Nations Unies leur ont demandé d’organiser afin de déterminer l’avenir du Sahara espagnol.
Et ceci, au même titre que les attentions dont sont l’objet les délégations de notables sahariens invités à Madrid et reçus avec de grands égards aux Cortès. C’est le même souci de consolider les liens d’attachement entre l’Espagne et le Sahara créés à l’époque de sa colonisation.
Si l’on ne peut préjuger des intentions réelles de Madrid, tout se passe jusqu’à présent comme si la population des futurs électeurs sahariens était mise en condition de façon que l’avenir de leur territoire reste lié d’une certaine manière à celui de l’Espagne.
Ce qui explique assez bien que les Marocains puissent soupçonner Madrid d’organiser unilatéralement la future consultation du peuple saharien, sans souci des prétentions territoriales de Rabat et de la résolution des Nations-Unies recommandant à Madrid de consulter le Maroc et la Mauritanie. M. Castiella est apparemment peu pressé de décoloniser le Rio de Oro. Le Ministre espagnol a enduré trop de critiques à la suite des difficultés surgies à l’Indépendance de la Guinée espagnole.
L’implantation traditionnelle de l’Armée espagnole au Rio de Oro oblige aussi à des précautions. Enfin, d’un point de vue économique, il est probable que l’Espagne, s’il ne tenait qu’à elle, préfèrerait retarder la consultation à une date où le gisement des phosphates de Boukraa entrera en exploitation, c’est-à -dire à un moment où la restitution sur place des bénéfices promis pourrait contribuer à donner aux populations locales des raisons supplémentaires d’être peu partageux avec leurs voisins étrangers.
Reste à savoir si cette hypothèse résistera aux faits. Il n’est pas impossible que des difficultés techniques de l’exploitation ne retardent la mise en exploitation des phosphates sahariens. En dépit de la garantie de cinq ans donnée par Krupp, chargé de la construction de plus longue bande transporteuse du monde (94 kms), il est des techniciens qui se demandent si les moteurs électriques échelonnés qui la mettront en mouvement de Boukraa à la mer, résisteront au climat. Et si le port d’El Aïun est pratiquement achevé, l’adjudication de l’usine d’enrichissement des minerais ne serait pas encore faite.
Il est également des questions de financement qui se posent. La rumeur court à Madrid que des pourparlers auraient été engagés récemment entre l’EMINSA et un groupe américain dont l’identité n’a pu être précisée.
Cette information que je cite sous toute réserve, est en contradiction avec la position de retrait prise il y a plus de deux ans par la Grace Mining et l’International Mining Corporation, pressenties tout d’abord pour participer à l’exploitation des phosphates de Boukraa. Le recul de ces deux sociétés américaines pouvait s’expliquer par les incertitudes pesant sur l’avenir politique du Sahara espagnol mais l’évolution récente des rapports entre Etats riverains de ce territoire n’est pas faite pour les dissiper.
D’autre part, d’une source confidentielle proche de l’Ambassade du Maroc à Madrid, on y aurait reçu l’assurance de l’Insitut National de l’Industrie que celui-ci se chargerait seul, sans participation directe extérieure, de l’exploitation des phosphates sahariens. L’INI envisagerait aussi la mise sur pied d’une société de commercialisation qui pourraut s’efforcer d’éviter aux marocains les périls d’une concurrence à l’exportation.
En tout état de cause, la présente rencontre à Rabat de S.M. le Roi Hassan II, du Colonel Boumedienne et du Président Mokhtar Ould Daddah, est un fait nouveau qui pourrait affecter, à long terme, les plans espagnols d’exploitation des phosphates./.
R. de Boisseson