13-04-2015 18:45 - Lettre à mon père

Lettre à mon père

Mauritanies1 - Cher père,

Je ne sais pas si je dois vous tutoyer ou te vouvoyer car voyez-vous, ça fait belle lurette qu'on ne s'est vus. Quand bien même je m'appelle N'dao, il paraît qu'on se ressemble comme deux gouttes d'eau. Le sang de mes oncles est lourd et ne ment pas ; d'une piscine, une seule goutte suffirait à en changer la couleur.

Si ma mémoire est bonne, on ne s'est plus revus depuis ce dimanche 27 mai 1979 à 6 heures du matin. Tu étais venu frapper à ma porte car tu avais besoin de mon père biologique pour une mission d'État, un service commandé me disais tu. Tu m'avais pourtant dit, la mission étant périlleuse, que s’il lui arrivait quoi que ce soit, tu te substituerais à son rôle de père et t'occuperais de moi. Tu ne me l’as jamais rendu et tu n'es jamais revenu frapper à ma porte.

J'ai attendu en vain et me suis dit, fils prends ton courage à trois mains et débrouille toi comme un grand. Cher père, tu peux être fier de ton fils, je ne me suis pas si mal débrouillé. J'ai fait de bonnes études, et, figure toi, sans jamais avoir eu de bourse. J'ai appris beaucoup de choses. Tiens, en fac de Droit, j'ai fait la connaissance d'un sacré personnage, on l'appelait : l'État. Notre prof, un certain Maurice Duverger, disait de lui que c'est quelqu'un qui existe mais qu'on ne voit jamais.

Il nous répétait sans cesse : « Rappelez-vous mes petits, personne n'a jamais pris son petit déjeuner avec l'État ». Alors mon père, le diner, tu peux toujours courir. Moi, je l'ai vu une seule fois, enfin, son cadavre. C'était en cours d'anatomie. Mon père, si tu savais comment il est, je ne te raconte pas. Il a une hypophyse bipolaire.

C'est à dire deux mémoires. L'une vive qui se rappelle de tout, ad vitam aeternam, et une mémoire morte, alors celle-là, Alzheimer à côté, c'est de la gnognotte. Si t'avais vu son cœur, il est fait en kevlar, rien ne rentre, rien ne sort. Ses yeux ne clignent ni ne larmoient. Quand il épluche un oignon, c'est l'oignon qui pleure.

Il a deux bras comme nous, mais son bras droit finit par un truc, on aurait dit une grosse matraque, et son bras gauche finit en carotte. Je te promets, en lui disant bonjour, vaut mieux lui venir par la gauche. Ses jambes sont comme les nôtres, mais a la place des pieds, il a un râteau. Il ne laisse rien derrière lui, draine tout sur son passage jusqu'aux détritus des autres.

Mon prof nous disait que c'était sa seule qualité, celle d'être indéfiniment solidaire du passif de ceux qu'il côtoie. Il paraît qu'on appelle ça le principe de continuité de l'État. Il ne peut souffrir d'aucun point de rupture, sinon son cœur s'arrête. Nous les humains, avons une température corporelle de 37°, lui oscille, entre 0° et -10° au gré de son humeur du jour. Notre prof nous disait que c'était pour ça qu'on l'appelait le monstre froid.

Voilà cher père, avec toutes ces connaissances acquises, j'ai eu mes diplômes. Ton fils fut le plus jeune élève de l'ENAM du Sénégal en 1988. Je suis sorti avec le grade de conseiller des affaires étrangères pour m'être spécialisé en Diplomatie. Fort de mon parchemin, plusieurs choix s'offraient à moi.

Le Sénégal m'offrait une carrière sur un plateau d'argent, d'autant que mon nom facilitait mon intégration. J'ai décliné fermement mais diplomatiquement. Je craignais qu’un jour, la goutte de sang ne trahisse le nom. Au même moment, j'avais été le premier mauritanien à être admis au centre d'études diplomatiques et stratégiques de Paris.

Mais ton fils n'avait pas un sou pour honorer la formation. Enfin, il y avait aussi la possibilité d'une carrière à l'international, tu sais ces carrières enterrement business-class d'où tu ne reviens plus. Je l'ai balayée. Je l'ai balayée car je voulais te revoir, te voir fier de ton fils et ainsi servir mon pays qui m'a mis à l'école. Ainsi, le 2 janvier 1994, ton fils, tout enthousiaste, s'est présenté au ministère des affaires étrangères.

Tu sais ce qu'on m'a dit là-bas, qu'il n'y avait pas de fiche budgétaire pour moi, qu'il fallait aller en chercher une au ministère des finances. J'ai vite filé aux finances, ce n’était pas loin, à une ou deux encablures. Là-bas on m'a rétorqué que c'était aux affaires étrangères d'en formuler la demande. Retour aux affaires étrangères pour cette joyeuse fiche, renvoi aux finances. Une balle de ping-pong en aurait eu le vertige.

À l'école, mon prof de math appelait ça la quadrature du cercle. Épuisé, je me suis assis entre les deux ministères, pour retrouver mes esprits. Eureka, une idée géniale me vint à l'esprit. Je courus aux finances et demandais au secrétaire général si il ne pouvait pas me rendre le restant de la fiche budgétaire de mon père biologique, tu sais celui que tu m'as arraché en 1979.

Il devait bien en rester un morceau puisqu'il a disparu à 43 ans. Le seul hic, c'est que j'allais aller à la retraite plus tôt que prévu. Le monsieur m'a dit que le mieux était de présenter ma situation à la présidence. Il devait sans doute en savoir plus que moi. Ah, la présidence ! Là-bas au moins, il y a mon père. Je vais enfin revoir mon père.

Les gens l'appelaient père fouettard, ce qui me déplut. Je n'aimais pas qu'on se moque de mon père. Il avait un directeur de cabinet qui avait remplacé mon père biologique et qui comme lui était docteur vétérinaire. Alors lui, il avait un titre qui me glaçait le sang.

On l'appelait, le tout puissant, le tout corbeille. Il paraît qu'il avait une corbeille qui faisait la moitié de son bureau. Je pris ma plume et allais enfin donner de mes nouvelles à papa. Je lui expliquais en substance que son fils avait bien réussie, mais qu'il me manquait un papier pour servir mon pays : une fiche budgétaire. J'étais confiant, ça ne devait pas poser de problème puisqu'on en trouvait même au cimetière. Les morts percevaient encore leurs salaires.

Six mois d'attente, et silence radio du père. Non, c'est impossible me suis-je dit. Mon courrier a dû passer à la trappe de tout corbeille. Qu'à cela ne tienne, j'avais un bon canal pour toucher le père, son médecin personnel, ami de la famille, c'était un homme affable, discret et silencieux, car tenu à une double réserve, celle de la fonction et de la goutte de sang mais qui n'en pensait pas moins.

Il avait pris mes dossiers et mon courrier et me promettait de les lui remettre en main propre. J'imaginais qu'il pouvait bien les lui glisser stéthoscope en main. Ainsi, toutes les semaines j'allais aux nouvelles. Sa réponse était immuable : « Ton père ne réagit pas encore ». J'ai vu le docteur craquer une seule fois, quand il a lâché quelle injustice !

Cher père, ton fils ne savait plus où donner de la tête. J'avais tout rejeté pour mon pays et voilà que mon pays me rejetait comme un malpropre, plutôt comme un mal né. Ah si l'autre savait, quelle risée « tu as rejeté l'occident et l'orient t'a rejeté ». Et puis un jour, la bonne nouvelle arriva. Un compagnon d'armes de père fouettard, ancien ministre, ancien directeur général de la sureté, vint me voir.

Il sortait d'une audience avec père fouettard, après que ce dernier l'ait mis deux ans en prison pour être resté fidèle à celui que père fouettard avait renversé en 1984. Le déchu, je l'appelais père-patriote, car lui, quand on lui disait que 2+3 font 5, il demandait de suite si 5 était dans l'intérêt de la Mauritanie, au cas contraire, 2+3 font 6.

Le FMI en sait quelque chose. Bref, mon hôte me relatait son audience. Père fouettard l'avait accueilli à coups de larges accolades, et lui avait dit : « J'espère que tu ne m'as pas retiré ton amitié ! ». Ça, notre prof ne nous en avait jamais parlé : le cynisme de l'État.

Mon hôte lui avait exposé mon cas car il se faisait un point d'honneur à réparer une injustice d'État. Mon père lui a dit : « Dites au jeune N'dao qu'il peut se considérer dans son bureau ». Un mois passa, deux, six, un an, deux ans, pas de nouvelles, pas l'ombre d'un bureau. Je me suis dit, de trois choses l'une.

Soit mon père veut m'éprouver pour voir si le fils est digne du père, soit il donne des instructions qui vont à la trappe, le tout à l'égout, soit enfin il y a quelque chose au-dessus de sa tête « the invisible hand ». En somme, il ne contrôlerait rien.

L'État étant un monstre, froid certes, mais neutre, auquel il convient à celui qui en a la charge, d'en déterminer la posture, je finis par comprendre que père fouettard n'avait jamais su dompter le chameau ; il n'avait pas mon sang rahalli. Dès lors que le chameau s'était mis à ruer en 1989, il en perdait la corde et arriva ce qui devait arriver.

D'ailleurs mon jugement fut calé lorsque je me rappelais d'un de ses discours où il disait que la Mauritanie avait besoin d'un État fort. Il n'avait rien compris à la chose qu'il avait entre les mains. Un État est toujours fort par principe. En fait, c'est lui qui, en vociférant, du fait de la charge, avouait son impuissance, sa faiblesse.

Aussi, un Etat est fort, cher père, lorsqu'il respecte ses devoirs, comme ceux vis-à-vis de son fils. On ne peut aucunement être donneur de leçon si on n'est pas soi-même faiseur de devoir. C'est ainsi que toute ma famille se retrouvait sur la paille, mes petits frères, qui docteur en mathématiques, qui professeur, et j'en passe, ne trouvant pas de travail dans leur pays, finirent par s'expatrier et offrir leurs services à des tiers, qui évidemment, sautèrent sur l'aubaine.

Pour ma part, eu égard au droit, mais surtout au devoir d'ainesse, en bon commandant de bord, ai-je décidé de faire face à la déferlante au prix de couler avec mon navire ; il n'était pas question d'un sabordage.

Un soir, une personnalité vint me sonder. Je comprenais entre les lignes que peut être, père fouettard m'attendait ailleurs, que la balle était dans mon camp. Il fallait, juste une petite formalité, rejoindre servum pecus, le troupeau docile, et faire un bain purificateur au siège du parti politique de Papa : le PRDS. Qu'en vociférant de toutes mes tripes, Papa bien reconnaissant saurait entendre la voix de son fils.

J'avais demandé à rencontrer le Secrétaire Général du parti, un ancien premier ministre. Lorsqu'il me reçut, je lui dis ceci : « Monsieur le Secrétaire Général, je viens vous voir en ce jour pour vous dire que la famille de laquelle je suis le rejeton n'a jamais fait de politique. Quand bien même elle aurait voulu en faire, cette famille est si petite numériquement qu'elle tiendrait dans une cabine téléphonique et donc n'est pas un porte-voix.

Néanmoins elle a une très grande valeur symbolique et de témoignage. Notre pays a opéré un très grand mouvement de son histoire en 1989 qui semble marquer sans doute l'an 0 d'une nouvelle ère et dont les effluves sentent son ancrage irréversible total à la civilisation arabe. Mes droits semblent dorénavant en dépendre.

Si entrer au PRDS selon vous a valeur de transcription et d'acceptation de la nouvelle donne, je signe de suite la tête haute et la poitrine bombée. Moi petit prince du Ndoucoumane, suis prêt à faire sauter le pas à ma famille. Mais si entrer au parti ne vaut que pour divertissement et allégeance à papa, je ne suis pas partie prenante.

De surcroit, je ne puis assujettir mes droits inaliénables et consubstantiels à ma personne à un parti, sinon c'est toute l'ossature de la famille qui s'écroulerait. L'État ne fait pas de politique. Il m'a écouté, impassible, et m'a demandé de tout lui coucher sur papier. Ce que j'ai fait par courrier enregistrer sous le numéro 261.

En effet je n'ai jamais eu de réticences à me mettre sur le marché des valeurs culturelles si une nation achevée en dépendait. Pourquoi aurais-je de craintes à ce que mon nom N'dao subisse les assauts culturels de l'arabité dont je porte quelque part le sang. J'en perdrai quoi ? L'apostrophe du nom, le A cognerait le O, le D passerait devant le N. Mais c'est le sens de l'Histoire et n'enlèverait rien à mon sang bleu. Il y a bien eu des Ndiayane, des Ould Aly Ndiaye, des Ould Doussou...

Comme toujours, dans ma petite vie, quand je ne suis pas le dernier d'une chose j'en suis le premier, je reste dans l'histoire politique de la Mauritanie le premier et le seul à qui l'on ait refusé l'adhésion au PRDS : Fin de non-recevoir. Ainsi, le manège allait durer 5 longues années et ma pauvre mère, ta femme que je ne voulais pas associer à mes dossiers pour lui épargner le cœur, toute honte bue, décida de demander audience à tout puissant et Tout corbeille.

Par deux fois on lui opposa une fin de non-recevoir. Le directeur de cabinet refusait de recevoir la veuve de celui qui occupait le poste avant lui. L'homme d'État avait fini par ronger le docteur. À n'en point douter, si dans tous les pays du monde, le monstre froid est froid, le nôtre en tout cas, sous père fouettard, devait marcher à l'azote liquide.

Ma pauvre mère qui avait été accueillie en 1966 sur le tarmac de l'aéroport de Nouadhibou à coups de grandes embrassades, à bras ouverts, on avait besoin d'elle, s'en est retournée à ses origines, de là où elle venait, en 1996, soit 30 ans plus tard, humiliée, giflée, sur la pointe des pieds.

On avait besoin d'elle pour monter les maternités, former les sages-femmes et infirmiers d'état, secourir des femmes en détresse sur les pistes cabossées de Boulenouar, monter la coopération au ministère de la santé, pour attirer les financements extérieurs, en jouant sur son interface culturelle. Elle avait mis au monde des petits mauritaniens plus que personne.

Quand on a compris que le citron ne donnait plus beaucoup de jus, on l'a renvoyée à son contrat de travail de base. En partant, elle m'a juste dit : « Mon fils, je me sens trahie ». J'avais envie de lui dire qu'elle n'avait pas le sang de mes oncles. Mon père biologique, lorsqu'il l'emmenait afin de l'aider à construire la Mauritanie, savait très bien que sur son contrat de travail figurait des initiales qu'elle ne pouvait décrypter : N.D.S (Négresse De Service). Lui-même les portait, mais nous, c'est autre chose, c'est la dette du sang.

Les années passèrent, il fallait bien se rendre à l'évidence. La “khaima” avait été montée, et la “bennya” déployée pour en cacher l'orgie de l'intérieur, et je n'avais pas droit d'y entrer sinon d'en être à la périphérie, là où le soleil vous mange la peau, le vent de sable vous fouette les jambes la journée, et là où la nuit, l'orphelin est laissé en pâture aux chacals, fennecs et autres prédateurs.

De ma place pourtant, je pouvais entendre le “tbeul” raisonner, le “wango” qui se dansait, et pour toute pitance, les effluves du “mechoui” qui se préparait. Silence ! On pendait la crémaillère. Hélas, j'avais pourtant la certitude que cette “khaima”, que cette “khaima” étatique, ou à tout le moins administrative, lorsqu'il eut s'agit de la monter, deux hommes en portaient les deux “Rkeiz” au prix de leur vie.

Ces “Rkeiz”, si on devait leur donner un nom, ces deux hommes en seraient éligibles : Aly et Waly N'dao. - Oh mon père, demande aux anciens comment s'appellent à la fois l'enseignement en Mauritanie, la construction de la route Nouakchott-Néma, la pêche, la santé. Ils te répondront tous de manière obvie : famille N'dao.

- Oh anciens, dénoncez l'obturation des chemins vicinaux intergénérationnels, et aidez-vous de vos canes, épaulez-vous sur vos enfants, allez dire à mon père la vérité au nom de la mémoire et du respect de la république que vous avez bâtie. Voilà cher père le petit parcours de ton fils. Essoufflé je suis parti cherché réconfort, recharger mes forces physiques et psychiques.

Un jour, on m'annonça que père fouettard et son parti politique avaient rejoint les égouts de l'histoire et que canailles, racaille et fripouilles mangeaient dorénavant à d'autres râteliers. J'ai accouru mais mon nouveau père que j'appelais Père-Tient-Parole, n'était là que pour un an, qu'il rendrait le monstre froid aux civils une fois celui-ci débarrassé de son azote liquide, et qu'il ne resterait à la présidence que le temps de passer la serpière sur les flaques de sang que Père fouettard avait laissé et désinfecter les lieux.

Il a tenu parole et hommage lui est rendu pour l'honneur et l'image de la Mauritanie. Pour ma part, cher père, j'avais jugé qu'en un an, il avait trop à faire pour me rappeler à ses bons souvenirs. Mon problème devenait mineur. Aussi, j'attendrai. Bien m'en a pris, puisque son successeur était doublement mon père.

Au titre de l'État, mais aussi du fait des liens d'amitié qui le liaient à mon père biologique. Quand on se voyait, lui au moins m'appelait « mon fils ». Il me disait que j'étais victime d'une injustice de régime militaire, et que lui aux affaires, le tort serait réparé. Je lui avais laissé le temps de s'installer et de porter son “DARRA” étatique, et son nouveau « HAWLI » qui vaut briefing et qui à ce niveau de fonction, ne se porte que d'une seule façon, pas deux.

Au moins, avec lui, une fin de non-recevoir valait réponse capitale, en tout cas double réponse. Six mois après son installation, j'avais saisi le doublement père. La réponse tardait, et on m'expliqua qu'en réalité, il n'était pas encore installé. Son siège posait encore un problème de niveau. J'ose croire que cette explication était la bonne plutôt que de penser que le boubou étatique avait opéré une mue chez son locataire.

En tout état de cause, mon double père était d'une autre génération et n'était pas au fait de la nouvelle technologie. Pendant qu'il réajustait son fauteuil, son prédécesseur étant beaucoup plus grand de taille, on ne lui avait pas expliqué que ces fauteuils-là « new génération » étaient à vérin hydraulique.

Il avait appuyé sur le mauvais bouton, le fauteuil s'affaissa, il sauta sur son coran, et s'en alla dans une mosquée, là ou humilité et soumission font qu'un homme ne tombe jamais. Et te voilà maintenant cher père. Je te regarde, je te scrute, les yeux dans les yeux, « face to face » disent les lords, et digne. Je te rassure, j'ai conscience que tu n'y es pour rien. Mais tu vois, les fastes de la république et l'honneur de servir la Mauritanie ne vont pas sans ce sacerdoce qu'est l'Etat.

À cette fonction-là, le dévouement est tel qu'on est obligé de tirer la chasse d'eau de son précédent. Je dois t'avouer cher père qu'à ta vue, j'avais commencé à être sceptique pour ne pas dire inquiet. Je me disais « ah, ça c'est un père new génération » qui ne saurait probablement pas porter les valeurs (morale, liberté, justice) sachant que les valeurs sont immuables et dépendent dans leur contenu, de celui qui les porte.

Ma joie et ma fierté furent à la hauteur de mon doute lorsque j'ai compris que tu venais en justicier, en redresseur de tort, le président des crève la dalle, des « porte-chigue », des piétinés, et que tu as su rendre dignité à la Mauritanie en dégraissant le chameau.

Tu vois mon père, j'ai eu des nouvelles de mes deux promotionnaires sénégalais. Figure toi que le premier est ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, ministre des affaires étrangères de son pays, et le second, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Washington auprès de Obama.

Ton fils lui, il est ambassadeur extraordinaire et plein de poussière de son pays. Tu me diras, rien de plus normal, tu es d'un pays où sévit tempête de sable. C'est vrai, je suis tributaire des difficultés de mon pays, et donc, n'ai pas droit au même destin que mes collègues.

Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà disait Pascal, ou si tu préfères, en transcription locale, vérité en amont du fleuve « Worgo », erreur en aval « Rewo ». Je porte ainsi ma charge, mais c'est justement pour en partager la peine que je t'écris cette lettre ouverte. Aussi, je ne prétends pas t'envoyer la lettre de Guy Moquet mais, décantation faite, elle se “Moquetisera” et aura l'autorité de la chose écrite.

Je te rassure de suite. Je ne permets à personne de la détourner de son sens et ne m'autorise que deux ampliataires. L'histoire pour consignation au cas où, et mon futur site qui suivra le recouvrement de mon héritage, et lequel site s'intitulera tout bonnement Lettre de créance d'un ambassadeur extraordinaire et plein de poussière. Tes prédécesseurs m'ont amené à comprendre qu'ils avaient confondu discrétion, pudeur toute Mauritanienne, patience, avec faiblesse. Alors tu comprends que ma stratégie est donc autre.

Je voulais te dire aussi cher père, qu'en cours de Diplomatie, on m'a appris que l'histoire du monde ne se faisait jamais là où on l'attendait. Qui pouvait prédire qu'un coup de pioche sur le mur de Berlin allait changer la face du monde. Qui pouvait prédire qu'internet allait accoucher de la mondialisation faussant ainsi les plans de tous les pays.

Qui enfin pouvait prédire qu'un petit marchand ambulant d'un petit Patelin pommé de Tunisie allait à lui tout seul décaper le monde arabe. Bien malin qui peut te dire le domino qui va provoquer la cascade. Pour ma part cher père, je t'annonce que je vais te demander audience par la voie la plus naturelle possible, La Poste, et ce bien sûr, en recommandé, sans intermédiaire, du fils au père, j'ai retenu la leçon et ceci en vue de recouvrer mon dû.

Au regard de mes adresses, tu comprends que je mets toutes les chances de mon côté, mon mail n'est autre que mon nom, amadoutidiane.ndao@gmail.com, la deuxième guerre mondiale te rappellera ma boite postale, Mr N'dao BP 1945 Nouakchott, et mon téléphone, on ne peut plus simple, 46431818.

Quand à ma maison, on peut y arriver les yeux bandés et la porte est ouverte, j'habite à 100 mètres de chez toi, Ilot-V n°853, porte nord de la mosquée Saoudienne. Tu sais, ces vieilles bâtisses coloniales où les murs transpirent tous les soirs l'Histoire, peut être celle de ma famille. Nous y sommes entassés et parqués, tels des Harkis, depuis plus de 33 ans, faute de perspective.

C'est la seule maison du quartier ou il y a encore des arbres, arbres droits, et dont la cime lève la tête et les plantes fleurissent encore malgré les vicissitudes du temps. Cher père, cet héritage que je veux récupérer est simple, technique et dépouillé du superflu.

Je considère que depuis le 2 janvier 1994, je suis en poste et par conséquent, depuis le 31 janvier de la même année, mes salaires et traitements tombent à ce jour. Que mes avancements logiques se poursuivent, et ce en application des textes régis pas la fonction publique, sur la base de mon grade de sorti d'école, conseiller des affaires étrangères.

Tout ceci nonobstant le préjudice moral, oh combien grand, subit, afin de payer mes dettes morales à tous ceux qui en lieu et place de tes devoirs m'ont donné un morceau de pain. Enfin je ne te demanderai pas le prix du hamam moi qui n'aime pas être massé, n'aime pas l'esclavage, et n'en ai point eu, si fier que je suis d'en porter le sang par les “Barikalla”, juste le prix de la savonnette et du “Djempé” pour laver l'honneur de ma famille.

Cher père, j'ai attendu plus de 30 ans et je m'oblige à attendre encore un peu pour t'envoyer ma demande d'audience. Oui j'avais oublié de te dire que je termine une mission qui m'avait été confiée par l'Histoire depuis 1988.

En effet, elle est venue me chercher à Madrid ou j'escomptais faire des études. Elle est venue me dire cette année-là qu'elle m'envoyait au Sénégal et m'y inscrivait. Elle se préparait à opérer un mouvement dont elle voulait que je sois le témoin. J'ai accepté la mission, d'ailleurs je n'avais pas le choix.

C'est le compte rendu de cette mission sous forme d'un livre à paraître, et dont le titre est connu : “Les tourments d'un héritage”, que je dois lui rendre. L'Histoire ne rétribue pas, ne donne pas de per diem, mais lorsqu'elle vous choisit, c'est d'un tel honneur que vous en oubliez la faim, la souffrance, l'humiliation et l'injustice ; vous êtes le pardon. Elle vous donne l'opportunité d'entrer en son sein.

Ce livre, je pense, fera votre fierté et celle de la Mauritanie. Il aura aussi pour effet d'expliquer à tous les Mauritaniens ou autres d'ailleurs, qui, me croisant, me disaient toujours « “Ajib” toi N'dao tu n'arrives toujours pas à trouver du travail en Mauritanie ». Ils en auront enfin l'explication, si ce n'est déjà fait.

Aussitôt que vous, mon père, chef de l'Etat, pot de fer, aurez rendu au fils, pupille de l'Etat, de la nation, pot de terre, mon héritage, je mettrai un pas hors de votre bureau avant d'y entrer à nouveau, cette fois ci en votre qualité de Président de la République, pour vous supplier, et à genoux, de me faire l'honneur de servir mon pays la Mauritanie.

Oui père je ne suis pas dupe. Je sais bien que le cœur du monstre froid ne bat pas au même rythme que le nôtre, nous les humains. À nos 70 pulsions minutes, il n'en fait qu'une. Nos années lui sont des jours et nos siècles des décades. Rappelle-toi père, les sévices de la guerre d'Algérie et la lenteur de l'État Français à lâcher le pardon. Rappelle-toi le génocide Arménien, et chez nous, les expulsés de 1989 auxquels il aura fallu 20 ans pour revoir leur pays.

Et ton fils lui attend depuis 1979. Combien de temps encore te faut-il pour que tu le légitimes enfin? Oui père, je comprends, et donc t'aimerai quand même. Si mes forces arrivaient à me lâcher, tu rendras mon dû à mes enfants, tes petits enfants. Ils sont avertis et te porteront ma quête, car ce dû-là est imprescriptible, il ne lui est pas opposable une fin de non-recevoir.

- Oh père je t'exhorte à rendre au fils ce qui lui appartient. La sentence divine est terrible pour qui dérobe la nourriture du pauvre, et de surcroit, l'orphelin. Oh père, je t'exhorte à me prendre dans tes bras et à dépoussiérer l'ambassadeur que je suis, car cher père, le pire c'est que nous soyons 3 au bout du compte à porter la charge, toi, moi et la Mauritanie. Qu'on finisse par appeler ton fils sur tous les trottoirs du monde, non plus l'ambassadeur, mais cette fois-ci le Bâtard de la république.

Filialement votre, pardon, filialement ton,

Amadou Tidiane N'dao.

Ambassadeur extraordinaire et plein de poussière.

"mauritanies1"





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Source : Mauritanies1
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Commentaires (2)

  • Raminheka (H) 26/04/2015 16:01 X

    Très belle lettre! C'est vrai, il est temps de te lever et de secouer toute cette poussière accumulée, d'autres vents t'y aideront. Sois sûr de ne pas te tromper de père... Bon courage.

  • emancipation (H) 14/04/2015 09:14 X

    Bonjour mon frere Ndao, Tes frustrations sont plu s que justifiees. Tu as ete doublement lese, toi qui est le fils et le neveu de grands commis de l'etat, fonctionnaires d'une grande probite, toi qui as etudie sans bourse ( je presume) , de retour chez toi, ton pays ne te reconnait pas, ton pays n'evoque pas le nom de ton defunt papa parmi les martyrs. Ta frustration est encore plus grande, toi le metis biologique et culturel qui n'arrive pas a retrouver ses anciens amis parmi les Maures et Halpularen qui jouaient ensemble au football au terrain Ministeres, avec Dia ( l'acrobate), Kane, Horma, Boukhreiss, Mayouf, Zico ( Tall). De retour au pays tu retrouves des gens qui ne te connaissent pas et ne te reconnaissent pas. La fonction publique recrute des cohortes de bons a rien. Mon cher, tiens bon, du courage, notre unite ne sera pas sapee, malgre les frustrations et le favoritisme perpetue par les regimes successifs.