20-05-2015 07:46 - Cet artiste surprenant qui fait tourner la tête : L'Expo-Evènement de Hussein Haidara qui mérite un détour à l'IFM [PhotoReportage]
CultuRIM - Jusqu'au 29 mai, vous pouvez découvrir la dernière création de Hussein Haidara en exposition à l'Institut Français de Mauritanie. Cridem vous re-propose l'intervention de Jany Bourdais, directeur-adjoint de l'Institut Français de Mauritanie, prononcée le 5 mai dernier, à l'occasion du vernissage.
"Vous allez découvrir le travail de Hussein HAIDARA. Certains d'entre vous l'aviez découvert en 2013. Ce soir, c'est une unique installation qui a demandé un très grand effort de l'artiste mais aussi de l'équipe de l'IFM et tout particulièrement Maloum qui lui a servi d'assistant durant 4 jours et 3 nuits.
Je voudrais également remercier Isabel Fiadero qui a encouragé l'artiste dans cette aventure et qui lui a fait confiance pour mener à bien cette exposition.
Après une résidence de 3 mois au Conservatoire arts et métiers multimédia Balla Fasséké Kouyaté à Bamako, l'IFM lui consacre ce soir une exposition personnelle. Les œuvres exposées, présentées sous forme d’une très grande installation, sont classées suivant une trilogie qui lui est propre : Violence, Envoûtement et Croyance.
HAIDARA est un artiste surprenant : ses œuvres ne sont pas sans rappeler celles des surréalistes du XXe siècle ou bien celles de Jérôme Bosch qui était aussi un peintre ancré dans son temps, à cheval entre le Moyen-âge finissant et la Renaissance. Mais si HAIDARA s'inspire beaucoup des textes et des iconographies symboliques de la décadence, il est avant tout un artiste critique de la condition humaine et surtout de la folie humaine qui engendre trop de violence et d’intolérance aujourd’hui.
Je ne peux le rattacher à aucune école artistique : HAIDARA constitue en lui-même peut-être une rupture avec le monde moderne, par son appel à un monde nouveau au travers la symbolique et le langage qu'il utilise.
Mais ce qui différencie HAIDARA, ce sont les représentations de figures monstrueuses construites à partir de bestiaires secrets : pattes d'insectes, langoustes, os d'animaux, d'arbres, tête de cheval ou de mouton, branches de palmier dattier, plastiques, cordes, filets...
Cela me rappelle Léonard de Vinci quand il donnait sa recette : "Si tu veux donner une apparence naturelle à une bête imaginaire, supposons un dragon : prends la tête du mâtin (c'est une race de chiens puissants), les yeux du chat, les oreilles du hérisson, le museau du lièvre, le sourcil du lion, les tempes d’un vieux coq et le cou de la tortue". On voit bien que le monstre s’inspire donc de formes naturelles et s’en écarte pour en créer de nouvelles. Tout comme le fait Hussein.
L'artiste prospecte dans cette œuvre une composition resserrée qui rend les portraits plus proches, et plus vivants, mais encore plus hideux.
Je ne peux séparer non plus l'œuvre de HAIDARA par rapport à un contexte géopolitique, social ou religieux, contexte contre qui s'opposait Erasme dans un livre paru en 1511 " L'Eloge de la Folie ", Erasme qui défendait le libre arbitre de l'homme, la raison et la foi.
En exprimant de manière détaillée les travers de son temps (c'est-à -dire le nôtre), Hussein HAIDARA est le peintre du réalisme de son époque. L'œuvre et le monde de Hussein HAIDARA exprimant les travers humains dans une œuvre habitée de symboles, de mystères et de monstres, me rappellent aussi le XXème siècle des surréalistes, qui pourraient voir dans certaines de ses œuvres la meilleure expression picturale des angoisses et de l'inconscient humain.
La figure monstrueuse recèle un sens caché ou symbolique. C’est à nos angoisses que le monstre s’adresse. Son élaboration, sa fabrication fait référence à un démembrement des corps. Jacques Lacan écrit : "Ce corps morcelé se montre régulièrement dans les rêves". Le monstre touche à la désintégration de l’individu et à sa mutilation, car l’hybridation suppose préalablement un démembrement des corps. Souvent le monstre attire, fascine et dégoûte. Bien des monstres sont dévorants (gueules ouvertes, garnies de crocs, gueules d’enfer, destinées à écorcher, broyer, anéantir).
Même si les visions de HAIDARA relèvent d'une esthétique du monstrueux, son travail révèle bien une certaine expression esthétique affirmée.
L’œuvre de HAIDARA, tout comme l'œuvre de J. Bosch se présente comme le croisement, la confusion des règnes (animal, végétal, minéral, choses inertes). Le monde de Bosch ou celui de HAIDARA n’est pas un monde tangible, c’est un monde d’allusions et de symboles.
Même si la violence qui caractérise ses œuvres, est dérangeante ou choquante, l’interprétation des figures de HAIDARA fait appel à des savoirs complexes qui ne nous sont pas toujours accessibles. Mais HAIDARA est là pour nous répondre...
La guerre, la souffrance et l’absurdité ont transformé l’espoir en cauchemar. Les désastres de la guerre sont les images gravées de l’épouvante. Goya a peint le Diable parce qu’il a vu l’Enfer. "J’ai vu cela", écrit-il. Picasso l'a aussi dit quand il a peint Guernica. Hussein pourrait le dire aussi.
On est là en présence d'une allégorie du mal, de la superstition, de la destruction aveugle. Mais chez HAIDARA, c'est une allégorie de la Violence, de l'Envoûtement et de la Croyance. Il faut dire qu’en ce début de siècle, la réalité n’a pas eu grand peine à dépasser la fiction. La diffusion de masse s’est chargée de rendre tangibles les visions d’horreur engendrée par la barbarie humaine qui a pratiquement colonisé le quotidien, notre quotidien.
Alors, pour conclure, je me suis posé la question de l'altérité, concept si cher au philosophe français Emmanuel Lévinas. Altérité signifie "le caractère de ce qui est autre" ou la reconnaissance de l’autre dans sa différence, aussi bien culturelle que religieuse. Je me suis donc posé la question en regardant l'œuvre de HAIDARA, de savoir si l'altérité ce n’était pas en fait, l’Inconnu qui est en moi, qui est en nous ?"
Texte : Jany Bourdais, directeur-adjoint de l'IFM
Photos: Babacar Baye Ndiaye/Cridem (A l'exception de la photo d'accueil prise sur la Page Facebook de l'IFM)