13-05-2016 23:15 - SOUVENIR : Tranche de vie : Partie (suite et fin)
Adrar-Info - J’étais partagée entre la colère et la faim, quant tout à coup un cri sordide me fit sortir de ma torpeur : tous les hommes courraient vers le côté des femmes d’où les cris parvenaient, déchirants le ciel et là , je découvris ai milieu des femmes, Lalla tenant son pied gauche par les deux mains. Un ami de la famille a immédiatement comprit que c’est une morsure de scorpion.
On fit retourner la natte sur laquelle elle était assise et, à la grande surprise de tous un grand scorpion à la forme d’une chaussure d’enfant, s’affolait et courait à gauche et à droite sans savoir quel destin l’attendait, certains proposèrent de l’écraser par une pierre, d’autres suggèrent le bâton, l’ami de mon père qui s’était proposé volontaire se servit d’une grande épine de palmier, lui perçât le dos et le balançât aux enfants pour l’achever après l’avoir fait souffrir.
Lalla criait toujours, mais les hommes qui savaient extraire le venin n’étaient pas ses frères de lait et, il fallait envoyer chercher un parent à elle, guérisseur qui est à quelques kilomètres de là . Un rapide se proposait d’aller l’amener. J’étais toujours en retrait mais rien ne m’échappa de la scène, elle me fit quant même oublier un moment mon malheur, ma sœur me serrait dans ses bras et pleurait…de peur sûr
Tard dans la nuit j’entendais mon père dire à sa femme en ces termes !
- je t’avais bien prévenu de tenir compte de la présence de cette petite, et lui donner ce qu’il lui est dû, la faire manger à sa faim
je compris qu’il s’agissait de moi et je l’entendais revendiquer : que je dois être comme les autres enfants, courir avec eux, et manger comme eux etc. . .
Il lui rappela qu’il n’est pas de nos habitudes de manger chez autrui. Elle ne supporta pas cette réflexion et lui dit : nous représentons tous une même et seule famille.
Les jours qui suivirent je fus bien servie et un peu gâtée, on aurait dit qu’on avait peur de moi, car les gens étaient superstitieux et croyants musulmans, ils savaient que Dieu vengeait les faibles en punissant les forts et mine de rien c’était un confort moral pour nous les enfants
Un jour je m’entrainais à un nouveau jeu quand le père de Lalla surgit devant moi et me fit signe de le suivre avec ma sœur dans son champs. Il nous offrit un grand melon frais, désaltérant par cette chaleur, il nous expliqua qu’il le mettait dans un bidon qu’il glissait à l’aide d’une corde dans l’eau du puits et le matin il le retirait tout frais. Je mangeais ma part et un peu de celle de ma sœur, car je pleurais souvent de faim, j’étais toujours en manque.
Hélas cette histoire ne dura pas longtemps, car nous fûmes surprises le troisième jour par les frères de Lalla qui nous épiaient et coururent le rapporter à leur vielle de mère. Ce qui fit que le lendemain le vieux nous renvoyât tout juste par un signe de la main.
Quelques mois plus tard mon frère naquit alors que mon père était parti à la chasse. Les vivres commençaient déjà à s’épuiser. Notre marâtre comme toujours, voulait emporter tout chez elle mais ma sœur comprit son jeu et cacha une partie de la ration sous une roche.
Une semaine durant, les voisins n’arrêtaient pas d’amener les moutons pour le jour du baptême qui devait avoir lieu sept jours après la naissance de l’enfant. Et ce furent les jours les plus noirs de ma vie, car la fumée montait à partir du lieu qui leur tenait de cuisine. Et c’était du méchoui, j’en étais sûre. J’essayais de m’échapper à l’astreinte mais ma sœur parvenait toujours à me saisir.
Le grand jour arriva et tout le monde nous oublia, les domestiques qui s’activaient semblaient regarder de notre côté mais ne nous voyaient même pas. Mes pleurs ne cessèrent que la nuit où je dormis à même le sol. Je faisais des cauchemars, quant je fus réveillée par la main de mon père qu’il faisait promener sur mon ventre, geste qu’il faisait pour savoir si j’ai bien mangé.
Et il sut immédiatement que j’étais très affamée. Il me fit asseoir et me posa des questions sur sa femme et ses parents et pourquoi j’étais dans cet état, je lui dis tout, en pleurant.
Il s’était révolté. Il alluma un feu et avec l’aide de Gouha – réveillée à son tour par mes pleurs – mit la marmite pleine de viande et commença à faire le pain traditionnel, et me jura que jamais ce qui est arrivé ne se répétera, et que dorénavant il était là pour me défendre contre vents et marées.
Je mangeais cette nuit là pour deux, Au petit matin, la belle mère qui n’a pas dormi sûrement, à dû voir le feu, se présenta tôt avec son cynisme habituel s’adressa à lui dans ces termes :
Bonjour mon fils, n’es-tu pas curieux de voir ton garçon à qui on a donné le prénom de ton ami le grand cheikh comme tu le voulu.
Je n’ai que faire d’un enfant pour lequel mes filles chéries ont été abandonnées toutes seules, privées de nourriture. Vous, tous, tournez autour de lui alors qu’il n’a besoin que du sein de sa mère.
J’étais aux anges pendant qu’ils se disputaient tous les deux. Je me disais que mon père allait tout balancer et nous ramener chez nous. Mais comme toujours mon bonheur fut de courte durée, il l’accompagna, vit son fils, et ne quitta plus d’une semelle.
Une autre fois je jouais avec quelques serviteurs quant mon père cria pour que je vienne me présenter immédiatement devant lui. Ce que je fis la seconde suivante. Il m’ordonna du doigt de m’asseoir ce que je fis aussitôt. Alors, de ses deux grosses mains il me serra les épaules et dit :
Est-ce que c’est vrai que tu as dit que tu vas me prendre pour retourner vivre avec ta maman ? et, est ce que tu traite cette noble famille d’avares ? Ne me laissant pas le temps de répondre, il prit sa ceinture et me frappa plusieurs fois avant que Lalla le suppliât d’arrêter.
Je niais du doigt car je bégayais à l’époque et dès que j’avais peur, je perdais la langue. Je pleurai très fort car je ne comprenais pas pourquoi on me faisait dire des choses que je ne savais pas dire.
Il parait, d’après les voisins, que Lalla ma collée cette histoire, prétendant que je la lui ai racontée, devant ses frères. Après m’avoir frappé, mon père ne se sentit pas fier de lui-même, il continua de crier très fort au point, où il me sembla qu’il prenait un peu mon parti.
J’allais m’asseoir sous l’ombre d’un palmier, mais au lieu de me coucher sur le sable et me lamenter sur mon sort, je levais mes yeux et souhaitais que les rayons ultras violets du soleil, filtrés par les branches me transportassent jusqu’à ma mère.
J’imaginais ma mère comme une fée et qui allait surgir de je ne sais où et punir tous mes ennemis, me prendre dans ses bras devant mes amies- car aux yeux de ses dernières j’étais orpheline- et leur répéter que j’étais sa fille chérie et que quiconque me toucherait, elle le frapperait, à commencer par mon père.
On fit appel souvent à moi pour bercer le petit, on me le fit porter sur le dos, je faisais le va et vient jusqu’à ce qu’il s’endort. Je voyais le temps passer sans apporter grand changement à la situation ma sœur et moi.
Ce frère fut suivi d’une petite sœur qui naquit quelque mois après, et ils devinrent tous les deux les prunelles de mes yeux et je me posais la question : lequel m’étais le plus cher ! Je les aimais au point je ne pouvais dormir tant que l’un d’eux pleurait. Vu que je devenais en quelque sorte indispensable aux enfants la vielle belle mère m’acceptait un peu plus que ma sœur qui ne quittait jamais la cuisine.
Un jour Lalla tomba malade, on la fit ramener au village, – et depuis ce jour là je ne la revis plus. Au retour de mon père, quelle fut ma surprise quant il nous annonça qu’il nous amenait cette fois-ci, chez nous, dans notre propre oasis !
Depuis lors, je fus choyée par nos serviteurs, je reprenais peu à peu gout à la vie et je chantais même mes anciennes chansons presque oubliées. Gouha reprit elle aussi gout à la vie et devint moins taciturne et beaucoup plus belle. Elle se tressait ses cheveux en natte et se laissait aller aux rêves. Elle se lia d’amitié avec une fille de nos voisins qui ne ratait jamais l’heure du repas. Je finis par la détester à cause de sa gourmandise.
On n’attendit pas longtemps voir arriver une femme un peu étrange. Au début je pensais à la gourmande de Gouha. Elle ne ressemblait pas aux gens qui habitaient ces oasis perdues, elle avait de beaux habits et son teint était clair, contrairement à celui de la majeure partie des gens d’ici, brulés par le soleil d’été.
La roche sur-laquelle je m’étais installée était séparée par un petit ruisseau avec les habitations. Et la femme était à l’autre côté de la rive. Je ne pouvais distinguer ses traits alors je lui fis des mimiques. A ma grande surprise, elle s’avança et parla :
- Salamalikoum n’êtes vous pas, les filles de Mohamed ?
Ma sœur s’était aussi approchée.
- Et toi, n’est tu pas maman ? Répondis-je instinctivement.
Elle me dit : oui,
Un éclair subitement me traversa l’esprit : ma mère . . . Je sautai dans l’eau alors que je ne savais pas nager. Quand je repris connaissance, j’étais dans les bras de ma mère qui pleurait à chaudes larmes et qui répétait
- Je ne suis pas venue pour voir ma fille mourir sous mes yeux . . .
J’appris par la suite que parmi ceux qui s’étaient regroupés au tour de ma mère m’avaient sauvé de la noyade. Elle nous prit dans ses bras et nous cajola tandis, ses anciennes connaissances pleuraient de joie.
Le soir, comme à son habitude, il venait nous faire traverser le ruisseau, mon père apprit l’arrivée de notre mère. Il se présenta aussitôt pour lui souhaiter la bienvenue. Je profitai de l’occasion pour lui chanter les éloges de ma mère tout en m’accrochant à elle, lui disant combien elle sentait bon et combien elle était belle. . . Tous riaient de ce que je disais.
C’est seulement quand nous prîmes, le lendemain, une voiture de transport à destination de la Capitale, avec notre mère, que je fus sûre qu’enfin je quittais définitivement la vie des oasis
…Fin …
Fatimetou Mohamed