29-08-2017 16:33 - La nostalgie d’un islam apaisé en Mauritanie : L’écrivaine Mariem Mint Derwich dénonce le «repli religieux» de son pays
Le Devoir - À plus de 6000 kilomètres du Québec, loin de la controverse entourant les groupes de lutte contre l’islam radical, un pays méconnu d’Afrique de l’Ouest applique la charia dans l’indifférence générale de la communauté internationale. Incursion en République islamique de Mauritanie à travers les yeux de Mariem Mint Derwich : chroniqueuse, blogueuse et écrivaine franco-mauritanienne.
Dans son petit appartement du quartier huppé de Tevragh Zeina, Mariem Mint Derwich est assise derrière son ordinateur, énième cigarette à la main. Sous la chaleur écrasante de Nouakchott, la capitale mauritanienne, elle ajuste son voile couleur lilas alors que son chat, Kirikou, profite des derniers rayons du soleil.
« Je suis revenue ici en début d’année. C’était un vieux rêve, je n’ai jamais vraiment quitté la Mauritanie », chuchote-t-elle en souriant. Heureuse de retrouver les bruits et les odeurs de son enfance, c’est une femme gagnée par la nostalgie qui découvre un pays ayant subi de profonds changements dans les dernières décennies.
« On voit un repli identitaire, un repli religieux, un durcissement des positions, se désole-t-elle. La Mauritanie d’avant, celle qui m’était familière, où on vivait un islam très apaisé, a disparu. On a l’impression que le religieux a pris le pas sur tout, qu’il décide de tout.
On le sent, dans une capitale d’un million d’habitants, il n’y a pas un cinéma, pas un lieu de divertissement, le voile des femmes est de plus en plus tiré sur le visage. »
Sans tabous
La femme d’une cinquantaine d’années est un personnage bien connu en Mauritanie pour ses prises de position virulentes. Laïcité, démocratie, sexualité, religion : aucun tabou n’échappe à sa plume tranchante.
Née à Nouakchott en 1964, Mariem a grandi dans le désert mauritanien, avant de s’envoler pour Paris en 1982, pour étudier l’histoire africaine à la Sorbonne. Elle finira par passer trente ans en France, mais n’oubliera jamais sa Mauritanie natale, qu’elle visitera à de nombreuses reprises.
Comme l’Afghanistan, le Pakistan et l’Iran, la Mauritanie porte le nom de République islamique. Dans ce pays où la charia est appliquée, la quasi-totalité de la population est de confession musulmane.
Les dernières années ont d’ailleurs été marquées par l’essor d’un islam plus rigide, « venu d’Arabie saoudite », explique Mariem, qui s’insurge de voir mosquées et oulémas financés par les monarchies du Golfe abonder dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest, bordé par l’océan Atlantique et le désert du Sahara.
Dans les rues de la capitale mauritanienne, il n’est d’ailleurs pas rare de croiser des femmes ayant troqué la traditionnelle melhfa, un voile ample laissant entrevoir les cheveux, pour le niqab. « Un contresens historique », soupire l’écrivaine, qui milite notamment pour une révision du Code pénal mauritanien. « On a des abominations dans notre Code pénal. Refus de prier ? Peine de mort. Adultère ? Flagellation. »
Notons toutefois qu’un moratoire a suspendu l’application des châtiments corporels en Mauritanie et que la dernière exécution remonte à 1987. Pas suffisant, selon Mariem, qui plaide pour une abolition de jure de ces pratiques. « Moi, j’ai connu [le début des années 80]. J’étais là quand on a coupé les mains de pauvres voleurs, à Nouakchott », se souvient-elle. Elle rappelle le cas de Mohamed Cheikh Ould Mohamed, jeune blogueur condamné à mort pour apostasie pas plus loin qu’en 2014.
Pour l’écrivaine, les femmes sont les premières victimes du conservatisme qui gagne aujourd’hui le pays. « La liberté de la femme a ses limites, et ce sont celles du religieux. Si on veut parler d’une réelle égalité hommes-femmes, il faut la laïcité de l’État », affirme celle qui lutte contre la polygamie, le mariage forcé et l’excision, tout en concevant que ses revendications soient loin de faire l’unanimité en Mauritanie.
Traître pour tout le monde
Car dénoncer le « repli religieux » dans la République islamique ne se fait pas sans conséquences. Mariem reçoit quotidiennement des insultes et des menaces de mort sur les réseaux sociaux. Après qu’un internaute eut trouvé l’adresse de son fils en France, elle a porté plainte auprès de la police, mais affirme que rien n’a été fait pour retrouver l’auteur des menaces.
Souvent accusée d’apostasie par ses critiques, un crime passible de la peine de mort, Mariem déclare pour sa part être profondément croyante. « Mon islam est en moi, je n’ai pas besoin de le montrer », explique-t-elle cependant.
Critique des excès « du discours ultra-laïque français », l’écrivaine estime que l’islam est soluble dans les démocraties laïques et se positionne contre l’interdiction du voile dans l’espace public ; des propos qui ne trouvent pas toujours leur écho dans l’Hexagone. « On est coincés, pas entendus chez nous, pas entendus en Europe. On est le traître pour tout le monde », lance-t-elle avec amertume.
Née de mère française et de père mauritanien, Mariem se revendique femme africaine, musulmane, arabo-berbère et européenne. C’est par l’écriture qu’elle parvient à concilier ses identités multiples, « à sortir la tête de l’eau » comme elle le dit.
Après une enfance difficile, marquée par l’absence de son père et par un viol, Mariem a perdu la parole pendant quelque temps. « Je devais avoir huit ans, mes souvenirs conscients de l’écriture viennent de là », se souvient l’auteure francophone.
Chroniqueuse dans un hebdomadaire mauritanien depuis 1995, elle a tenu un blogue de poésie anonyme pendant plusieurs années avant de publier son premier recueil de poésie, Mille et un Je, en 2014. Elle travaille actuellement sur son premier roman, une autofiction loin du militantisme, qui raconte l’histoire d’une femme atteinte d’une maladie dégénérative et de son cheminement vers la mort. Une façon pour elle de se réconcilier avec un passé compliqué et un présent toujours aussi mouvementé. « Mariem, c’est compliqué, c’est très compliqué », conclut-elle avec un sourire amusé.