19-07-2018 20:16 - Hommage à mon Ami Ahmed Salem Ould Boubout, un éminent juriste et un homme exceptionnel
Le Quotidien de Nouakchott - Une semaine après lui avoir rendu une visite dominicale en compagnie de mes amis, Lefghih et Jemal, la nouvelle du décès d’Ahmed Salem dit Yarbane est tombée tel un éclair fulgurant.
Des hommages d’anciens étudiants, d’amis, de collègues, de personnalités nationales et étrangères se sont succédés pour s’exprimer sur la carrière exemplaire et les grandes valeurs de cet homme hors norme.
L’histoire commune que nous avons vécu, Yarbane et moi, de la fin des années 80 à ce triste mois de juillet 2018 m’autorise à ajouter aux hommages précédents les quelques lignes qui suivent.
Agrégé de droit public sous la conduite de l’éminent maître le Doyen Georges Vedel, ce dernier frappé par les prédispositions extraordinaires du jeune homme lui proposa de rester à ses côtés afin de poursuivre une carrière de chercheur enseignant dans la prestigieuse faculté parisienne de droit.
Dans sa préface de l’ouvrage, de notre défunt ami, ayant pour titre – L’apport du Conseil Constitutionnel au droit administratif – le Doyen Vedel écrivait « Je ne peux lui apporter que deux certitudes, la première est que son livre est de première ordre et tiendrait une place considérable dans la doctrine française.
La seconde est que s’il se destine à l’enseignement et à la recherche il a déjà convaincu du bien-fondé de son ambition ».
En patriote convaincu, Ahmed Salem pris sans hésitation la décision de rentrer servir son Pays où il avait rendez-vous avec les premiers frémissements de la mise en place des Institutions démocratiques.
C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à la trame pour tout ce qui concerne les textes fondamentaux et même fondateurs. Tout y est passé : Constitution – Lois organiques – décrets d’application – instructions – circulaires …
A l’époque sans moyens informatiques, je le voyais encore dans son bureau tard le soir avec son crayon Bic noyé au milieu de ses ouvrages de droit et parfois éclairé d’une bougie à cause des fréquentes coupures d’électricité.
Pendant que l’opinion décriait, les dispositifs des chartes et constitutions qui maintenaient en vigueur la législation coloniale, notamment celle relative aux libertés publiques fondamentales, comme à son habitude et dans la discrétion, il a vaillamment conduit le toilettage de tous les textes pour les rendre conformes au droit islamique ainsi qu’aux standards internationaux.
Les conseils des ministres s’égrenaient et à chaque séance les lois et décrets étaient abrogés et remplacés par d’autres dispositifs fruits de son labeur.
En tant que fonctionnaire international, j’ai eu plusieurs fois à le recevoir à l’étranger et constater combien il était apprécié et surtout écouté pour ses analyses et notes qui ont alimenté la doctrine ayant permis l’adoption de règles internationales s’agissant de l’agro-industrie, de l’agriculture et de la pêche. Pour ce dernier secteur nul n’ignore son œuvre fondatrice pour notre législation nationale ainsi que pour celle d’autres pays à l’instar de Madagascar.
Juriste distingué il fut également un enseignant émérite en Mauritanie et aussi professeur associé à la faculté de droit de Paris.
Des fonctions ministérielles lui ont été proposées, toutefois il en a décliné l’offre pour demeurer très simplement dans ses cantonnements académiques.
L’universitaire n’excluait pas les valeurs de l’homme. Ami de toujours, fidèle, sérieux, affectueux, sobre et généreux. Il rendait toujours secrètement service à des personnes en difficulté.
Son humour était inégalable. Jamais il n’éclatait de rire mais faisait rire ses proches qu’il aimait bien avec ses petites histoires dont seul il avait le secret. Sa joie se ressentait toujours profondément par un simple sourire du coin de ses yeux.
Il partageait son bonheur même à l’occasion de séances solennelles de travail toujours impeccablement habillé en costume croisé rayé gris cendre avec toujours son éternelle écharpe rouge autour du cou.
Issu d’une lignée familiale prestigieuse qui a donné à la Mauritanie de grands serviteurs de l’Etat Ahmed Salem nous a marqué aussi par sa rectitude sa courtoisie et son savoir vivre qui forçaient en retour le respect qui lui était dû. La mémoire de cet homme exceptionnel, sa carrière exemplaire, son œuvre monumentale fondatrice et patriotique méritent d’être valorisées afin d’en faire un exemple pour la génération actuelle et celle du futur.
A tous ses proches qui me reconnaitront et que j’ai eu l’opportunité de côtoyer pendant ces cinquante dernières années en tant qu’étudiant ou collègue j’adresse mes condoléances les plus attristées.
A Dieu nous appartenons, A Dieu nous revenons.
Gabriel Hatti
Administrateur civil hors classe en retraite