28-03-2019 21:00 - «Le Rivage des fantômes» : les Gadiamois boiront-ils l’eau de la tombe?
Initiatives News - En 1993, Kane Ismaila Demba, étudiant, reçoit, au centre culturel français de Nouakchott, le prix d’un concours de poésie. Lundi 18 mars, 26 ans après, Kane Ismaila Demba, devenu professeur de français, assiste, au CFF (devenu Institut Français de Mauritanie) à la présentation de son premier roman, « Le rivage des fantômes », paru aux éditions Joussour/Ponts.
La présentation de ce roman, dans le cadre des activités de la semaine nationale de la francophonie et de la langue française, a été faite par Mamadou Dahmed, professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Nouakchott.
« Le Rivage des fantômes », résume le Professeur Dahmed, « c’est le destin du village peulh de Gadiamou, un territoire imaginaire de l’Etat du Sahil, abandonné à son sort à cause de l’entêtement du pouvoir coutumier, le conseil des sages, de ne pas se rallier à la politique du pouvoir central. »
Pour ceux qui suivent la politique en Mauritanie et dans certains Etats du Sahel, le rapprochement s’impose. La non-adhésion au parti du pouvoir est souvent synonyme de quasi-bannissement. Au-delà de cette mise en quarantaine politique, « les malheurs de Gadialmou viennent surtout de la sécheresse qui a hypothéqué les deux activités économiques sur lesquelles repose la vie de ses populations : l’agriculture et l’élevage. » Et « le pouvoir coutumier, incapable de trouver des solutions rationnelles et objective à la rareté de l’eau, se complaît dans un passéisme indéboulonnable et un fatalisme nourri de croyances ancestrales. Une série de croyances et de préjugés moyenâgeux qui font les malheurs des femmes et de certaines castes. »
L’eau de la tombe
La Solution « rationnelle » au problème de l’eau vient de Kéléfa, médecin, Pathé, ingénieur et Loudo philosophe. A « Saré Capitale », ces fils de Gadiamou, décrochent un financement pour la construction d’un barrage dans leur village.
Les trois intellectuels, après le financement, doivent franchir un autre obstacle. Pour avoir accès à la source de la nappe d’eau, il faut déplacer la tombe de « l’ancêtre mythique »,Moulounké « dont l’esprit hante le village. » Les sages « crient à la profanation.» Les habitants de Gadimou boiront-ils « l’eau de la tombe ? » Pour réponse, lire « le rivage des fantômes », un roman jugé « riche du point de vue thématique et plein de subtilité technique » par Mamadou Dahmed.
Extrait : « Un homme déjà mort ne doit pas être la cause de la mort de ceux qui ont encore besoin de vivre »
–Nous avons un grand respect pour Moulounké, cria Kelefa.
-Alors pourquoi le déranger si vraiment vous avez du respect pour lui ?
Kelefa se tut. Ses yeux roulèrent comme des billes sur un toboggan. Il se remémora. Moulounké est l’ancêtre fondateur de Gadiamou. Son souffle est encore puissant et demeurera éternellement tel. Je vous condamne par le pacte qui lie le visible à l’invisible de l’épargner. Laissez-le en sommeil dans son territoire et ne le réveiller pour quelque motif que ce soit.
Ma parole vaut de l’or.
La mine éplorée de Kelefa amusa les sages. Il souffrait.
-Oh ! Voix mystérieuse qui me parla en plein désert, je t’ai bien comprise. Mais je suis prêt à tout. Pourvu que les Gadiamois en profitent. Tue-moi !Rend-moi morbide ! Fais de moi ce que tu voudras pour te venger ! Mais sache qu’un homme déjà mort ne doit pas être la cause de la mort de ceux qui ont encore besoin de vivre. Mon engagement à construire ce barrage est irréversible.
Ardo retroussa d’un geste royal les pans de son boubou, se leva. Constatant le désarroi de Kelefa, il avança vers lui, fit signe au médecin de s’asseoir. Kelefa, accroupi, Ardo le saisit par la nuque avant de le secouer.
-Avez-vous prévu ce qui allait arriver si vous remplissez la rivière de votre maudite eau ? demanda-t-il. Toute la vallée sera sous l’eau et Moulounké sera englouti. J’ordonne l’arrêt inconditionnel des travaux.
Kelefa et Pathé pensaient. Que répondre devant un tel dilemme ? Faut-il déplacer la tombe ? Faut-il la laisser à sa place ? Ils pensaient !
BS