20-04-2023 10:35 - Mamoudou Jafaar Ball : « Le festival de Djéol n’a pas accordé une place à Ceerno Souleymane Ball et on ignore les raisons »
Le Calame - Entretien avec Mamoudou Jafaar Ball, président de l’Association Mauritanienne pour la renaissance de l’œuvre de Thierno Souleymane Ball (AMRO-CSB).
Le Calame - Le village de Djéol a abrité en mars dernier le festival du même nom, une manifestation pour célébrer la culture du Futa et celle de la Mauritanie tout entière. Quelle place a été réservée à l’érudit Feu Cheikh Souleymane Ball, initiateur de la révolution populaire au Fouta et dont la tombe se trouve à quelques Km de Djéol ?
Mamoudou Jafaar Ball : Le festival n’a pas accordé une place à Ceerno Souleymane Ball, tout comme les Farba, les Farmbal et les Satigui deDjeol et on ignore les raisons. Djéol est surnommé Saaré Sebbé, c’est pourquoi on a beaucoup insisté sur Samba Guéladio Diégui,
Pour être honnête, nous avons eu comme impression d’être totalement ignoré, alors que dans le subconscient collectif des populations en général et celles des autochtones en particulier, la renaissance culturelle de l’ancienne ville de Djéol est intimement liée aux actes et faits posés par Ceerno Sileymani Baal (paix à son âme).
Nous devons savoir qu’au 18e siècle, il y a eu constitution des émirats du Trarza, Brakna, Adrar et Tagant par des tribus guerrières Arabes mais aussi l’instauration du régime de l’Almamiyat en 1776 , dirigé par l’Erudit Ceerno Sileymani Baal, dans le Futa- Toro composé alors de 8 provinces, (Dimat, Toro, Laaw, Yirlaabe, Hebbiyaabe, Boosoya, Ngénar et Damga) ; cette révolution avait donné naissance, au premier Etat organisé du monde, et Ceerno Sileymani Baal était l’idéologue du mouvement, donc personne n’était mieux placé que lui pour devenir Almamymais il laissa cette place à l’Almamy Abdoul Khadir Kane.
Pour remonter un peu l’histoire, ce territoire de ToumbéréDjéol se trouve au cœur du Tekrour, qui était vassalisé sous l’empire de Ghana au Xème siècle, puis sous l’empire de Mali de SoundiataKeyta au XIII ème siècle, puis sous l’empire des Songhai au XI.
Au XV ème siècle, le conquérant Kolly Tenguela Ba rend le Tekrour indépendant et réunifia toutes les principautés (Lamtoro, Lamtaga, Lamtermess) et fonda le royaume du Futa-Toro.
De 1512 à 1776, la dynastie des deeniyanke régna sur le Futa, le roi prenant le titre de Satigui. A partir de 1776, un mouvement réformiste conduit par des Marabouts sous la Houlette de Ceerno Souleymane Baal, mit fin à ce régime et institua l’Almamiyat dans leFuta.
Jusqu’à 1850 il y eut une succession de luttes et d’alliances intertribales et intra-interethniques entre le Trarza, leBrakna et le Futa-Toro, accompagné d’une myriade de traités, de conventions et de combats entre ces derniers :
- en1786, Aboul Khadir Kane premier Almaami du Futa s’allia à l’émir du Brakna contre Ely El Kowry, émir du Trarza,
- en 1880 Abdoul Bocar Kane grand résistant s’allia au maures de l’Assaba (Guerrou) pour refuser l’annexion de son territoire par le colon français.
- Bien avant eux, Samba Guéladio Diegui (1710) dans ses combats de succession au trône Satigui des Deeniyanke, avait eu le soutien de Mohamed Ould Heiba des Agueilatt, contre son neveu Konko Boubou Moussa.
Il était bon de rappeler ces épisodes de notre histoire commune et faire de la place à chaque grand homme qui a apporté sa pierre dans l’édifice de notre nation et de notre humanisme.
Dans ce grand évènement de réhabilitation de l’histoire de nos villes anciennes, l’Association Mauritanienne pour la Renaissance de l’œuvre de Ceerno Sileymani Baal (AMRO-CSB) ressent beaucoup d’amertume certes pour ne pas y être conviée et pour ne pas occuper la place qui lui sied ; en revanche elle se félicite du fait que le site de Djiériel Toumbéré qui abrite le Mausolée de Ceerno Sileymani Baal soit classé patrimoine du monde Islamique par l’ISESCO.
-Vous êtes le Président de l’Association Mauritanienne pour la Renaissance de l’œuvre de Cheikh Souleymane BALL (AMRO-CSB) , avez-vous eu le sentiment au sortir de cette manifestation que l’Etat pourrait entreprendre des actions décisives pour vulgariser l’œuvre de Cheikh Souleymane Bal, l’érudit et initiateur de la révolution populaire du Futa ?
-L’Etat Mauritanien qui par le choix de Djéol comme lieu de festival a voulu faire ressortir la diversité culturelle mauritanienne et l’enchevêtrement des relations de sang, d’alliance et de contre-alliance (que j’ai développé dans la question précédente), est en soi très louable, mais nous pensons qu’il était plus judicieux de saisir cette opportunité pour vulgariser la pensée de Ceerno Sileymani Baal, car elle constitue par son œuvre, son combat ses relations matrimoniales dans les milieux (Arabes et Pulaar-Wolof), un élément fédérateur de la nation mauritanienne et de toute la Mauritanie.
C’est une probabilité, voire même un ardent souhait, que l’Etat prenne des actions décisives pour vulgariser la pensée et l’œuvre de Ceerno Souleymani Baal, mais pour être franc, j’ai des doutes, puisque son nom n’a été cité dans aucune des allocutions prononcées à Djeol. Il est quand même heureux qu’Abdoul Kader Kane, premier Almaami du Fuuta et Elhadj Mahmoud Ba aient été cités, eux qui pourtant n’ont fait que suivre la voie tracée par Ceerno Sileymani Baal.
Et ce serait dommage pour nous, que de ne pas vulgariser la pensée et l’œuvre de Ceerno Sileymani Baal, car quelle fierté culturelle, quel prestige, tireraient les Mauritaniens, qu’un des leurs fut le premier homme à mettre à rude épreuve les structures moyenâgeuses de l’époque, le premier à créer une transition vers la gouvernance moderne respectueuse des droits et des libertés des personnes et de leurs biens.
-Au terme du Festival une déclaration pour l’unité et la cohésion des différentes composantes du pays a été signé entre le président de la République, le Président du Conseil Régional de Gorgol et le Maire de Djéol. Comment CSB aurait-il réagi à cette signature, lui qui est considéré comme le symbole de l’unité nationale en Mauritanie ?
-Dans ce qu’on peut considérer comme son testament, CSB avait encouragé la culture de bonnes relations entre les peuples, la fraternité, l’entraide, la justice sociale, le partage équitable des biens, le respect des personnes et de leurs biens, la traduction des valeurs de l’Islam et de la Sharia comme la base du mode de vie sociale.
L’appel lancéà Djéolpar son Excellence, M. le président de la République Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani et la signature de document portant sur « l’Unité et la Cohésion des différentes composantes du pays » vient actualiser les recommandations de Ceerno Souleymane Baal, Je dirai simplement qu’il serait très heureux de voir que la postérité a suivi et respecté ses recommandations qui ne sont rien d’autres que celles prescrites par notre prophète Mohamed SAWS.
Quelles ont été les actions réalisées par AMRO-CSB depuis sa création le 10 octobre 2020 à Nouakchott ? Avez-vous rencontré des difficultés ? Si oui lesquelles ?
- AMRO-CSB est une Association culturelle constituée le 10 octobre 2020, mais qui n’a obtenu son agrément qu’en novembre 2022. Ce retard ajouté à l’intrusion chez nous d’un hôte indésirable, la COVID19, et le manque de moyens financiers conséquents ont paralysé nos activités. Toutefois, nous avons pu réaliser certaines tâches en dépit de la modestie de nos moyens qui se limitent exclusivement aux cotisations individuelles de nos membres.
C’est le lieu de lancer un appel par votre canal, que nous sollicitons l’appui des bonnes volontés pour la réalisation de la mission que nous nous sommes assignée, et c’est le moment de rendre un hommage appuyé au journal Le Calame de nous réserver chaque fois que c’est nécessaire une page dans ses colonnes.
Propos recueillis par Dalay Lam