06-08-2023 07:00 - PROFIL DE CAS : ROSSO, la Ville de la honte

PROFIL DE CAS : ROSSO, la Ville de la honte

Chighali Mohamed - Chaque année, le scénario est le même. Sept mois durant, et parfois même plus, la capitale du Trarza accumule ses ordures et attend indifférente son « rendez-vous-catastrophe » avec les pluies de la saison de l’hivernage.

Ces pluies tombent chaque année dans la fourchette comprise entre les mois de juillet et d’octobre. Et quand ces pluies tombent c’est l’enfer, l’apocalypse et le calvaire pour les habitants de cette petite ville qui, n’a pas changé de visage depuis près d’un siècle.

C’est devenu depuis toujours comme une tradition ou comme une coutume. Depuis toujours, les habitants de la ville de Rosso tissent des liens de complicité indéfectibles avec les eaux stagnantes et nauséabondes des quartiers de Ndjiourbel, Guéneme, Dekeuby, Satara ou Demeul Deuk. Et ça continue, comme si de rien n’était.

Comme si c’était tout à fait normal. Chaque hivernage les autochtones de cette petite localité enclavée entre le fleuve, la chemama et les dunes d’un dijéry qui n’en n’est pas un, se battent durant toute la saison des pluies pour la survie.

Rosso un visage précolonial, couvert de poussière.

Depuis la fin du 19 ème siècle, à Rosso, ville ou l’ambiance prime parfois sur tout, rien n’a changé, rien ne change, et rien n’est changé. Et, apparemment, dans cette ville au profil, économique, agricole et artistique, rien ne veut vraiment changer. On a comme l’impression qu’apparemment personne ne veut que ça change.

Chaque année, depuis la nuit des temps, les eaux de pluies font leurs dégâts énormes et les habitants vivent leur calvaire, un calvaire qui fait partie d’un décor triste, un supplice pour les habitants, une preuve flagrante d’incompétence pour les autorités publiques et un signe de faiblesse de leurs complices politiques de la capitale du Trarza.

Rosso, la ville qui a injecté des centaines de milliards d’ouguiyas dans l’économie de la Mauritanie, par les retombées du flux incessants des transits, par la libre circulation des personnes et des biens, et par l’exploitation agricole et maraichère de ses terres fertiles est abandonnée à son sort par des régimes qui se suivent et qui se ressemblent, mais aussi par leurs complices, les cadres et les intellectuels de la ville qui se battent à « coups bas » pour des références politiques au lieu de se battre pour sortir leur ville de la misère et du sous-développement.

C’était toujours comme ça et c’est encore comme ça. C’est un scénario de mauvais goût qui se répète sur un lieu où chaque année en saison des pluies se donnent rendez-vous, les eaux sales et polluées, les eaux stagnantes et les anophèles dont les morsures ne dérangent même plus personne, même pas les veilleurs de nuits ou les sentinelles de ces casernes militaires qui ont le pied dans l’eau du fleuve.

Une situation où chacun apparemment trouve son compte ; Les moustiques se donnent une saison pour proliférer, la boue une période pour contribuer aux patinages des vieilles vendeuses de légumes (toujours les mêmes depuis un demi-siècle), les ordures qui s’entassent et puent l’odeur des cadavres d’animaux.

De pères en fils, les habitants de Rosso, cette ville multicolore, multiraciale, multi-tribale, semblent s’accommoder à cette situation invivable.

Rosso, ville née d’un passé historique qui se tue volontairement au présent.

Rosso, capitale du Trarza a été érigée sur la rive droite du fleuve Sénégal depuis l'éclatement de l'Empire du Djolof au XVIe siècle. Le poumon actuel de la ville, N’Diourbel, était la capitale de cette partie du royaume qui s’était éclaté.

Les historiens rapportent que « Ligwariib » nom actuel de la ville, (pluriel de pirogues en hassania), était un incontournable carrefour d’échanges pour tout ce qui venait du nord (Maroc et Algérie) pour être acheminé au sud en direction de l'Afrique subsaharienne en transitant par le Sénégal.

Pendant la période coloniale, la compagnie Lacombe et une base militaire française avaient séjournés dans cette ville qui a mis une bague au doigt de sa voisine et jumelle de la rive gauche. Les vestiges du royaume du « Walo » ont laissé à Rosso en héritage une population née de nombreux brassages ethniques et de nombreux mariages mixtes.

Peuplée à l'origine de Wolofs, dont la démographie est maintenant « étouffée » par d’autres composantes ethniques, la ville de Rosso est également habitée par des maures commerçants et des peulhs essentiellement des éleveurs.

Par le passé, cette ville faisait venir du Nord les tapis, les vêtements, et du Sud des esclaves qui, pour certains d’entre eux étaient acheminés à partir de l’embarcadère de l’ancien port pour être envoyés vers le Nord, au Banc d’Arguin, ce que les historiens n’ont pas noté mais qui pourrait être la réalité qui explique les activités intenses de son port au passé glorieux de la fin du XVI ème siècle.

Si il y’a une ville en Mauritanie qui est restée la même depuis toujours, renfermée dans ses secrets de ville qui respire des trafics de tous genres, c’est bien Rosso.

Aujourd’hui, plus d’esclaves à remonter au Nord et 400 ans plus tard, cette ville garde encore son activité principale et bat tous les records de toutes sortes de trafics : Trafic de marchandises, trafics de denrées alimentaires, trafic d’alcool, trafic de stupéfiants, trafic d’êtres humains, et même trafic d’influence pour ces aristocrates aux cols blancs et aux boubous Ezbii. Mystérieuse, et impénétrable dans ses secrets, la Ville de Rosso, n’a pas changé de visage depuis ces cinquante dernières années.

Rosso, une ville crasseuse bonne à rien et bonne à tout faire et pour tous.

Au moment de l'indépendance, le président Moctar Ould Daddah (Paix à son âme) avait à un moment réfléchi à choisir cette ville comme capitale de la nouvelle nation naissante. Mais le père de l’indépendance avait renoncé à cette idée parce qu’il trouvait cette ville trop imprégnée de vestiges de la présence coloniale.

C'est à Rosso qu'avait été construit le collège Xavier-Copolani (du nom du fondateur de l'actuel Mauritanie). Et ce sont des anciens élèves de ce prestigieux collège qui ont formé la première élite des meilleurs cadres de ce pays.

Si Rosso est aujourd’hui comme ceci et si Rosso est encore comme cela, c’est parce qu’aucun des gouvernements qui se sont succédés depuis l'indépendance n'a fait de la renaissance de cette ville une priorité.

Et parce qu’aussi, d’autre part, les cadres de cette ville, -(un poids politique incontournable et indispensable dans la balance de la mesure du volume du parti au pouvoir)-, n’ont jamais vraiment luttés pour le développement à la base de cette ville qui les a vus naitre.

Alors, pendant que les Bamba Ould Dramane, les Sidi Diarra, les Mohcen Ould El Hadj, les Mohamed Vall Ould Youssef, les Fassa, les Tayvour, les Brahim Vall, les Mohamed Ould Cheikh et les autres se battent pour la référence politique locale de cette capitale du Trarza, de l’autre côté, les vieilles femmes, les charrettes, les petits talibés et les trafiquants de tous genres des deux rives pataugent dans la boue de cette ville sale et crasseuse qui n’est ni noire, ni blanche, ni négro-africaine, ni harratine, ni arabe, ni arabo-berbère. Une ville fourre-tout, c’est tout.

Mohamed Chighali
Journaliste indépendants



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Commentaires (1)

  • Buwuelm (H) 06/08/2023 17:09 X

    Le seul fait d’évoquer l’hivernage à Rosso-Mauritanie, déclenche en moi, des souvenirs terrifiants. Je me rendais souvent au sud du pays, Il m’était arrivé d’être témoin de plusieurs chutes de personnes, dont un élément de la garde nationale, qui s’aventuraient à se déplacer à pieds dans certaines zones de la ville. Un jour, je n’imaginais pas que c’était mon tour de vivre le calvaire. Je marchais doucement dans une ruelle, non loin d’une station Essence, faisant attention aux risques de dérapages, quand soudain, j’ai glissé sur de la boue. J’étais tombé comme une feuille morte. Avant d’atterrir sur le sol boueux, j’avais essayé d’atténuer la chute. Non seulement l’effort que j’ai fait, ne m’a pas empêché de tomber, mais mes habits étaient trempés et je me suis retrouvé avec des douleurs atroces, conséquences d’une crampe musculaire, sous l’aisselle droite. Je m’étais relevé tant bien que mal, et avec l’aide de quelques passants, j’avais pu joindre une natte étalée devant une boutique, et sur laquelle je m’étais étendu, gémissant et me tordant de douleur. Un policier maure s’était approché de moi, et m’avait demandé ce qui n’allait pas chez moi. Je lui avais répondu difficilement : « Ma’gouda lî le’çayba » (معقودة لي لعصيبة) et qu’avec l’immobilité de mon corps, la douleur disparaitrait. Il avait entendu ma réponse, mais ne l’avait pas comprise (l’expression était peut-être nouvelle pour lui), il s’adressa au boutiquier présent qui lui avait dit que j’avais une crampe. L’homme en tenue est reparti comme il était venu. Au bout d’une heure d’immobilisation sur la natte, la douleur est passée d’insupportable à acceptable. Je m’étais relevé et j’avais nettoyé mes habits sur lesquels, avec l’effet du vent, séchait l’argile. Après la mésaventure, j’avais vaqué au reste de mes occupations, avant de quitter la ville en début de soirée. J’avais juré de ne plus me rendre à Rosso pendant l’hivernage. Au jour d’aujourd’hui et après plusieurs décennies, ayant constaté à distance, les mêmes désagréments, je n’ai pas failli à mon engagement. Il est temps que les autorités locales qui se sont bousculées pour la gestion de cette ville-frontière, pensent à améliorer le bien-être des populations, durement éprouvées. Rosso mérite une attention particulière.