16-11-2023 15:03 - Entretien avec Madame Aminetou Moctar, présidente de l’Association des Femmes Cheffes de Famille (AFCF)
Le Calame - Le projet de loi sur le genre suscite des controverses à chaque fois qu’il arrive à l’Assemblée nationale. Pourquoi tant de controverses autour d’un texte censé protéger plus de la moitié de la population mauritanienne ? Quelles sont les urgences qu’il doit régler ?
Aminetou Moctar : Si ce projet de loi suscite autant de controverses, c’est tout simplement parce qu’il touche aux divers intérêts de certains groupes fanatiques religieux qui veulent continuer à considérer les femmes et les filles comme leurs objets de jouissance.
Ces prédateurs et pédophiles sont souvent des hommes riches et puissants qui entendent maintenir sous leur coupe les femmes et les filles à travers des mariages précoces ou cachés, des viols, des harcèlements, des privations de droits... Ils sont hostiles à l’épanouissement des femmes qui pourraient ne plus accepter leur diktat.
La recrudescence de la violence est patente et l’impunité avec. Je peux vous citer plusieurs cas de viols sur mineurs et de violences conjugales et physiques perpétrés par un élu, un militaire, un imam et un commandant de brigade… Nous nous sommes battus pour leur arrestation mais sans résultat. Ils ont bénéficié de l’impunité. Vous comprenez donc pourquoi certains ne veulent pas de cette loi : nous sommes dans une société patriarcale qui ne veut pas lâcher du lest.
L’adoption de ce projet viendra régler de gros problèmes. Elle offrira aux femmes une loi spécifique mettant fin à l’impunité dont jouissent les violeurs et auteurs de toute forme de violence. Au niveau de la justice, nous avons aujourd’hui des lois et articles qui ouvrent en effet à toutes sortes d’interprétations mais, avec celle dont nous espérons le vote, les femmes pourront désormais réclamer l’application stricte de peines et amendes adaptées.
Ce texte a l’avantage de définir les formes de violences, physiques, psychologiques, verbales, économiques et de fixer clairement leurs punitions. Ce n’est certes pas entièrement satisfaisant mais c’est un pas.
Signalons en outre que cette loi est une recommandation de la Convention de lutte contre toutes les discriminations à l’égard des femmes (CEDEF) et du protocole Maputo protégeant celles-ci contre toutes les formes de violence. Tous les pays doivent s’y référer et la Mauritanie tout particulièrement, en ce qu’on y constate une net accroissement des violences contre les femmes et l’impunité des agresseurs après leur arrestation.
Un violeur arrêté aujourd’hui peut se retrouver, quelques jours plus tard, voire quelques heures à peine, en train de rôder aux alentours du lieu de son crime. Je tiens à réaffirmer que sans l’adoption de cette loi, il n’y aura pas d’accès à la justice : les femmes resteront à jamais exposées à toutes les formes de violence.
C’est pourquoi nous appelons le président de la République à faire adopter ce texte par le Parlement, à la veille du 25 Novembre, Journée internationale de lutte contre les violences basées sur le genre, pour libérer les femmes mauritaniennes de ce lot de violences et de drames.
Comme nous réclamons que les victimes de viol bénéficient d’une prise en charge par des médecins spécialisés, le droit de la Société civile à se constituer partie civile – alors que ses membres sont actuellement toujours renvoyés par les magistrats – ainsi que des centres d’hébergement pour protéger les victimes.
Je m’étonne enfin que certaines personnes, dont des femmes, n’aient osé élever la voix lors de l’adoption de certaines lois comme celles sur la santé reproductive, la criminalisation de l’esclavage, la protection de l’Enfant ou les symboles de l’État, et qu’à la veille du dépôt de ce texte au Parlement, sortent du bois pour s’y opposer.
Plus surprenant, des femmes connues pour leur activisme d’hier se mobilisent contre cette loi. C’est de l’hypocrisie que nous dénonçons avec force. Nous refusons cette soumission. Le chemin est très long mais nous ne baissons pas les bras.
- Les détracteurs du texte lui reprochent de n’être pas conforme à la Chari’a. Sur quoi fondent-ils cette accusation ?
- Je crois avoir répondu à cette question : cette loi risque d’attenter à leurs propres intérêts ; celui de maintenir les femmes dans les ténèbres, dans leurs conditions d’antan. J’ajoute qu’aucun mauritanien ne va proposer un texte contraire à la Chari’a, source de notre législation. C’est de la diversion que de prétendre le contraire. Le président de la République a raison de rappeler, à tous ceux qui gesticulent et tentent de discréditer ce projet, qu’aucun texte contraire à notre sainte religion ne peut être présenté devant notre Parlement. Je crois que c’est suffisant pour arrêter toutes ces manœuvres tendant à retarder davantage l’adoption de ce texte.
- Un texte de cette importance doit être consensuel et inclusif. La Société civile dont vous êtes membre a-t-elle été associée à sa conception ? Que faudrait-il, selon vous, pour que ce texte puisse être voté par le Parlement ? Quel rôle les femmes parlementaires jouent-elles pour y arriver ?
-Nous n’avons pas été associés à la conception de la loi mais nous avons été conviées à une journée de concertation sur le draft. Une belle occasion pour des magistrats, des journalistes et des activistes de la Société civile d’en discuter en vue de proposer des recommandations consensuelles.
Nous ne savons pas pourquoi ce texte n’a pas été encore présenté au Parlement dans la mesure où ces acteurs ont apporté leurs avis. Je n’étonne d’ailleurs du silence de certaines organisations de défense des femmes. Seul l’Observatoire National pour la défense des Femmes et des Filles (ONDFF)en a fait un important plaidoyer, je tiens à le saluer au passage.
- L’ONDFF vient justement de remettre son rapport annuel au président de la République. En avez-vous pris connaissance ? Si oui, qu’en pensez-vous ? Quels rapports entretenez-vous avec cette institution ?
-Je n’ai pas encore eu l’occasion de prendre connaissance du contenu de son rapport, j’étais hors du pays. Mais comme je l’ai dit tantôt, l’ONDFF accomplit un excellent travail et je lui tire mon chapeau. Lors de la journée de concertation susdite, la présidente de cette institution prononça un discours perspicace et sans équivoque. J’avoue qu’elle fait un excellent plaidoyer pour les droits des femmes et des filles.
- Les organisations de défense des droits des femmes réclament depuis plusieurs années une loi protégeant les activistes des droits de l’Homme. Elles ont eu à dénoncer la loi sur les symboles de l’État. Quelle fut la réponse des autorités mauritaniennes ?
-C’est une de nos principales revendications. Nous le réclamons à cor et à cri car les activistes que nous sommes vivent avec la peur au ventre. Nous sommes menacées tous les jours, voire harcelées par les groupes extrémistes religieux opposés à tout épanouissement des femmes. Personnellement, j’ai toujours été menacée, agressée et insultée, on m’accuse d’anti-religion et d’apostasie. Pour les faire taire, j’ai porté plainte mais je n’ai jamais obtenu justice.
Les auteurs ont toujours bénéficié de l’impunité. C’est donc vous dire que l’adoption d’une telle loi est salvatrice pour les activistes des droits de l’Homme. Nous exigeons son adoption afin de nous permettre de jouer notre rôle de lanceurs d’alertes et de défenseur des droits des femmes.
Cette loi est une exigence du Mécanisme africain des droits de l’Homme. Pour aller vite, nous avons même préparé un projet de texte à l’intention du gouvernement mais nous n’avons rencontré aucune oreille attentive. C’est ici l’occasion de rappeler combien la loi contre les symboles de l’État marque une nette récession des droits. Elle vient museler toutes les voix dénonçant l’injustice. Le cas du député Mohamed Bouya en est une parfaite illustration.
- Que pensez-vous de la place et du rôle des femmes lors des dernières élections locales ?
-Comme tous les acteurs et citoyens, nous avons noté leur grave recul. La représentativité des femmes en a pris un sacré coup. Elles occupent une portion toujours congrue à différents niveaux dans les sphères de décisions. La Société civile n’a d’ailleurs pas pu observer les élections, elle n’a pas compté dans la CENI.
Et même s’il y a eu, à l’arrivée, des femmes combattantes démocratiquement élues députées, force est de reconnaître que d’autres sont arrivées au Parlement par des voies douteuses. L’argent a joué un rôle prépondérant. Je leur rappelle qu’elles ne doivent pas oublier leur devoir envers leurs mamans et leurs sœurs.
Aussi, la femme mauritanienne dont certains se réjouissaient vite de ses « conquêtes » a accusé un recul, je n’en veux pour exemple que son ministère de l’action sociale, de la femme et de l’enfance (MASEF) a perdu une composante essentielle de ses prérogatives ; ce ministère est devenu un ministère des affaires sociales tout cours, désormais, il ne s’occupe que des enfants, des handicapés, des litiges familiaux, les droits des femmes (égalité, émancipation ; droits des femmes…) sont sortis de son champ lequel s’est terriblement. Elle n’a plus de relations avec les associations de défense des femmes. C’est un glissement dangereux et incompréhensible.
Propos recueillis par Dalay Lam