13-01-2024 23:15 - Entretien avec... Diafara Diallo, chef de site de Madina Ndiathbé : «Il faut un procès juste et équitable»
Le Quotidien -
Il est arrivé au Sénégal à l’âge de 20 ans. 34 ans plus tard, Diafara Diallo est toujours au Sénégal. Le chef de site de Madina Ndiathbé, qui a pris la suite de son père rentré en Mauritanie, est un diplômé de l’université Gaston Berger de Saint-Louis.
Pour lui, résoudre le problème des refugiés passe par une application stricte des conventions internationales. Mais surtout, que justice soit rendue.
34 ans après les évènements tragiques de 89 qui ont causé la déportation de 60 mille personnes au Sénégal et au Mali, certains réfugiés mauritaniens sont rentrés dans leur pays. Ce retour a-t-il répondu aux attentes ?
En 1989, des milliers de populations noires mauritaniennes de la rive gauche ont été déportées vers la rive droite. Cette déportation a causé une rupture qualitative parce que ces personnes vivaient dans l’opulence et elles ont été déportées sur la base de critères très sélectifs. Il fallait déporter les gens qui avaient des positions en termes d’éducation ou d’économie, des cheptels ou de la terre. Ce sont ces critères qui ont prévalu pour éliminer ces populations. La Mauritanie est un pays multinational et biracial.
Le retour a été mûri avec l’arrivée au pouvoir du Président Ould Abdallahi vers les années 2007. C’est quelqu’un qui avait une réelle vision de ce que doit être la Mauritanie. Il a fait appel aux bailleurs pour ramener les populations que le gouvernement fasciste et bassiste de Mawouya Ould Taya avait déportées pour résoudre le problème des réfugiés. Ces partenaires ont financé ce projet de retour par le biais du Hcr. Je faisais partie des 20 ou 22 qui étaient allés négocier les termes de ce retour. On a fait trois jours à Nouakchott, avec les autorités mauritaniennes et le Hcr. Nous avons travaillé sur trois thèmes majeurs : préparer l’accueil des revenants, définir les conditions de réinsertion de ces populations et le 3e point, c’était sur le passif humanitaire.
Nous avons buté sur ce point parce que les autorités mauritaniennes étaient réfractaires au problème. Les gens qui ont déporté, tué et torturé, étaient dans l’appareil d’Etat. Mais nous sommes quand même arrivés à un travail de synthèse qui devait pousser les volontaires à rentrer. Nous avons posé les solutions une à une. Restait à savoir comment y arriver, mais le gouvernement mauritanien a refusé de légiférer sur le comment y arriver. Tous ceux qui devaient rentrer avaient commissionné des gens pour aller voir si les sites étaient bien préparés, etc.
J’ai fait ça et quand je suis revenu, je leur ai dit que rien ne garantit que ces Mauritaniens respectent leurs engagements, parce que rien n’était préparé. Ce n’est pas parce qu’on veut capter des financements qu’on demande aux gens de rentrer, il faut beaucoup de facteurs. Les gens qui sont rentrés aujourd’hui, on les appelle «Moub aad» en arabe, cela veut dire les «mis à part». Et pour des gens qui comprennent la situation sociologique de la Mauritanie, ils savent que cette mise à part veut tout dire : problème d’accès à l’état civil, à l’éducation, à la santé et à l’eau potable. Les éléments les plus fondamentaux du droit humain sont bafoués pour eux.
Le Hcr a accompagné les réfugiés de 1989 à 1997 en apportant des vivres, mais il est arrivé un moment où il a fallu se débrouiller. Parce que la situation de refugié est évolutive, tout comme la société humaine. Et quand l’offre est inférieure à la demande, il va de soi que l’aide soit orienté vers la priorité. C’est normal. Les gens qui disent qu’ils sont lésés doivent comprendre cela. Au moins, on nous accepte, on nous reconnaît le droit à l’éducation, à la santé. Les principes élémentaires des droits de l’Homme sont garantis. Mais de gros problèmes se posent encore. L’Etat fait beaucoup d’efforts pour nous garantir des pièces d’état civil.
Il y a une campagne de naturalisation présentement…
Oui. Et je dis que cette campagne, il faut l’analyser. La naturalisation est un cheminement dans la résolution du problème du refugié. On règle son problème par un rapatriement volontaire, une nationalisation pour celui qui veut se réinsérer dans le pays d’asile ou encore la réinstallation. Seulement, les gens qui disent qu’ils vont naturaliser, ils n’ont pas conscience qu’ils les jettent tout de suite dans l’apatridie. Parce qu’ils n’ont pas acquis leur statut de réfugié de 1989 à aujourd’hui. La vallée du fleuve, ce sont 272 sites entre Saint-Louis et Bakel. Et beaucoup de réfugiés n’ont pas de statut officiel, même s’ils sont considérés comme tels. On nous dit souvent qu’on a des pièces d’identité ! Cela ne veut pas dire qu’on a la nationalité. La pièce d’identité nous permet de nous mouvoir dans un Etat. A partir de 1997, les distributions de vivres ont cessé et les réfugiés ont dû aller vers les centres urbains pour gagner leur vie. A chaque fois, ils étaient inquiets quand ils sortaient leur carte d’identité de réfugiés.
Qu’est-ce qui aujourd’hui constituent les fondements de ce risque d’apatridie ?
C’est parce qu’il y a aujourd’hui des refugiés qui, pour rien au monde, n’accepteraient la nationalité sénégalaise. Ils tiennent trop à leur identité mauritanienne. Mais puisque les conditions qui devraient leur permettre de rentrer ne sont pas réunies dans leur pays, ils ne rentrent pas. Les principes élémentaires ne sont pas garantis par le gouvernement mauritanien, ils ne croient pas au principe d’égalité des êtres humains. L’Etat du Sénégal nous a aidés, appuyés et nous a permis de comprendre que certaines pratiques sociales sont obsolètes. Ici, chacun accepte l’autre. Les clivages n’existent pas. Cela n’est pas la manière du gouvernement mauritanien qui rejette, fait des pratiques malsaines envers certains citoyens. Allez à Goural. Ce sont d’anciens résidents d’Aleg. Ils sont aujourd’hui mis à Goural parce qu’en Mauritanie, on n’accepte pas les réfugiés de retour. Ils ne retrouvent ni leur maison, ni leurs terres. C’est la raison pour laquelle certains ont choisi de rester au Sénégal pour défendre leurs droits. Cette histoire sombre et sale de la Mauritanie devrait être inscrite au registre Guinness pour avoir battu le record de l’arriération dans tous les domaines. C’est le cas de l’actuel Président mauritanien qui met à la tête de son Assemblée nationale, un sanguinaire (NDLR : Mohamed Ould Meguett est accusé d’avoir participé au massacre de soldats négro-mauritaniens dans l’Armée entre 1988 et 1991, notamment à Inal).
Que faudrait-il faire alors pour régler définitivement ce problème ?
Pour régler ce problème, il faudrait retourner aux conventions internationales qui régissent le règlement de ces problèmes. Ces gens utilisent des versets du Coran, traduits de façon inadéquate, pour dire que Dieu a toléré ce qui s’est passé en 1989. Ces enfants dont les pères ont été tués, ces veuves, c’est à eux de pardonner. Il faut un procès juste et équitable.
Vous voulez un procès ?
Si la lumière n’est pas faite, le problème ne sera jamais résolu. Il faut que les gens prennent leurs responsabilités et règlent ce problème. Il y a des gens qui sont lésés. Je suis arrivé à 20 ans et aujourd’hui, j’ai une famille. J’ai une Maîtrise mais je ne peux faire aucun concours national au Sénégal. Ce sont des choses qui doivent être analysés transversalement pour aboutir à une issue qui garantirait la stabilité pour tous. Il y a un manque de volonté à régler les problèmes. Les Etats ont des intérêts. Les Sénégalais ont accueilli les réfugiés, mais nous tendons nos mains pour que le dossier reste sur la table. Nous sommes encore sous le couvert du Hcr qui fait beaucoup pour les réfugiés. Mais pour les réfugiés du Sénégal, leur action est presque nulle. Le Hcr aide par Ofadec, remplacé par Green Village Foundation. Le recensement n’a jamais été exhaustif parce qu’il faudrait pour cela que la période soit identifiée. Et le fait de la redevabilité impose que l’on ne fasse rien pour quelqu’un sans son avis. Ils programment des recensements qui ne recensent pas plus de 60%, à des moments où les gens sont dans le Diéri, en train de chercher à manger, les familles sont en déplacement avec leurs cheptels. Je ne dirais pas que l’aide du Hcr ne nous parvient pas, c’est seulement que cette aide n’est pas transparente.
Economiquement, cette aide devrait être basée sur des microprojets que les réfugiés choisissent eux-mêmes. Aujourd’hui, notre problème fondamental, c’est l’éducation des enfants, leur maintien à l’école. Dans la plupart des sites, il y a une grosse déperdition scolaire. Et au niveau supérieur, beaucoup d’étudiants réfugiés sont obligés d’abréger leurs humanités. Je suis passé par là . J’ai abandonné en Maîtrise de sociologie à l’Université de Saint-Louis, sans n’avoir jamais eu de bourse du Hcr. Aujourd’hui, je travaille sur la base de contrats.
Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU (mamewoury@lequotidien.sn)