09-10-2024 12:52 - Langue, culture et développement : naviguer dans le dilemme éducatif de la Mauritanie

Langue, culture et développement : naviguer dans le dilemme éducatif de la Mauritanie

Kassataya - Toka DIAGANA : "Ceci est ma position sur l'enseignement des langues nationales en Mauritanie. Je pense que c'est une grosse perte de temps pour un pays comme la Mauritanie. Ceux qui veulent traduire le texte dans d'autres langues (Francais, Arabe, Pular, Soninke, ou Woolof), sont autorises a le faire."

La Mauritanie, terre d’une profonde diversité ethnique et linguistique, se trouve à la croisée des chemins entre la préservation de son riche patrimoine culturel et la prise en compte des défis pressants du développement moderne.

Le débat autour de l’inclusion des langues nationales – hassaniya, peuls, soninke et wolof – dans le système éducatif est un débat qui suscite à la fois passion et disputes. Bien que ces langues incarnent les identités culturelles de leurs communautés respectives, la question demeure : est-ce que la priorité à l’enseignement des langues nationales sert vraiment le bien de la jeunesse mauritanienne, ou risque-t-elle de détourner les ressources limitées du pays de répondre à ses besoins de développement les plus urgents ?

Cette réflexion soutient que, si la préservation et la promotion des langues nationales sont importantes, elles ne doivent pas se faire aux dépens des préoccupations les plus immédiates et les plus critiques du pays.

Au lieu de cela, il faudrait adopter une approche plus stratégique et pragmatique – une approche qui privilégie le progrès économique et technologique tout en permettant la culture progressive et réfléchie du patrimoine linguistique.

1. Combler le fossé de développement

La Mauritanie, malgré ses abondantes richesses naturelles et culturelles, accuse du retard dans de nombreux domaines clés : éducation, innovation technologique, infrastructures, soins de santé et diversification économique.

Ces écarts ne sont pas seulement des indicateurs abstraits ; ils se traduisent par de réelles difficultés pour la population, avec un taux de chômage élevé, des résultats scolaires médiocres et des possibilités limitées pour les jeunes d’entrer sur le marché du travail.

Dans un tel contexte, est-il justifiable d’allouer un temps et des ressources éducatives précieux à l’enseignement des langues nationales lorsqu’il y a un besoin plus urgent de maîtriser les langues scientifiques, technologiques et internationales ? Dans le monde interconnecté d’aujourd’hui, la maîtrise des domaines STEM (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques), ainsi que des langues mondiales comme le français et l’anglais, n’est pas seulement bénéfique mais essentielle pour toute nation qui aspire à rivaliser sur la scène mondiale. Négliger cette réalité risque de condamner une génération de jeunes mauritaniens à la marginalisation économique.

La priorité des langues nationales dans l’enseignement, bien qu’elle soit culturellement significative, risque de détourner l’attention du besoin pressant de progrès scientifique et technologique.

Un programme éducatif doit avant tout doter les jeunes des outils nécessaires pour combler le fossé de développement et propulser le pays vers un avenir prospère. La Mauritanie doit s’engager plus rigoureusement dans le développement des compétences qui permettront à sa jeunesse d’exceller dans l’économie

2. Langues nationales

Il ne fait aucun doute que les langues nationales de la Mauritanie sont des expressions inestimables de la diversité ethnique et de la richesse culturelle du pays. Pourtant, l’infrastructure académique nécessaire pour élever ces langues en outils efficaces pour l’éducation moderne est loin d’être prête.

Les terminologies spécialisées nécessaires pour enseigner des matières telles que les mathématiques, la physique, la biologie ou l’informatique dans ces langues n’ont pas encore été pleinement développées. En outre, il y a un manque flagrant d’éducateurs qualifiés et de matériels pédagogiques de haute qualité capables de soutenir un projet éducatif aussi ambitieux.

Tenter prématurément d’intégrer les langues nationales dans le système éducatif formel, sans poser les bases académiques nécessaires, pourrait compromettre la qualité de l’enseignement et entraver le succès des étudiants.

Ce serait semblable à essayer de construire un bâtiment sans avoir d’abord sécurisé une fondation stable. Le développement des langues nationales en moyens d’enseignement fonctionnels nécessite des années de recherche dédiée, la création de lexiques spécialisés et la formation d’éducateurs possédant des compétences linguistiques avancées.

Une approche plus judicieuse serait que chaque communauté linguistique s’engage dans des recherches sérieuses visant à améliorer la capacité d’éducation de sa langue. Cela pourrait impliquer la création d’instituts de recherche linguistique dédiés au développement des langues nationales, la création de ressources académiques et la formation d’enseignants qualifiés.

Ce n’est que lorsque ces langues ont subi le processus de maturation nécessaire qu’elles devraient être intégrées dans le programme d’enseignement, et même alors, progressivement et stratégiquement.

3. Les conséquences potentielles pour la jeunesse de Mauritanie

L’une des plus graves préoccupations dans la priorité des langues nationales dans le système éducatif mauritanien est le risque de compromettre les perspectives des jeunes. Au 21e siècle, les compétences techniques et scientifiques sont les clés pour libérer les opportunités économiques, et la plupart de ces compétences sont actuellement diffusées dans les langues mondiales.

Si les langues nationales sont prioritaires sur les sciences, les mathématiques et les langues reconnues à l’échelle internationale, les étudiants pourraient se trouver mal équipés pour rivaliser sur un marché mondial de plus en plus concurrentiel.

En outre, l’intégration des langues nationales comme outils primaires d’enseignement risque d’isoler les étudiants mauritaniens de l’économie mondiale de la connaissance. Les disciplines universitaires les plus avancées – que ce soit en médecine, en ingénierie ou en technologie de l’information – sont enseignées et communiquées dans des langues internationales.

Un programme scolaire trop axé sur les langues nationales au détriment de ces matières vitales pourrait laisser les étudiants mauritaniens dans un grave désavantage, tant sur le plan scolaire que professionnel.

Le rôle de l’éducation est de préparer les jeunes à contribuer activement au développement national et à rivaliser efficacement sur le marché international du travail. Les langues nationales, bien qu’elles soient culturellesment importantes, devraient compléter – et non remplacer – l’enseignement des compétences et des connaissances mondiales.

4. Une approche pragmatique des objectifs linguistiques et de développement

Plutôt que d’encadrer le débat en termes de choix binaire entre développement et préservation linguistique, la Mauritanie devrait adopter une approche équilibrée et prospective.

Cela impliquerait d’abord de renforcer l’enseignement des langues internationales et des compétences techniques tout en investissant simultanément dans la recherche et le développement des langues nationales. Une fois que ces langues auront été fortifiées académiquement, leur introduction dans le programme d’études pourrait se faire sans compromettre la qualité de l’éducation ou les perspectives d’avenir de la jeunesse du pays.

Entre-temps, les langues nationales pourraient être enseignées dans le contexte des études culturelles, de l’histoire ou des traditions orales, permettant aux étudiants de maintenir un lien avec leur patrimoine linguistique sans sacrifier les compétences mondiales critiques.

Cette approche mesurée préserverait l’intégrité culturelle des différentes communautés de la Mauritanie tout en garantissant que les étudiants sont dotés des compétences dont ils ont besoin pour prospérer dans un monde de plus en plus compétitif.

5. Conclusion

En conclusion, si l’enseignement des langues nationales est une entreprise culturelle importante, son intégration prématurée dans le système éducatif risque de faire dérailler les efforts de la Mauritanie pour répondre à ses besoins de développement les plus urgents. Le pays doit donner la priorité à l’acquisition de compétences scientifiques et techniques, ainsi qu’à la maîtrise des langues internationales, afin de combler le fossé de développement et préparer sa jeunesse à un avenir brillant et prospère.

Le développement des langues nationales, tout en étant essentiel pour la préservation de la culture, doit être abordé avec la rigueur académique et la planification à long terme nécessaires.

Ce n’est qu’alors que ces langues pourront devenir des outils efficaces d’éducation sans compromettre les objectifs plus larges du pays en matière de progrès économique et de compétitivité Une approche équilibrée qui honore à la fois la diversité culturelle de la Mauritanie et ses aspirations au développement ouvrira la voie à un avenir plus durable et prospère. De cette façon, la Mauritanie peut réaliser le meilleur des deux mondes : nourrir ses racines culturelles tout en assurant un avenir florissant à sa jeunesse dans un monde mondialisé.

Toka DIAGANA



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Commentaires (7)

  • diargua (H) 10/10/2024 14:39 X

    Aussi surprenant que decevant cette phrase : Tenter prématurément d’intégrer les langues nationales dans le système éducatif formel, sans poser les bases académiques nécessaires, pourrait compromettre la qualité de l’enseignement et entraver le succès des étudiants´´.ce n'est ni de l'intellectualisme encore moins de philosophie.Cet auteur fait honte à l'histoire mauritanienne et africaine!Comme disait Senghor à l'academie francaise :La langue maternelle est le tapis sur lequel sont fondée notre identité culturelle et nos interactions sociales. C'est aussi un outil clé pour la pensée et l'expression personnelle. Cet auteur ne doit jamais oublier que la langue maternelle est transmise par la mère, mais elle inclut aussi l’ensemble de l’environnement familial et social. Dans de nombreuses cultures, la langue maternelle est perçue comme un élément clé de l’identité et de l’appartenance culturelle . Un rappel tres important à notre auteur soninke:Le 17 novembre 1999, l'UNESCO a désigné le 21 février Journée internationale de la langue maternelle. il importe alors que notre ami Soninke visite la bibliotheque de l'Unesco à Paris pour y apprendre la valorisation des langues nationales !!

  • abdoull (H) 10/10/2024 09:21 X

    non, non grand Toka. Ne faut pas jouer ce jeu, ce n'est là où on attend. L'Afrique cherche à aller en avant comme les pays asiatiques qui ont appris leurs langues et ont réussi sur tous les plans.

  • pyranha (H) 10/10/2024 08:25 X

    Sahelien, je crois que ce Pr Diagana a trouvé son maitre, car il n'a rien compris .La vérité est que ce sont maintenant plutôt d'éminents de professeurs et d'agreges de mathématiques qui font la promotion et la revalorisation des langues nationales dans l'enseignement. Tu n'auras comme soutiens que ces racistes qui ne cherchent qu'à t'eliminer et t'ecrasrr. c'est malheureux.

  • sahelien (H) 09/10/2024 18:36 X

    Le système éducatif de la Mauritanie a produit de beaux et bons intellectuels, dont Professeur Diagana, qui malheureusement ne voient la rédemption qu’à travers le regard du colon étranger. Dans ce cas de Prof Diagana, il s’agit du colon français ou du maitre Arabe. L’enseignement des langues autochtones de la Mauritanie est une étape cruciale du processus d’émancipation des peuples du pays. Demander à un peuple de surseoir au développement de sa langue en attendant une hypothétique acquisition de « connaissances scientifiques moderne » relève de l’aveuglement culturel. Le français et ou l’arabe n’ont rien de plus que le Wolof, le Soninké ou le Pulaar. A part peut être la détermination, ce qui est exactement ce dont bénéficient les arabes en Mauritanie. La détermination à parler leur langue coute que coute, et même de l‘imposer aux autres. Cette évaluation complexée du professeur Diagana est d’autant plus malheureuse qu’on s’attendrait à ce que sa perspective soit enrichie de son expérience Nord-Américaine. Les universités Américaines et Canadiennes sont remplies d’étudiants étrangers qui ont étudié dans leur langues maternelles d’origine et qui sont parmi les meilleurs, alors qu’ils ne maitrisent aucun mot d’Anglais, de Français. C’est une forme de complexe d’infériorité que de penser qu’il faut à l’enfant soninké de maitriser Français ou Arabe avant son Soninké pour soi-disant mieux appréhender des connaissances scientifiques ou techniques dites modernes. Aucun peuple n’a besoin de l’intermédiation d’une langue ou une culture étrangère pour l’épanouissement de sa culture. L’enseignement des langues autochtones de la Mauritanie est une étape cruciale du processus d’émancipation des peuples du pays. et il y a urgence.

  • pyranha (H) 09/10/2024 17:37 X

    Dommage, et c'est ce qu'on appelle intellectuel.je suis abasourdi et pourtant il me semble que ce Diagana serait un très grand intellectuel made in STATES OU USA.Je suis sans voix , le débat pour ce thème est kilométrique. MOURTOUDO OU MAMADOU SAMBA DIOP doit se remuer mille fois dans sa tombe.

  • nabuchodonosor (H) 09/10/2024 17:07 X

    Merci au Pr Diagana pour cette excellente contribution que nous partageons mais avec une certaine réserve concernant la place réservée au Français dans notre pays. En effet le site openscience.pasteur.fr cite : « L’anglais est la langue des sciences. Cela n’a pas toujours été le cas mais de nos jours plus de 90% des publications scientifiques dans le domaine des sciences dures sont rédigées en anglais. » Donc pour garantir un meilleur accès à la recherche il faut se focaliser sur l’anglais comme le précise le même site : « Pour les lecteurs et la diffusion de la science en générale : • Les articles écrits dans d’autres langues que l’anglais ont moins de chance d’être lus et cités par la communauté scientifique ; • Une grande partie des recherches nationales des pays non anglophones est maintenant écrite dans une langue qui n’est pas celle de leur population, leur rendant de facto inaccessible ; • Certaines cultures scientifiques régionales pourraient être perdues au détriment d’une pensée plus uniformisée par le monde anglo-saxon. » Donc le français est en perte de vitesse et ne permet plus d’accéder à la science. Cependant le même site met l’accent sur l’importance des langues natales : « Face à ces problèmes posés par la domination exclusive d’une langue de la science, l’Initiative d’Helsinki sur le multilinguisme dans la communication savante affirme en 2019 l’importance des langues natives. Signé par de nombreuses institutions, ce texte émet les recommandations suivantes : • Soutenir la diffusion des résultats de la recherche dans l’intérêt de la société ; • Protéger les infrastructures nationales permettant la publication de recherches pertinentes au niveau local ; • Promouvoir la diversité linguistique dans les systèmes d’évaluation et de financement de la recherche. » Donc OUI pour une éducation en Anglais (uniquement) mais avec un effort pour renforcer les langues nationales.

  • yawonni (H) 09/10/2024 14:58 X

    Senor Toka le plus desolant,decevant et revoltant c'est l'arabisation generalisee ( le hassaniya) et la mise aux oubliettes du francais. Cette culture (hassaniya)- que vous etes sans ignorer - est plus que réelle. La radio nationale,la telev. nationale et autres programmes en sont la realite et vous n'en dites rien (???) Il importe des lors de valoriser maintenant les autre langues en attendant la creation des universites ou instituts pour l’acquisition de compétences scientifiques et techniques.