22-02-2025 17:16 - Hommage à El Hadj Sikhou ou Cheikh Abdel Kadr Fofana, le Mauritanien confident du président Charles Taylor

Hommage à El Hadj Sikhou ou Cheikh Abdel Kadr Fofana, le Mauritanien confident du président Charles Taylor

« Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c'est la présence des absents dans la mémoire des vivants. » – Jean d'Ormesson.

Porter le nom de Cheikh Abdel Kadr n’est pas anodin. Ce nom, lourd d’histoire et de significations profondes, incarne une sagesse qui puise ses racines dans des traditions spirituelles séculaires. Héritier de l'enseignement de grandes figures comme Al-Jilani, celui qui est connu sous l’appellation d’El Hadj Sikhou ou Sikhou Malick s’est toujours efforcé de vivre selon la recommandation du saint : « Le savoir sans action est vain, et l'action sans savoir est une aberration. »

À travers son engagement inébranlable et son érudition, El Hadj Sikhou a traversé les tempêtes de la vie, transformant chaque épreuve en un tremplin vers l’excellence, la dignité, la réussite et le succès.

Une érudition transcendant les frontières dès le bas âge

Né entre 1938 et 1940 en Côte d'Ivoire, au sein d'une famille mauritanienne modeste, Cheikh Abdel Kadr Fofana appartient à une fratrie de huit enfants. Son oncle maternel, Sidi Bouguery, le ramena dans l’ombre du Sooninkara, dans cette région du Guimakha, jadis réputée pour sa culture ancestrale, sa langue et ses valeurs profondes de respect et de travail. Il arriva à Boully, un héritage qui allait façonner son caractère et nourrir ses ambitions, l’attendait. Son père, Malik Fofana, bien que résidant à distance de son fils, veillait à ce que l’éducation soit une priorité. Malick avait dit à son beau-frère Sidi Bouguéry : « Tu emmènes mes enfants, d’accord. N’oublie pas de les inscrire pour mieux s’instruire. » Il tenait à respecter la grandeur qui n’était pas innée, mais acquise par le savoir. Chacun de ses petits bouts de bois portait le nom de ceux qui ont compris leur mission ici-bas et l’ont accomplie.

En 1952, à l’âge de 12 ans, Cheikh Abdel Kadr quitte la Côte d'Ivoire pour le village de Boully, en Mauritanie, afin d’apprendre la langue et vivre auprès des siens. Il passa une année d’apprentissage coranique auprès de Samba Cissé. Il se faisait appeler Sidi, tout comme son cousin Sidi Doro, en hommage à Sidi Pathé, par sa famille maternelle. Il poursuivit un parcours qui marqua le début d’une longue quête spirituelle et intellectuelle à Kounghany, dans l'Est du Sénégal, où il résida pendant sept années. C’est ici qu'il forgea sa pensée, alimentée par un mélange unique d’apprentissage rigoureux, d’amour pour les lettres originelles et un respect profond pour la mémoire des sages. Puis, en 1958, il retourna à Boully, enrichi de cette expérience et prêt à transmettre la sagesse accumulée dès son jeune âge.

L’exil et les défis de l’existence

Les années suivantes furent marquées par des déplacements et des épreuves. En 1970, il partit pour la France, devenant ainsi – très vite – le premier Noir à diriger le Foyer des Travailleurs Riquet, une expérience marquée par des luttes administratives et des procès. Après un deuxième pèlerinage, qui renforça encore plus son lien avec la foi, il fut contraint de partir en Espagne, où il se fixa à Barcelone. Ce fut là qu’il rencontra Fatima, une Espagnole convertie, avec qui il eut une fille, Salima.

Sa quête de nouvelles opportunités le ramena en 1972 en Mauritanie, où il se lança dans le commerce, tout en fondant l’École Secrétariat Soumaré avec Gaye Soumaré. Mais la situation politique n’était pas en sa faveur. Accusé de fabrication de faux billets par le régime de Mokhtar Ould Daddah en 1973, il fut emprisonné avant de s’évader grâce à ses vastes réseaux. Sa capacité à naviguer entre différents mondes et à comprendre les dynamiques de pouvoir et de résistance témoignait d'une intelligence rare. Il avait refusé à maintes reprises les portefeuilles ministériels du pouvoir en place, ce qui lui coûta un passage au bagne.

Il se retrouva à Dakar, où il rencontra Hadja Soumaré de Mouderi. Cette dernière, sans enfant, lui plaça toute sa confiance et lui donna carte blanche. Il réussit dans le commerce. En 1974, il retourna rendre hommage à son père, Malick, décédé lors d’un conflit entre Boully et Teïchibé, une commune malienne. Il s'installa ensuite à la frontière libérienne, à Kunbo. Il en profita pour ramener le reste de ses frères et sœurs en Mauritanie.

En 1976, il réussit le concours de l’Imamat sous la supervision d'instituts saoudiens. Sa nomination déplut à la communauté Malinké, qui souhaitait détenir ce poste religieux. Un dignitaire lui retira alors la main de sa fille Souaré, mais le chef du village de Kunbo, Lassana Kunbo, lui accorda celle de sa fille Fatma, reconnaissant son érudition.

Au service de la paix et de la résilience

La guerre civile libérienne, qui éclata en 1989, allait révéler l’étendue de son influence et de sa sagesse. Malgré les violences qui secouaient la région, il parvint à maintenir sa dignité et à protéger ceux qui lui étaient chers, souvent en défiant la xénophobie ambiante. Sa relation avec Charles Taylor, un homme d’État, lui permit de jouer un rôle essentiel dans la préservation de la paix au sein de son entourage à partir de 1997 au Libéria. Il parvint, par exemple, à envoyer des membres de sa communauté en pèlerinage chaque année, un acte symbolique mais d’une grande portée spirituelle, à la demande du président. Sa première épouse, parmi les quatre au Libéria, Fatima Shérif Haidara, se rendit deux fois à la Mecque dans cette délégation.

Toutefois, sa sagesse et son esprit de réconciliation furent mis à l’épreuve lors de la guerre, où il sauva des vies en dépit des circonstances difficiles. Il fut aussi un artisan de la diplomatie discrète, représentant la Mauritanie en tant que vice-consul au Libéria après la guerre.

Un héritage inaltérable

Marié à quatre femmes et père de nombreux enfants dispersés entre le Libéria, l’Espagne et la Mauritanie, El Hadj Sikhou Fofana vécut une existence pleine d'épreuves, mais aussi de résilience et de sagesse. Il survécut à deux opérations de la colonne vertébrale, mais son déclin physique débuta en novembre 2004, lorsqu'il s’effondra en plein Ramadan. Son décès survint dans un contexte troublé, alors que les belligérants de la guerre civile libérienne n’étaient pas encore désarmés. Mais même après son départ, sa tombe demeura un lieu de respect, gardée pendant une semaine, ce qui témoigne de la profondeur de l'estime que l'on lui portait. Ses garçons rentrèrent définitivement en Mauritanie avec leur oncle paternel, Yakhoub Fofana, homonyme de son fils qui a poursuivi des études en sociologie à Casablanca après une vie étudiante active au Syndicat National des Étudiants Mauritaniens (SNEM).

Cheikh Abdel Kadr Fofana, El Hadj Sikhou ou Sikhou Malick, incarne plus qu’une simple figure historique. Il est un modèle de dignité, de résilience et de sagesse. Son parcours, semé d’embûches et de luttes, inspire ceux qui cherchent à surmonter les obstacles tout en restant fidèles à leurs principes. Ses nombreux voyages, dont l’un en Israël en passant par l’Égypte, restent encore un grand mystère. Il a fait convertir des milliers de personnes. Polyglotte, il parle l’arabe littéraire, le français, l’anglais, l’espagnol et plusieurs langues locales dont le Dioula.

Sa fille, Lalia Fofana, a rencontré les deux anciens présidents lorsqu’ils étaient en fonction, et entretient une excellente relation avec l’ancien président George Weah. Elle emboîte les pas de son père dans le social à travers des actions concrètes sur le terrain. L’hommage qui lui est rendu ici n’est qu’une simple petite reconnaissance de son passé. Nous avons encore beaucoup à écrire sur cet homme qui nourrissait des familles entières, des populations et a poussé des milliers de personnes à embrasser l’Islam. Érudit, commerçant, exploitant de diamants dans ses mines, philanthrope, il était au-dessus de la mêlée. C’est un appel à honorer son héritage, mais aussi celui de tous ceux qui ont, par leur vie, illuminé le chemin de l’humanité.

Que le Tout-Puissant lui accorde le plus haut degré du paradis, et que sa lumière continue d'illuminer nos cœurs et nos actions à travers les âges.

Souleymane Sidibé







Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


Commentaires : 0
Lus : 1666

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (0)