14-03-2025 10:35 - Mauritanie : un verdict jugé insuffisant face à l’horreur d’un viol collectif et qui masque une réalité glaçante

Points Chauds -- Le tribunal régional de Nouakchott Nord a condamné ce jeudi trois jeunes hommes à 12 ans de prison ferme pour le viol collectif sur Lalla Mint Moulaye Zeine, une étudiante de 22 ans agressée en novembre 2023 en présence de son père handicapé.
Si la décision inclut une indemnisation de 8 millions d’ouguiyas anciennes (environ 21 000 dollars) pour la victime, elle reste loin des exigences de milliers de manifestants réclamant la peine de mort pour un crime qualifié d’« inhumain » par la société civile.
Pourtant, derrière ce verdict l’un des plus sévères jamais prononcés pour violences sexuelles dans le pays se cache une réalité accablante : 99 % des plaintes pour agressions sexuelles se retournent contre les survivantes, selon des données recueillies par des ONG locales.
Les victimes sont fréquemment inculpées pour « invitation à la débauche » , un chef d’accusation utilisé pour les criminaliser. Beaucoup se retrouvent incarcérées au mêmes titre que leurs agresseurs, un paradoxe glaçant qui alimente l’omerta.
Un crime médiatisé, une exception qui confirme la règle
L’affaire Lalla a échappé à ce scénario grâce à un rare concours de circonstances : la médiatisation du viol, commis par des hommes récemment libérés de prison et sous emprise de drogues, et la mobilisation sans précédent dans toutes les villes de la Mauritanie, en soutien à la jeune étudiante.
« Cette condamnation est une victoire amère », confie a AinRim une parente. « Elle ne doit pas faire oublier que, chaque jour, des centaines de femmes mauritaniennes préfèrent se taire par peur d’être traînées en justice. Ici, porter plainte pour viol, c’est risquer sa liberté. »
Un système judiciaire en accusation
Le viol de novembre 2023 résume les failles, sécuritaires dont sont victimes les femmes en Mauritanie mais aussi, d’une justice accusée de protéger les bourreaux. Les agresseurs, âgés de 20 à 25 ans, avaient déjà purgé des peines pour vols avec violence. Leur récidive, quelques mois à peine après leur libération, relance le débat sur l’inefficacité des programmes de réinsertion et le laxisme présumé des autorités.
Mais le problème est plus profond : le Code pénal mauritanien, influencé par une fausse interprétation rigoriste de la charia, fait de la sexualité hors mariage un crime. Résultat, les survivantes de viols doivent prouver leur « résistance physique » pour éviter d’être inculpées. « Les juges demandent des témoins ou des blessures, comme si une femme violée chez elle, sous menace, pouvait crier à l’aide », dénonce une militante d’une l’ONG.
Peine de mort vs réforme législative : le vrai combat
Alors que les appels à la peine capitale gagnent du terrain dans l’opinion, les associations alertent : hausser les peines sans réformer les lois anti-victimes est inutile. « Comment demander aux femmes de dénoncer leurs agresseurs si elles risquent la prison ? », interroge un magistrat sous couvert d’anonymat.
La solution, plaident les défenseurs des droits, réside dans l’abrogation de l’article controversé et la mise en place de tribunaux spécialisés. Un projet de loi en ce sens, déposé en 2022, dort dans les tiroirs du Parlement. En attendant, le cas Lalla reste une exception : selon un rapport de l’ONU, seulement 2 % des viols déclarés aboutissent à une condamnation des agresseurs en Mauritanie.
Ce verdict, s’il est salué comme un symbole par certains observateur, reste en deçà des attentes et ne marque pas un tournant. Il révèle plutôt l’ampleur du chemin restant à parcourir dans un pays où la justice, pour des milliers de survivantes, reste synonyme de double peine.
Ezza Moulaye ElHacen