02-05-2025 13:51 - "Marges de vérité" : Ainsi parla Samory Ould Bèye (chronique de Mohamed Ould Echriv)

La Dépêche - À l’occasion de la Journée internationale des travailleurs, Samory Ould Boyé, secrétaire général de la Confédération Libre des Travailleurs de Mauritanie (CLTM), a pris la parole non comme syndicaliste parmi d’autres, mais comme dépositaire d’un cri social longtemps étouffé dans les alcôves de la connivence économique.
Son intervention, bien que formulée dans la langue des faits, relève d’une architecture morale et politique plus profonde : une tentative de réintroduire dans le champ public mauritanien l’idée oubliée d’une souveraineté sociale confisquée.
En mettant en cause ce qu’il nomme sans détour « les hommes d’affaires et individus corrompus », Samory ne désigne pas seulement des acteurs économiques ; il interpelle une matrice de pouvoir diffuse qui, sous couvert de libéralisme pragmatique, s’est arrogée le droit de contourner la loi, de nier la dignité du travailleur, et de fossiliser toute velléité de réforme structurelle.
Derrière ces mots, se dessine un double régime de domination : l’un légal, inscrit dans les textes et les symboles, l’autre souterrain, informel, plus puissant car justement hors du contrôle normatif.
Mais là où son message prend une tournure encore plus complexe, c’est lorsqu’il aborde la question de l’emploi des immigrés en situation irrégulière, qu’il lie explicitement à l’éviction des travailleurs nationaux.
Ce constat, loin d’être une simple plainte sectorielle, révèle un malaise plus profond dans le contrat social mauritanien, où la logique du profit a supplanté celle de la justice. Car si les travailleurs clandestins sont instrumentalisés pour contourner les obligations salariales, sociales et fiscales, ce n’est pas l’étranger qui est fautif, mais le système d’opportunité qui rend possible son exploitation, au détriment d’une main-d’œuvre nationale rendue invisible dans sa propre patrie.
Samory pousse plus loin l’accusation : il impute à ces mêmes forces de l’économie sauvage la circulation de médicaments falsifiés, de denrées alimentaires périmées maquillées, de poisons quotidiens dissimulés derrière les emballages de la consommation moderne. Ce n’est plus seulement la dignité du travail qui est en jeu, mais la souveraineté sanitaire et éthique du pays, trahie par un capitalisme débridé, échappant à tout contrôle public, et parasitant les mécanismes régulateurs d’un État qui semble avoir renoncé à son autorité protectrice.
Il ne s’agit donc pas ici d’un simple discours syndical : c’est un acte de dissidence éthique dans un paysage normalisé par la résignation. Ould Boyé convoque la société à un réveil moral. Il rappelle que l’économie n’est pas neutre, qu’elle produit des hiérarchies, façonne des rapports de domination, et que le silence face à cette dénaturation du travail équivaut à une abdication de la citoyenneté.
Son intervention du 1er mai, si elle était lue à la lumière de ce qu’elle contient réellement, ne serait pas un épisode de plus dans la litanie annuelle des doléances ouvrières, mais bien une mise en demeure politique adressée à la République : retrouver le sens de la loi, réconcilier le droit et le travail, restaurer la dignité là où le profit a fait le vide.