11-07-2025 07:45 - Vacances citoyennes : Un air de déjà vu ?

Le Calame -- Le président de la République a invité les ministres et hauts cadres à passer leurs vacances chez eux, auprès des leurs. Une invite citoyenne légitime et patriotique de la part du Raïs qui a constaté – peut-être un peu tard – que les ministres, cadres et autres fonctionnaires bien nantis voyagent trop à l’étranger, pour leurs vacances annuelles, se distraire ou se détendre.
En famille parfois, beaucoup d’entre eux disposant de villas ou d’appartements ailleurs sur la planète, particulièrement à Las Palmas, quasiment banlieue huppée de Nouakchott. Ils y vont aussi pour se soigner ; parfois même pour un simple mal de dent.
Et, dans la plupart des cas, sur le dos de Dame République. À en croire diverses sources, ces mauritaniens « dépaysés » dépenseraient des milliers d’ouguiyas en moyenne par jour. Une manne qui aurait pu profiter à nos villages, campements et même villes.
L’invite du président de la République – à qui les Mauritaniens reprochent aussi de beaucoup voyager hors du pays… – est à saluer. Elle peut contribuer à réintégrer les vacanciers dans leur bled et, pourquoi pas, à y investir ; construire des édifices, soutenir des actions génératrices de revenus susceptibles d’aider à fixer la jeunesse dans son terroir et donc endiguer son chômage.
Les vacances citoyennes rappellent l’époque du président Ould Taya. Durant son règne, il avait constaté, lors de ses « visitations » à l’intérieur du pays, que les cadres n’investissaient pas chez eux et que le monde rural était délaissé. Tout dans les capitales régionales provenait, disait-il, de Nouakchott ou de l’étranger : moquettes, tapis, boissons, fruits…
Mais à la différence de l’invite de Ghazouani, l’appel d’Ould Taya ouvrait la porte au pillage des deniers publics car celui-ci avait clairement laissé entendre aux cadres qu’il n’était illicite de détourner les deniers publics si c’était pour investir chez soi.
La campagne « Savoir pour tous » au début des années 2000, avec l’ouverture de « maisons du Livre » et autres bibliothèques familiales, avait carrément installé la gabegie qui se propagea à la vitesse grand V.
À l’époque, beaucoup de cadres avaient été forcés de construire chez eux, afin d’y recevoir des convives venus de tous les horizons et même des troubadours, à l’occasion des visites présidentielles surtout. Chat échaudé craint l’eau froide…
Un sacré pari
En appelant les cadres mauritaniens à passer leurs vacances auprès des leurs, Ghazouani rappelle cependant un devoir patriotique, à la racine même de la citoyenneté. Depuis des années, on parle d’une administration proche des citoyens mais le pari est loin d’être gagné. Notamment parce que celle-ci ne dépêche que très peu les élus et cadres sur le terrain, s’évitant ainsi ce qui pourrait constituer comme une sorte de pression et de veille sur elle.
Ces vacances citoyennes seraient-elles le déclic pour une approche nouvelle de nos relations sociales ? C’est ce que semble en attendre le président. Ressourcez-vous, vivez le quotidien des gens, aidez-les si nécessaire ! Un sacré pari…
Comment ces privilégiés des grandes villes, surprotégés dans leur villa ou bureau, inaccessibles sans rendez-vous, entourés de vigiles éconduisant tout celui ou celle, même très proche, dont le nom ne leur a pas été signalé ; comment ces gens ne répondant plus au téléphone, une fois la campagne électorale terminée ; comment de tels gens sauraient régler les problèmes de leurs concitoyens ? Emploi, état-civil, difficultés avec les forces de sécurité, problèmes de santé, différends entre cultivateurs locaux et éleveurs venus d’ailleurs, confiscation de terres, j’en passe et des pires…
Un proverbe pulaar dit littéralement ceci : « si l’on ne voit pas vos dents et ne mange pas de vos repas, on ne roulera pas pour vous ». Nombre de nos cadres ne se rappellent de leurs proches qu’à l’approche des élections locales.
Et de débarquer alors en belle voiture et joli boubou, pour ouvrir leurs villas fermées depuis trop longtemps, y inviter amis, cousins et compagnons d’âge ; leur exprimer disponibilité, les accompagner auprès des autorités pour régler divers problèmes, le tout agrémenté de quelques billets... Rares sont ceux qui aident à mettre en place des activités génératrices de revenus, à dégager l’accès aux financements de l’État (Taazour, CSA…).
On remarque parfois l’un ou l’autre de ces pontes lors de funérailles, fournissant, dans le meilleur cas, une voiture pour ramener le défunt au terroir, après n’avoir pas su trouver le temps de passer au chevet du malade qui manquait alors d’argent pour se soigner…
Leurs actions ne sont jamais gratuites, hélas : « il faut voter pour le candidat du pouvoir à chaque élection ! Faute de quoi, vous n’aurez rien », tancent-ils à l’ordinaire leurs visiteurs. Le fait est qu’ils sont trop peu à se livrer à des actions sociales et c’est le plus souvent cela que leurs concitoyens leur reprochent.
Notamment dans la Vallée où la jeunesse ne cesse d’attendre, depuis 1992, une amélioration consistante de ses conditions d’existence. Plus de trente années de manquements récurrents ont fini par dresser comme une espèce de barrière entre certains hauts cadres et la jeunesse des villes et villages. Ceux-là n’entendent malheureusement pas le message de celle-ci, scellant leur échec politique patent en se contentant d’affirmer qu’elle est systématiquement contre le pouvoir.
Mais un tel sommaire constat ne débouche sur rien. Il faut inverser la tendance. Les vacances citoyennes auxquelles a appelé le président de la République seraient-elles en mesure de rétablir enfin des échanges citoyens et commencer ainsi à modifier l’image que se font les ruraux de leurs élus et des hauts cadres ? Le peuple est certes patient mais la patience a ses limites.
Ghazouani semble en être conscient. Fasse le Seigneur de celle-ci inculquer, à tous ceux qui affirment, à son instar, servir la Nation, où se situe leur véritable intérêt : celui de leurs électeurs.
Dalay Lam